L’ambition de ce volume, issu d’un colloque tenu à Limoges en décembre 2014, est de mettre en avant le rôle que les intermédiaires (instances, objets ou personnes) ont joué dans l’histoire du voyage, toutes époques, tous territoires et toutes religions confondus. On saura gré à l’organisateur Albrecht Burkardt, qui signe l’introduction générale, d’avoir entrepris la mise à plat de dimensions importantes qui restent cachées derrière le récit des exploits et expériences du voyageur lui-même. Trop souvent ce récit est considéré comme allant de soi et suffisant pour expliquer les aléas du voyage, alors qu’il n’y avait (ni a) point de voyage sans préparation, souvent intensive, guides ou aides en route ou sur place, et instruments ou instances permettant de valoriser l’expérience après le retour. À côté de chercheures et chercheurs confirmés, le volume réunit bon nombre de jeunes scientifiques qui fournissent ici une preuve de leurs capacités, souvent dans un domaine très spécifique.

Les contributions sont divisées en quatre parties, dont chacune correspond à une phase dans le déroulement du voyage: les médiations avant le départ (préparations, recommandations, solidarités à mettre en œuvre pour les voyageurs ou explorateurs), les médiateurs locaux assurant le succès du voyage (interprètes, traducteurs, professeurs de langues), les médiations sur le lieu de destination (avant tout les structures d’accueil préexistantes, guides professionnels et accompagnateurs locaux, les différents aspects touristiques), et les suites ou échos après le retour dans le pays de départ permettant de faire passer l’expérience de l’étrange au familier. Ce pays de retour est le plus souvent la patrie même du voyageur, qui peut s’y faire valoir en racontant ses aventures ou exaltant ses exploits, apporter les produits obtenus, ou jouir des bénéfices immatériels dont le voyage en question est porteur, telle la constitution d’un réseau de collaborateurs, connaissances ou amis. Le voyage accompli lui confère un nouveau statut, celui de connaisseur ou expert.

Pour un phénomène complexe tel que le voyage, qui engage simultanément les dimensions d’espace, de temps, de culture et d’un changement de communauté, ce volume qui vise très large ne peut que fournir quelques pistes de recherche. Il signale opportunément que le voyage englobe souvent plusieurs dimensions d’activité ou d’expérience à la fois. Ce n’est, en effet, que rarement un phénomène monodimensionnel. Les auteurs utilisent parfois des sources prometteuses mais peu connues, telles les affiches.

Par ailleurs, on n’a pas essayé de restreindre l’énorme amplitude du phénomène en limitant l’approche à une période, un territoire, une langue, un type de voyage ou une catégorie de voyageurs. En plus, les articles de ce recueil, une vingtaine en tout, sont de confection et d’écriture très différentes, parfois même disparates, chacun axé plus sur les caractéristiques du thème choisi par son auteur que sur les liens avec l’ensemble ou l’interrogation de base du volume. Ils se concentrent sur des aspects ponctuels, tels les offrandes pro reditu à l’époque romaine; l’autopromotion des cités dans l’Antiquité illustrée à l’exemple de Troie, plaque tournante touristique; les obstacles linguistiques au cours du voyage, surtout à l’époque moderne; les valets de place et concierges ou les domestiques voyageurs; les intermédiaires culturels (de types très différents), y compris le rôle des conationaux dans les villes d’arrivée ou des missionnaires chrétiens en Afrique; le voyage initiatique; la figure du guide du pèlerinage à la Mecque à l’époque contemporaine; un Marocain parcourant les terres septentrionales de la Méditerranée dans le dernier quart du XVIIIe siècle; ou un thème du savoir (les ‘hommes à queue’) rapporté du voyage en Afrique au XIXe.

Dans le cas de Peiresc, savant sédentaire invétéré, on découvre même l’analyse d’un voyage par procuration en 1629–1634. Ce type de voyage avait d’ailleurs été très fréquent au Moyen Âge lorsque des pèlerins chargés du fardeau des péchés de leurs concitoyens parcouraient, pour les en délivrer, de grandes distances sur les routes de Compostelle, de Jérusalem ou »de saint Christophe« (pour citer le titre de l’introduction).

Tout en bénéficiant de la littérature abondante sur ce thème, les références fournies par les auteures et auteurs privilégient souvent le domaine francophone, en particulier les travaux fondateurs de Daniel Roche et Gilles Bertrand. On y voit moins le reflet des travaux du monde germanique et anglophone qui ont avancé dans plusieurs domaines du voyage des aspects spécifiques et numériquement importants, tel le voyage des marchands, somme toute bien plus fréquent que bien d’autres, mais qui, peu spectaculaire en soi, reste habituellement à l’ombre et n’est vraiment représenté ici que par une contribution sur des commerçants dauphinois entre 1750 et 1830.

Ou encore la pérégrination académique qui, muée en voyage d’études, grand tour ou petit tour à l’époque moderne, a été très étudiée depuis quelques décennies, mais surtout en dehors du domaine francophone. La plupart des marchands ne tenaient pas un journal intime ou personnel, juste un livre de comptes difficile à interpréter. C’est par la voie indirecte de ces livres de comptabilité que l’on découvre la fréquence, la complexité et la richesse de ce type de voyages dès le Moyen Âge. Dans les grandes villes marchandes (Rouen, Paris, Anvers, Amsterdam, Londres, Cologne, Hambourg, Barcelone Venise, Gênes, Naples), il y avait d’ailleurs des colonies marchandes considérables qui entretenaient des liens complexes avec la patrie et les voyageurs.

En revanche, bien des étudiants pérégrinants ont laissé de multiples sources, allant de leur album amicorum ou leur journal personnel à une correspondance fournie, des relevés de leurs acquisitions, le compte rendu de leurs activités dans les sources académiques, ou les renvois à leur réseau de condisciples, d’amis, de covoyageurs rencontrés au cours du périple et de bienfaiteurs dans leurs dissertations publiées.

Malgré tous ses mérites et toute la richesse des contributions prises individuellement, ce volume me laisse donc insatisfait. Le mélange des périodes et des pays suggère imperceptiblement une continuité du phénomène du voyage dans l’espace et le temps qui empêche de conceptualiser les changements ou de bien voir les lignes de fracture. En dépit de l’introduction présentant un schéma d’analyse utile, il manque également un effort de systématisation, même sommaire, de la littérature du et sur le voyage.

Le volume touche à tout sans véritablement rien approfondir. Il ouvre l’appétit mais plutôt que quelques plats substantiels il fournit des mets singuliers, parfois succulents, certes, mais souvent sans grand rapport entre eux et qui font rêver d’un dîner en règle. Une table des matières systématiquement conçue aurait été utile pour montrer la cohésion de l’ensemble. Enfin, la maison d’édition ferait bien de reproduire les illustrations à l’avenir sur un format plus grand et avec moins de grisaille.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Willem Frijhoff, Rezension von/compte rendu de: Albrecht Burkardt (dir.), Médiateurs et instances de médiation dans l’histoire du voyage, Limoges (Pulim) 2019, 361 p., ISBN 978-2-84287-730-9, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73285