Issu d’un colloque international (Lyon, 15–17 septembre 2016), cet ouvrage, comprenant outre l’introduction et la conclusion 21 contributions, est complété par des index – noms de personne, documents d’archives et livres manuscrits, noms de lieux – et d’appréciables illustrations en couleur. Il s’articule autour de deux objets d’étude: Lyon à l’époque carolingienne – nœud de communication de l’empire, la ville connaissait alors un renouveau du gouvernement épiscopal et de l’enseignement –, et la figure d’Agobard, archevêque de la ville entre 816 et 840.
Jean-François Reynaud commence par dresser un portrait archéologique de Lyon, soulignant son importance aussi bien que les mutations que connut la ville, révélatrices du rôle des évêques – en particulier Leidrat, dont les travaux préparèrent l’épiscopat d’Agobard. David Ganz rappelle que la richesse de la bibliothèque précédait les réformes carolingiennes: en témoigne la présence à Lyon de manuscrits anciens, annotés à l’époque mérovingienne. Claire Tignolet décrit ensuite Lyon comme le noyau d’un réseau hispanique dans l’empire, témoignant des nombreuses connexions entre école lyonnaise et monde méridional. Ces trois premières contributions permettent une mise en contexte historique et culturelle bien utile à la lecture des articles qui suivent.
Plusieurs d’entre eux sont l’occasion de réévaluer la méthode de travail des clercs lyonnais – et en particulier d’Agobard. Cullen J. Chandler replace l’»Aduersus dogma Felicis« dans un contexte plus large que celui de la controverse adoptianiste en rappelant l’enjeu central d’une compréhension orthodoxe de la doctrine trinitaire. Caroline Chevalier-Royet met en valeur, outre l’érudition biblique d’Agobard, sa connaissance des versions hébraïque et gallicane du psautier qu’il commente en parallèle pour nourrir son argumentation, plaçant la critique textuelle au service de son raisonnement.
Kristina Mitalaité et Philippe Depreux soulignent la voix dissonante que fut celle du lettré. La première étudie le »Liber de Imaginibus«, réponse aux évêques qui se réunirent à Paris en 825 dans le cadre de la polémique sur le culte des images. Agobard s’y oppose à la doctrine grégorienne, alors considérée comme une autorité absolue. Philippe Depreux évoque quant à lui la façon dont l’évêque fit entendre ses opinions en des termes relevant du champ sémantique du combat, œuvrant à préserver la cohésion de l’empire alors que la discorde était connotée négativement.
La remise en perspective de l’épiscopat d’Agobard, que propose Jean-Paul Bouhot par la mention de celui d’Amolon, souligne le grand rigorisme dont il fit preuve: l’action pastorale d’Amolon, bien que prolongeant celle d’Agobard, s’en démarqua en plusieurs points significatifs. Enfin, Warren Pezé réévalue les documents du concile de Quierzy de 838: le texte qu’y prononça Florus, généralement considéré comme un réquisitoire contre Amalaire de Trèves, est en réalité une responsio, dont la tonalité prudente révèle son désaccord avec les évêques entourant Louis le Pieux.
Nombreuses sont les contributions étudiant la transmission textuelle, révélatrices de l’influence du contexte matériel, que souligne Pierre Chambert-Protat, sur la production des textes. Fernand Peloux atteste à l’instar de Claire Tignolet le rôle capital d’un groupe d’hispani actif à Lyon comme vecteur d’échanges hagiographiques: le martyrologe de l’anonyme lyonnais s’inspire d’une collection wisigothique ainsi que du manuscrit Roma, Biblioteca Vallicelliana, E 26, annoté par un hispanus.
Pierre Chambert-Protat s’intéresse au premier annus magnus du cyclus paschalis que contient ce manuscrit. Véritable laboratoire de travail marqué par diverses strates d’annotation, il témoigne de la vie intellectuelle lyonnaise. Louis Holtz analyse dans le même manuscrit ainsi que dans le Paris, BnF, lat. 2853 une série d’annotations attribuées à Florus de Lyon: elles expriment de diverses manières sa fidélité envers Agobard. Claire Dantin retrace précisément la restauration du manuscrit de Fourvière redécouvert en 2013 – daté du IXe siècle, il contient la »Dacheriana«. Susan Rankin étudie l’influence du »De antiphonario«, réponse d’Agobard à l’antiphonaire d’Amalaire de Trèves. Si les livres de chant lyonnais qui nous sont parvenus intègrent ses corrections, ils datent de plusieurs centaines d’années après sa mort: ces perspectives prometteuses appellent des investigations futures.
Pour une mise au point archéologique et topographique, Charlotte Gaillard étudie le monastère de l’Île-Barbe à Lyon, témoin de l’évolution de la manière dont s’organisait la vie monastique. Ce site, occupé dès le Ve siècle et marqué par la pluralité des édifices de culte, fut en effet l’objet de réagencements nombreux. Olivia Puel mène ensuite une étude de l’abbaye Saint-Martin de Savigny, exemple particulièrement intéressant puisque sa fondation remonte à l’époque carolingienne, soit au moment où la réforme monastique fut introduite dans le diocèse de Lyon.
Plusieurs contributions soulèvent des questions méthodologiques: Paul Mattei, par le commentaire des citations des Pères grecs dans l’»Aduersus dogma Felicis«, propose à la fois une étude de critique textuelle et une réflexion sur la manière dont Agobard utilisait ses sources – dans leur double dimension, intellectuelle et matérielle. Michel Jean-Louis Perrin, en comparant l’usage des citations bibliques par Agobard et Raban Maur dans le »De diuisione imperii« et le »De honore parentum«, évoque la nécessaire prise en compte des réécritures bibliques, aussi significatives que les réécritures antiques et tardo-antiques. Marie-Céline Isaïa révèle quant à elle, par l’analyse du manuscrit Paris, BnF, lat. 2853, les intérêts de son annotateur qui cherchait à constituer un lexique exégétique, voire un miroir des prêtres, mettant ainsi en valeur un nouvel aspect de l’école lyonnaise: celui de la formation des débutants.
Les deux dernières contributions prolongent la précédente et abordent la réception des textes d’Agobard. Jean-Benoît Krumenacker révèle la première tentative de rééditer ses œuvres dans l’intention d’édifier les fidèles par Pierre Rostaing, qu’atteste une mention de 1527. Le projet ne vit finalement pas le jour. Il fallut attendre les travaux de Papire Masson, en 1605, dont Jean-Louis Quantin éclaire les circonstances: la mise à l’index romain et espagnol de l’œuvre d’Agobard leur assura de la publicité; elles furent utilisées par les protestants et les parlementaires.
Les conclusions de ces analyses sont éloquentes: on ne saurait évoquer le Lyon d’Agobard sans mentionner d’autres clercs – à commencer par Leidrat et Florus. L’ensemble des contributions honore et justifie ainsi pleinement l’emploi dans le sous-titre de l’ouvrage de la préposition »autour«: s’il s’agit bien de documenter la figure d’Agobard, c’est également sur son entourage et les travaux produits dans ce cercle qu’il faut se pencher si l’on veut appréhender correctement le rôle que joua Lyon dans l’empire carolingien sous son épiscopat. Ce volume complète heureusement l’ouvrage »Lyon, entre empire et royaume«1, qui retrace l’histoire de la ville à compter de 843, et éclairera davantage encore la publication à venir des deux derniers volumes des œuvres d’Agobard aux »Sources chrétiennes«.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Luce Carteron, Rezension von/compte rendu de: François Bougard, Alexis Charansonnet, Marie-Céline Isaïa (dir.), Lyon dans l’Europe carolingienne. Autour d’Agobard (816–840), Turnhout (Brepols) 2019, 382 p., 14 ill. en coul., 21 ill. en n/b, 8 tabl. (Haut Moyen Âge, 36), ISBN 978-2-503-58235-1, EUR 80,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73212