Ce volume prend place parmi les beaux travaux de ces dernières années pour rendre compte et mettre à notre disposition les actes pontificaux et notamment ceux datant d’une période antérieure à l’établissement d’une chancellerie pontificale qui aurait recueilli cette documentation.
La primauté pontificale se construit progressivement et s’intensifie à partir du dernier tiers du IVe siècle. Dans le même mouvement, les décrétales pontificales se multiplient, devenant une véritable source du droit de l’Église. Comme le note David L. d’Avray, le livre aurait pu s’intituler »de la lettre au droit«. Il rassemble une importante correspondance, envoyée par l’évêque de Rome à divers destinataires, autour des années 400, plus précisément du début du pontificat de Sirice (384) à la mort de Célestin Ier (432). Ces lettres sont, généralement, des réponses à des questions posées, le plus souvent par un évêque. De toute part, on s’adresse à Rome pour connaitre la conduite à tenir, la solution à donner à un litige ou la sanction à infliger à un individu, qu’il soit clerc ou laïque. Les lettres expédiées par le pontife romain sont des conseils, mais conseils émanant de celui dont la primauté prend forme, donc conseils qui sont reçus comme des directives impératives, une jurisprudence, pour reprendre le titre de l’ouvrage, ou des décrétales qui vont s’imposer.
Découvrir quelles étaient les questions juridiques que les évêques soumettaient à Rome est le premier objectif de ce volume. Parallèlement, l’auteur interroge naturellement les toutes premières collections, qui ont pu recueillir, puis transmettre ces correspondances. Les travaux d’Erich Caspar1 demeurent un point de départ essentiel mais ont aujourd’hui près d’un siècle. Les recherches historiques menées sur le christianisme antique, ou les éditions de sources parues depuis lors sont ici particulièrement bien utilisées (ex.: travaux de Charles Pietri, Jean Gaudemet, Walter Ullmann, Stephan Kuttner, Lotte Kerry, Geoffrey D. Dunn, Karl Silva-Tarouca …). Le chercheur est naturellement invité à se reporter à la magnifique »Clavis Canonum« de Linda Fowler-Magerl. Les regestes pontificaux de Philipp Jaffé n’ont pas perdu leur valeur et le chercheur bénéficie aujourd’hui de la troisième édition qu’il convient de citer »J3«. On sait que les regestes de Jaffé sont complétés par plusieurs très belles entreprises (notamment celle de Paul Kehr, l’Italia Pontificia, suivie de la Germania Pontificia et maintenant des premiers volumes de la série consacrée à la Gaule, la Gallia Pontificia). Toute cette documentation est mise à profit pour l’actuelle publication de cette jurisprudence pontificale des années 400.
Les textes sont classés par matière, en dix rubriques distinctes, correspondant chacune à un thème spécifique: 1. »Rites et liturgie«, regroupe les textes relatifs aux célébrations qui sont souvent à l’origine de ce que seront les sacrements. 2. Une »hiérarchie« des clercs se met pour partie en place dès l’Antiquité. 3. Elle s’accompagne d’une certaine organisation de l’»autorité«, qui justifie une rubrique distincte de celle consacrée à la hiérarchie. 4. La règle du »célibat« ecclésiastique pour les clercs des ordres majeurs a, elle aussi, ses origines dans l’Antiquité, même si elle ne s’impose pas de façon comparable à ce que les réformateurs grégoriens tenteront de mettre en place. 5. Ce que l’on qualifie de »bigamie« est le second mariage d’un veuf ou d’une veuve; il est strictement interdit au clerc, alors qu’il est toléré pour les laïques. 6. À propos du »mariage«, il s’agit essentiellement de faire respecter tant la règle de son indissolubilité que l’interdiction de la bigamie, deux prescriptions impératives pour l’Église et pourtant quasiment ignorées des autres sociétés de l’Antiquité. 7. Le pape doit souvent régler les relations entre les »moines et le clergé séculier«, notamment le passage de l’un de ces états à l’autre. 8. Les »hérésies« sont nombreuses et le pape doit se prononcer sur les possibilités de réintégration d’un ancien hérétique; il tranche aussi la délicate question de la validité d’un baptême donné par un prêtre hérétique ou de la nécessité de procéder à un second baptême. 9. Autre hérésie essentielle, le »pélagianisme« est l’occasion d’une correspondance spécifique entre Augustin, évêque d’Hippone, et Innocent Ier. 10. »La pénitence«, pénitence publique permettant la réinsertion du coupable, constitue le dernier thème permettant à David L. d’Avray de classer toute la documentation qu’il met à notre disposition.
Le travail consiste à donner l’édition et/ou la traduction d’extraits de ces lettres et premières décrétales, selon une méthode qui s’apparente à celle proposée par Karl Silva-Tarouca. David L. d’Avray recourt à des manuscrits soigneusement choisis (dans les fonds suivants: BnF, bibliothèque vaticane, Munich, Arras, Vienne) et aux éditions de collections (»Concordantia canonum« de Cresconius, »Vetus Gallica«, »Hispana«, recueils Pseudo-isidoriens, »Décret« de Burchard, »Collection en 74 titres«, »Décret de Gratien«). Un important appareil critique accompagne chaque citation, signalant entre autres choses les modifications qu’ont pu subir les textes. Les références à tous les passages édités sont données; il est utile, pour le chercheur, d’avoir tout à la fois le présent ouvrage et ces autres recueils de sources. Le choix des textes retenus et leur classement a été opéré en pensant au prochain volume dans lequel l’auteur voudrait analyser la réception médiévale ultérieure.
On ne peut qu’admirer la qualité scientifique de ce volume et se réjouir de ce nouvel instrument de travail mis à la disposition des historiens de l’Église et en premier lieu des historiens du droit canonique.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Brigitte Basdevant-Gaudemet, Rezension von/compte rendu de: David L. d’Avray, Papal Jurisprudence c. 400. Sources of the Canon Law Tradition, Cambridge (Cambridge University Press) 2019, X–302 p., ISBN 978-1-108-47293-7, GBP 75,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73216