L’œuvre d’Hériman de Tournai est d’une importance considérable, autant pour la connaissance du monachisme réformateur de la première moitié du XIIe siècle que pour celle du comté de Flandre et de ses environs. Né vers 1090, Odon entre à l’âge de quatre ans au monastère Saint-Martin fondé en 1092–1095 par Odon. Il en devient l’abbé en 1127, mais résigne sa charge en 1136 et s’installe non loin de Laon. Après avoir effectué plusieurs missions pour le compte de l’évêque local, Barthélemy, et écrit plusieurs ouvrages hagiographiques, il se fait en 1142 le héraut de la cause des Tournaisiens, qui veulent obtenir du pape l’indépendance de leur diocèse, rattaché depuis le VIe siècle à celui de Noyon. Eugène III finira par donner gain de cause aux Tournaisiens en 1146. Mais Hériman, qui se plaignait depuis longtemps de sa mauvaise santé (c’est le prétexte qu’il avait invoqué en 1136 pour démissionner de son abbatiat) sera alors reparti vers une nouvelle aventure, celle de la deuxième croisade. Il n’en reviendra pas.
Entretemps, au cours d’un printemps romain, il a voulu rédiger un »Liber de restauratione monasterii Sancti Martini«: cela faisait alors un demi-siècle environ qu’Odon, écolâtre du chapitre cathédral de Tournai, avait convaincu quelques clercs de le rejoindre pour vivre dans une église abandonnée une vie qui au départ devait être assez proche de la vita apostolica, bien que davantage immobile; mais qui était rapidement devenue monastique, Odon choisissant de suivre la règle de saint Benoît. Le but d’Hériman était de raconter l’histoire de cette fondation – de cette restauration, en fait – pour que les jeunes générations en aient connaissance. Mais il multiplie les digressions, ce qui renforce encore, bien entendu, l’intérêt de son ouvrage.
Si le »Liber« a fait l’objet d’une édition en 2010 par les soins de R. B. C. Huygens (»Corpus Christianorum«), après celle de Waitz en 1883 dans les Monumenta Germaniae Historica, il n’avait plus été traduit en français depuis la traduction, manuscrite et inédite, du prieur dom Le Roy en 1457. La traduction de Paul Selvais est élégante et efficace. Pour la rendre fluide, lisible, agréable même au lecteur actuel, P. Selvais n’a pas hésité à s’affranchir du texte littéral, et il a eu raison. Il trouve de nombreuses tournures qui rendent bien l’esprit du texte. On peut évidemment relever quelques erreurs, comme lorsque P. Selvais traduit canonici par »chanoines séculiers«, alors que, vu le contexte, il s’agit de réguliers (chap. 4). Mais ce n’est pas très important.
D’autre part, P. Selvais a choisi de traduire l‘ensemble du »Liber«, y compris la dernière partie, consacrée à l’histoire d’une autre restauration, celle de l’indépendance de l’évêché de Tournai, dont Waitz (mais pas Huygens) estimait qu’elle avait été ajoutée à une version primitive du »Liber« à partir d’un récit, par Hériman aussi, de cette restauration. Il est difficile de trancher cette question, dans la mesure où, outre l’histoire de son monastère, Hériman consacre une longue digression à l’histoire des comtes de Flandre et de Hainaut.
Quoi qu’il en soit, on ne peut que se réjouir de cette publication, qui va rendre le texte d’Hériman plus largement accessible à un vaste public.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Hériman de Tournai, La restauration du monastère de Saint-Martin de Tournai. Traduction française de Paul Selvais, Turnhout (Brepols) 2019, 199 p. (Corpus Christianorum in Translation, 32; Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis, 236), ISBN 978-2-503-58059-3, EUR 40,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73225