Les »Compactata« font partie des illustres inconnus de l’histoire. On les cite souvent à propos du concile de Bâle, on les invoque comme un exemple de tolérance et de paix de religion, mais qu’en sait-on au juste? Quels textes recouvrent-ils? Comment furent-ils mis par écrit et diffusés? Quel en fut le destin? Autant de points qui étaient peu ou mal éclaircis avant que le hussitologue František Šmahel reprenne de fond en comble le dossier.
Le cœur de l’ouvrage est constitué de l’édition critique des »Compactata«, qui rendra d’immenses services. Les chercheurs devaient jusqu’à présent se contenter de la version qu’en avait donnée il y a plus d’un siècle et demi František Palacký (in: Archiv Český, Bd. 3 [1844]). Pour l’améliorer, Fr. Šmahel s’est fondé sur les témoins les plus fiables: soit les exemplaires originaux conservés aujourd’hui dans le Österreichisches Staatsarchiv à Vienne, soit les vidimus établis en 1437 à Prague pour le légat bâlois Philibert de Montjeu; dans les cas où les documents ne nous sont transmis sous aucune de ces deux formes, il lui a fallu se tourner vers les manuscrits qui renferment les journaux d’ambassade tenus par Gilles Charlier et Thomas Ebendorfer.
Au total, l’édition offre un corpus de dix textes, dont on remarquera qu’ils sont formés de plusieurs strates. Si la plupart furent promulgués pour la première fois à Jihlava les 5 et 6 juillet 1436, trois autres remontent aux accords préliminaires conclus à Prague à la fin de l’année 1433, alors qu’un dernier ne fut arrêté à Bâle que le 23 décembre 1437. Voilà donc un pot-pourri, qui porte la marque de négociations aussi longues que difficultueuses.
On ne peut pas dire pour autant que le volume embrasse le sujet dans sa totalité. Comme le suggère le titre choisi, la lumière se focalise ici sur les seuls »Compactata« bâlois, autrement dit sur la convention passée entre les Hussites et le concile de Bâle. En revanche, l’auteur ne traite qu’à la marge des cinq concessions supplémentaires que Sigismond de Luxembourg dut consentir dès l’été 1435 à Brno, puis derechef à Jihlava en 1436, avant de ceindre la couronne de Bohême. Ces »Compactata« impériaux n’ont pourtant pas été moins lourds de conséquences que les »Compactata« conciliaires et furent perçus par les Hussites comme leur pendant. De là des brouilleries sans fin entre Bâle et Prague, qui ne s’entendaient pas sur la portée exacte de ce qu’ils avaient ratifié.
Cette réserve mise à part, le lecteur ne peut que se réjouir de trouver, en introduction à l’édition proprement dite, trois chapitres substantiels qui mettent en perspective l’accord de 1436: le premier étudie l’organisation administrative du concile de Bâle, non sans préciser les analyses de Hans-Jörg Gilomen sur le sujet; le deuxième retrace le va-et-vient des ambassades qui, entre 1433 et 1437, sillonnèrent l’Europe centrale pour mettre fin aux guerres hussites; le troisième s’intéresse au Nachleben des »Compactata« jusqu’au concile de Trente.
Tout ceci rend opportunément accessible la matière du livre que Fr. Šmahel avait publié en tchèque voici 8 huit ans (»Basilejská kompaktáta. Příběh deseti listin«, Prague 2011). Suivent sept annexes, consacrées à la tradition manuscrite et imprimée. Une vingtaine de témoins manuscrits, une traduction tchèque inscrite sur les murs de la chapelle du Saint-Sacrement, dans la Nouvelle Ville de Prague, deux éditions publiées au seuil du XVIe siècle: la moisson est plutôt maigre, ce dont Fr. Šmahel s’étonne à juste titre. Faut-il incriminer la complexité et le manque de lisibilité des »Compactata«, la damnatio memoriae qui a touché rapidement toute l’œuvre bâloise? Ou encore penser que la Réformation luthérienne frappa d’obsolescence les accords conclus avec l’Église romaine?
Ces raisons ont sans doute additionné leurs effets. Il resterait cependant à tourner le regard hors des frontières de la Bohême. L’exemple du catholique Johannes Cochlaeus, qui, en 1534, proposa les »Compactata« à l’évêque de Vienne comme un modèle de réconciliation religieuse, laisse deviner les récupérations auxquelles le texte a pu se prêter dans ce nouveau contexte.
On n’ergotera pas sur les rarissimes vétilles qui ont échappé, çà et là, à l’attention de l’auteur: ainsi quelques bévues en langue latine (orbis romanum pour orbis romanus, p. 2) et française (»Catalogue générale des manuscrits de la Bibliothèque national de France«, p. 168) ou de l’identification de Jean de Tornis à Jean de Tours (alors que Christian Kleinert a montré que ce clerc parisien n’avait probablement aucune racine ligérienne1). L’essentiel est ailleurs. Avec la maestria qu’on lui connaît, Fr. Šmahel brasse dans ces pages une multitude étourdissante de thèmes, ainsi que les diverses méthodes qui leur sont afférentes. L’histoire des relations internationales s’enrichit du cas d’espèce que constitue la diplomatie conciliaire; la codicologie et la diplomatique sont sollicitées pour éclairer les modes de validation et de transmission des pièces; une galerie de portraits vient illustrer la méthode prosopographique. Il se confirme ainsi que la hussitologie, pourvu qu’elle soit pratiquée avec rigueur et hauteur de vue, n’est pas une île, mais un art au confluent des sciences historiques.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Olivier Marin, Rezension von/compte rendu de: František Šmahel, Die Basler Kompaktaten mit den Hussiten (1436). Untersuchung und Edition, Wiesbaden (Harrassowitz Verlag) 219, XII–226 S. (Monumenta Germaniae Historica. Studien und Texte, 65), ISBN 978-3-447-11179-9, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73226