Fille de Henri le Débonnaire (1231–1261), duc de Brabant et Aleyde de Bourgogne (1233–1273), Marie grandit dans la société des riches cours cultivées du Nord. Elle est la nièce de Béatrice de Brabant (1225–1288) »la dame de Courtrai«. Les rencontres ont lieu lors des mariages ou des tournois. Marie épouse en 1274 le roi de France Philippe III, veuf d’Isabelle d’Aragon. Après le mariage à Vincennes et le couronnement de la jeune reine à la Sainte-Chapelle, de fastes débuts, elle est accusée d’avoir empoisonné Louis, fils aîné du roi. Soutenue par son puissant groupe familial, elle reprend sa place après la mort de Pierre de la Broce, auparavant favori du roi sur lequel on attend la publication de Xavier Hélary. Le tournoi du Hem – narré par Sarrasin dans le »Roman du Hem« – marque ce retour en grâce.

Marie développe son »matronat« – mot utilisé par l’historiographie anglo-saxonne – durant son long veuvage, sous le règne de Philippe IV, à l’instar de Blanche de France (1252–1320), de Mahaut d’Artois (1270–1329) ou de Jeanne d’Évreux (1310–1371). Avec son joli sceau la représentant en pied dans une forme en navette, mais aussi sur des vitraux à Louvain, dans la chapelle des Dominicains, nécropole de ses parents, elle affirme son identité. Elle offre aussi une très belle chasse à Sainte-Gertrude de Nivelles qui marque ses liens avec le groupe familial de Brabant-Flandre. Il ne reste que des morceaux de l’objet bombardé en 1940. À Saint-Nicaise de Reims – église aussi disparue – les vitraux portent les portraits de ses enfants, Louis d’Évreux, Marguerite d’Artois et Blanche à côté d’elle-même agenouillée devant saint Nicaise. Ses interventions sont majeures pour la sculpture dans la collégiale de Mantes, dans la chapelle de Navarre. L’identification de ces statues de femmes est incertaine: Marie elle-même, Marguerite sa fille ou la reine, Jeanne de Navarre? Elles faisaient partie d’un programme de mise en valeur de femmes donatrices de la famille royale dans cette église de Mantes, ville de son douaire où Marie a séjourné; dans le palais elle avait fait aménager une terrasse sur la Seine.

Si nous avons conservé des fragments du tombeau de ses parents à Louvain, il ne reste qu’un dessin de Gaignières de son gisant qui se trouvait dans l’église des Cordeliers à Paris, quand son cœur avait été déposé aux Jacobins aux côtés de celui de son royal époux dont les os reposaient à Saint-Denis aux côtés de sa première épouse Isabelle.

Les objets ou les sculptures donnent une bonne idée de l’importance du mécénat de Marie de Brabant. Mais celui-ci se manifeste plus nettement encore dans les manuscrits enluminés dont la commande est attribuée à la reine. Le manuscrit Arsenal 3142 est le plus célèbre. Il contient les œuvres du poète Adenet le Roi que Marie connaît depuis sa jeunesse puisqu’il était au service de son père Henri III avant de passer à la cour de Guy de Dampierre. Nous avons conservé d’Adenet le Roi le »Cleomadès« (achevé en 1285), les »Enfances Ogier« et »Berte aus grans piés«, composés après 1273–1274 ainsi que »Buevron de Conmarchis«. Adenet renouvelle aussi la première branche de la »Chevalerie Ogier«. Dans »Berte aus grans piés«, Adenet décrit la ville de Paris qu’il connaissait bien pour y avoir séjourné à la cour et rencontré Marie. Des œuvres d’Adenet se trouvent aussi dans les manuscrits BnF Fr 1447 (»Berte« à côté de »Floire et Blanchefleur« et »Claris et Laris«, enluminé par le maître de Meliacin), Fr 24404 (»Cleomades« et »Berte«) manuscrit destiné à Robert d’Artois et Fr 1471 (les »Enfances Ogier«). Sont attribués aussi au matronat de Marie le manuscrit musical de la bibliothèque de médecine de Montpellier H 196, les manuscrits Fr 12 569 et Fr 24 429, sans compter le »Chansonnier du Roi« Fr 844 et le »Kalendarium regine« de Guillaume de Saint-Cloud (Lat 15 171). Appartiennent au même groupe culturel de manuscrits le Fr 12 467 qui contient des »Moralités sur jeu et bal« ainsi que le Fr 12 569 (cycle de la croisade).

Deux miniatures jouent un grand rôle dans l’illustration du mécénat de Marie et plus largement dans l’histoire de l’art: elles caractérisent ce moment où les enlumineurs sont tentés par la représentation du groupe familial, sans oser aller jusqu’au portrait de leur patron. Au premier folio du manuscrit Arsenal 3142, une enluminure d’un quart de page représente Marie portant une robe mi partie aux armes de France et de Brabant, allongée sur un lit auprès duquel se trouvent le futur Jean II de Brabant et Blanche de France (robe aux armes de France et de Castille). Au pied du lit, se trouve le poète Adenet le Roi, portant sa viole. Au premier folio du ms. Fr 1633, qui contient le »Méliacin« de Girart d’Amiens, une grande enluminure réunit neuf personnages identifiables à leurs vêtements armoriés: à partir de la gauche se trouvent Marie de Brabant, Blanche de France, la reine Jeanne de Navarre-Champagne, la mère de Jeanne Blanche d’Artois; suivent les deux veuves des plus jeunes fils de Louis IX, Jeanne de Châtillon-Blois (1253–1291) et Béatrice de Bourbon (1257–1310). Assis sur le sol auprès de sa tante Blanche se trouve le roi Philippe IV le Bel et aux deux extrémités de l’enluminure les connétables de France et de Champagne Raoul de Clermont-Nesle (1245–1302) et Gaucher de Châtillon (1249–1329).

Le »Cleomadès« d’Adenet le roi comme le »Méliacin« de Girard d’Amiens sont inspirés des contes des 1001 nuits. Les deux manuscrits furent produits à Paris au milieu des années 1280 et peints par le même artiste, le maître de »Méliacin«. Les deux enluminures montrent la place tenue par les femmes de la famille capétienne, reine ou fille, femme ou mère de roi, et notamment Marie de Brabant dans les commandes de manuscrits en français, enluminés par les maîtres de l’époque.

Ce très beau livre de Tracy Chapman Hamilton, à la belle et complète iconographie illustre parfaitement le rôle central tenu par une reine dont le patronage a inauguré celui d’une longue suite de souveraines qui ont donné une impulsion majeure aux différents arts de la fin du XIIIe et le début du XIVe siècle.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Élisabeth Lalou, Rezension von/compte rendu de: Tracy Chapman Hamilton, Pleasure and Politics at the Court of France. The Artistic Patronage of Queen Marie de Brabant (1260–1321), Turnhout (Brepols) 2019, 323 p., 165 col. fig., 1 geneal. tabl. (Studies in Medieval and Early Renaissance Art History, 64), ISBN 978-1-905375-68-4, EUR 110,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73215