Depuis longtemps, on s’accorde certes à souligner l’importance considérable de la Révolution française et son important écho en Europe. Paradoxalement, de cet »événement médiatique« (Rolf Reichardt) que fut la Révolution française, on sait néanmoins toujours relativement peu de choses sur les vecteurs de son retentissement. C’est à couvrir cette lacune que s’attache Anne Sigrid Sawade-Pfeiffer dans sa thèse soutenue à l’université de Francfort-sur-le-Main.

Le projet est toutefois plus modeste que le titre l’annonce, puisque l’autrice se penche sur trois quotidiens germanophones, qu’elle étudie en détail. Sur les près de 200 journaux allemands qui existent à l’époque de la Révolution française, publiés à un tirage total de 250 000 à 300 000 exemplaires et touchant trois à quatre millions de lecteurs (p. 4), l’autrice s’attache à trois journaux à diffusion suprarégionale et seulement indirectement politisés (elle se démarque ainsi de l’étude de Susanne Lachenicht sur la presse jacobine allemande en Alsace1). Il s’agit du »Hamburgischer Correspondent«(HC), présenté comme le journal alors le plus diffusé en Europe, de l’»Augspurgische Ordinari Postzeitung«(AOP), un vrai quotidien puisqu’elle parait six jours par semaine, et de la »Frankfurter Oberpostamtszeitung« (FO), l’un des organes de presse les plus anciens, détenu par la famille Thurn und Taxis. Si ces trois quotidiens ont en commun leur ancrage urbain dans des villes libres ou d’Empire fières d’une longue tradition, ils présentent néanmoins un profil particulier.

Comme on le sait, Hambourg est alors la plus grande ville de l’Empire, une cité cosmopolite où la censure est peu sévère (même si elle reste plus stricte que ne l’est celle de la ville voisine d’Altona, alors danoise), et les autorités urbaines sont portées à la concertation. Fondé dès 1712, le HC rémunère les journalistes (qui peuvent ainsi vivre de leur production journalistique, une exception dans le contexte du XVIIIe siècle) et a compté parmi eux de très bonnes plumes, ainsi Gotthold Ephraim Lessing, Reimarus ou Adolph von Knigge. Il atteint vers 1800 sa diffusion maximale avec environ 50 000 exemplaires réalisés dans douze presses à main.

Francfort est, quant à elle, le lieu des couronnements impériaux et un nœud de communication, avec le bureau de poste de la famille Thurn und Taxis. Elle est directement touchée par la guerre puisqu’elle est occupée par les Français en novembre 1792, puis par les Prussiens. Si la ville est fortement francophone, la FO, fondée en 1615–1616, promeut de façon assez logique une ligne pro-impériale. La ville d’Augsbourg est quant à elle connue pour sa constitution paritaire et sa crise économique à la fin de l’Ancien Régime; elle ne doit faire face à une occupation qu’en 1796, après la tranche chronologique définie par l’autrice. Il n’est guère étonnant que l’AOP ait un profil catholique et pro-impérial.

Anne Sigrid Sawade-Pfeiffer étudie ces trois quotidiens entre 1789 et 1794, entre le début de la Révolution et la chute de Robespierre, partant la fin de la Terreur. S’il faut bien sûr veiller à la rédaction d’une thèse en des temps serrés, une telle délimitation omet les années 1794–1799, pourtant riches en événements (apparemment peu connus de l’autrice puisqu’elle les caractérise globalement par une libéralisation de la presse). L’autrice sonde les délais de transmission de l’information, son contenu et sa contribution à la formation de l’opinion publique. Logiquement, c’est à Francfort que les délais de l’information sont les plus courts. Le quotidien de Hambourg est le plus lent, notamment parce qu’il tente de vérifier le contenu des nouvelles.

Après avoir présenté son corpus et sa problématique, l’autrice étudie la source de l’information à Paris – la presse allemande étant en effet centrée sur la capitale (l’autrice ne se demande pas s’il en résulte certaines distorsions) –, le jeune milieu des journalistes et les tentatives de se situer au cœur de la politique en assistant aux délibérations de l’Assemblée nationale. Revenant sur la thèse de la Révolution comme événement médiatique qu’elle a pourtant d’emblée affirmée, elle la confirme dans le chapitre 4. Les chapitres suivants étudient la perception et la transmission de l’information dans les trois quotidiens de façon chronologique, au moyen d’une datation classique (débuts de la Révolution, première institutionnalisation 1789–1791, fuite à Varennes et proclamation de la République, procès et exécution du roi, Terreur, Robespierre et Thermidor).

Dans les quotidiens augsbourgeois et francfortois, l’information sur la Révolution forme plus de la moitié des articles parus, voire plus de 70% d’entre eux entre 1792 et 1794; leurs brefs articles laissent aux lecteurs le soin de se former un jugement, même si le »peuple« français est de plus en plus manifestement dévalorisé en la »canaille«, le Pöbel). Sans surprise, la relation des événements parisiens se concentre sur les jacobins et sur la personne de Robespierre qui semble en concentrer tous les maux, tandis que Thermidor est salué comme une ouverture.

C’est un sentiment mitigé qui se dégage de la lecture de ce livre. Anne Sigrid Sawade-Pfeiffer nous livre une analyse précise, qui confirme ce que l’on était en droit d’attendre; le lecteur reste sur sa soif de nouveau. L’approche de l’autrice est très proche des sources, qu’elle questionne peu (qu’en est-il des sources d’information tierces, via d’autres journaux allemands?). Sa connaissance de la Révolution ne donne pas l’impression d’être profonde. Elle n’en maîtrise en tout cas pas les débats historiographiques.

Son récit de la Terreur se fonde encore sur les travaux d’Albert Soboul, en ignorant les études essentielles de Jean-Clément Martin; sur Robespierre également, l’historiographie n’est pas à jour. L’autrice s’est donné le grand mal de lire deux journaux parisiens à la Bibliothèque nationale de France, alors que le premier, »Le Patriote François ou Journal libre, impartial et national de Brissot «est disponible en ligne sur Gallica depuis 2007 (http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32834106z), et que le second, les »Révolutions de Paris« de Prudhomme est également sur Gallica depuis 2013 (http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328561374). De toute évidence, l’autrice n’a noué aucun contact avec les historiens français de la Révolution, ce qui est fort dommage; cela lui aurait évité quelques menues erreurs et ouvert des pistes d’interprétation. On regrette enfin l’absence d’index.

Ce livre est une étude précise de l’importante réception de la Révolution française dans trois quotidiens allemands durant ses cinq premières années. Anne Sigrid Sawade-Pfeiffer aurait pu tirer plus de ses sources.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Claire Gantet, Rezension von/compte rendu de: Anne Sigrid Sawade-Pfeiffer, Die Französische Revolution im Spiegel der deutschen Tagespresse 1789–1795, Kelkheim (Stiftung Historische Kommission für die Rheinlande 1789–1815) 2018, 447 S., ISBN 978-3-9817831-7-9, EUR 44,00., in: Francia-Recensio 2020/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73309