Dans ce petit volume Heinz Duchhardt livre au lecteur sept courtes études – sept vignettes, pourrait-on écrire – sur l’histoire des congrès diplomatiques et des traités de paix dont il est depuis des décennies le spécialiste reconnu. Trois d’entre elles portent sur la représentation des congrès dans la peinture et la gravure. La première part d’une comparaison entre deux toiles inégalement célèbres: la ratification du traité de Münster, par Gerard ter Borch; et la conclusion du traité de Nimègue, par Henri Gascard.

Sur la première on voit les plénipotentiaires espagnols et hollandais jurer de respecter les clauses de la paix, et sur la seconde on assiste à l’échange des signatures entre les envoyés de Louis XIV et ceux de Charles II. En dépit de cette différence – et de quelques autres –, ces deux tableaux participent, observe Duchhardt, d’un même type: la représentation, quelque peu statique, mais plutôt fidèle à la réalité, des plénipotentiaires et de leur suite à un moment important du processus de conclusion du traité. Déjà expérimentée par passé, cette formule le sera encore lors de la paix de Baden. Mais, comme le note l’auteur, elle n’avait guère d’avenir et, dans l’ensemble, elle pesa beaucoup moins lourd dans l’iconographie qu’une autre tradition, incarnée par la »Paix de Nimègue« de Charles Le Brun: celle qui consistait à donner la préférence à l’allégorie, et à communiquer à travers elle l’idée de l’apothéose d’un souverain triomphateur.

Le tableau de Gascard se retrouve dans une autre des études ici réunies, qui a trait à la présence du chien, symbole de la fides, sur des tableaux ou des gravures relatifs à des congrès de paix ainsi que sur des portraits d’ambassadeurs et surtout de souverains. Enfin le volet iconographique du volume comprend un bref chapitre relatif à un portrait de groupe réalisé au moment du congrès de Vienne par un artiste local, Grüner. Cette gravure met en scène les souverains et les principaux ministres impliqués dans les négociations. De facture assez médiocre et de tonalité clairement pro-autrichienne, elle anticipe sur le dessin, bien plus célèbre, d’Isabey. Mais elle ne rivalise pas avec lui. Car c’est bien l’œuvre de l’artiste français, et non celle de Grüner, qui en est venue à incarner le congrès aux yeux de la postérité.

Parmi les autres »Friedens-Miniaturen« qui composent ce volume, la plus significative est sans doute l’étude que Duchhardt a consacrée à un congrès diplomatique peu connu, tenu en 1737 en Ukraine, à Niemirow précisément, entre l’Empire ottoman et ses adversaires la Russie et l’Autriche. L’auteur met au jour toutes les ambiguïtés qui entourèrent cette assemblée et conduisirent à son échec. Les Russes, notamment, ne voulaient que gagner du temps, pour pousser leur avantage sur le plan militaire. Les Autrichiens, pour leur part, étaient liés aux Russes par une alliance qui avait rendu leur intervention inévitable. Mais ils avaient aussi tenté de retarder leur entrée en guerre, se méfiaient de leur partenaire et, comme lui, conduisaient en sous-main avec les Ottomans des négociations séparées.

Les Autrichiens n’avaient, de surcroît, accepté le principe d’un congrès qu’à contrecœur, après que leur représentant à Constantinople, von Talman, leur avait forcé la main et s’était posé, sans instruction, en médiateur. Les Turcs, enfin, se sentaient encouragés à la résistance par les déboires militaires de leurs adversaires, et donc refusaient de céder à leurs pressions. Tout ceci explique que le congrès ait, au bout de quelques mois, tourné court, après que von Talman avait été mis hors jeu par les Autrichiens eux-mêmes. Désastreuse pour ces derniers, la paix ne fut signée qu’en 1739, à Belgrade, avec la médiation de la France.

Les autres textes réunis par Heinz Duchhardt portent sur des thèmes assez divers. Un chapitre est consacré à la symbolique des dates et à sa place lors de la conclusion des traités. Quelques accords, en effet, furent signés à la date anniversaire d’une autre paix: ainsi, par exemple, les traités de Passarowitz et de Koutchouk-Kaïnardji, qui furent actés le même jour que le plus ancien traité du Pruth entre le sultan et le tsar. On observe, dans d’autres cas, une concomitance avec une fête religieuse. Mais ce choix, est-il noté, se fit plus rare après 1648.

Dans un autre texte, l’auteur s’interroge sur le rôle tenu au congrès de Vienne par l’Anglais Edward Gibbon Wakefield, par ailleurs connu pour son activité ultérieure en qualité de praticien et de théoricien de la colonisation. Il parvient à la conclusion que Wakefield ne fut sans doute qu’un simple porteur de lettres, chargé d’acheminer des plis que l’on souhaitait soustraire à la censure de la cour impériale.

Enfin un chapitre est consacré à un périodique imprimé à Francfort en 1728, pendant le déroulement du congrès de Soissons dont il avait pour ambition de rendre compte. Duchhardt s’interroge notamment sur l’origine des rédacteurs – restés anonymes – de ce »Friedens-Courier«. Il conclut à l’existence d’une équipe, associant un négociant du Nord de l’Allemagne et un ou plusieurs autres collaborateurs ayant, pour leur part, une culture universitaire, notamment en matière de droit des gens. Il souligne aussi la position de ces journalistes: favorables à la maison d’Autriche, et plutôt hostiles aux Hollandais et aux Espagnols.

Il était difficile de tirer des leçons de portée générale de cet ensemble un peu disparate. Aussi, dans sa conclusion, Duchhardt se place sur un autre plan et développe l’idée d’un musée de la Paix, à créer selon lui quelque part en Allemagne, par exemple à Augsbourg. Un tel musée, estime-t-il, présenterait l’avantage d’être une structure pérenne, à la différence des expositions organisées de temps à autre pour commémorer de grands événements tels que le congrès de Westphalie, le traité de Nimègue ou celui d’Utrecht. Nul doute que, si un tel musée était un jour créé, les toiles de ter Borch et de Gascard, ainsi que le dessin d’Isabey, ou du moins leurs copies, y auraient pleinement leur place.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jean-Claude Waquet, Rezension von/compte rendu de: Heinz Duchhardt, Friedens-Miniaturen. Zur Kulturgeschichte und Ikonographie des Friedens in der Vormoderne, Münster (Aschendorff) 2019, 184 S., 13 Abb., ISBN 978-3-402-13416-0, EUR 29,90., in: Francia-Recensio 2020/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73293