L’histoire de la Rhénanie a été honorée en 2019 par la publication de deux ouvrages aux éditions Böhlau. Le premier prend comme cadre l’intégration de la Rhénanie dans le royaume de Prusse depuis le congrès de Vienne (1814–1815) jusqu’à sa constitution en province en 1822. Le second est un livre jubilaire de la cour d’appel de Cologne à l’occasion du deuxième centenaire de son érection en 1819.

La période qui suit la chute de l’Empire napoléonien est un moment crucial pour l’Allemagne et, notamment, pour la Rhénanie. Après leur conquête par la France sous la Révolution, les régions de la rive gauche du Rhin avaient été partagées en quatre départements sous le Directoire et intégrées au territoire français par le traité de Lunéville (1801). Puis, en 1804, le droit français y fut introduit par la promulgation du Code civil1; d’autres territoires sur la rive droite du Rhin le reçurent ultérieurement – comme le grand-duché de Berg, État satellite de la France, en 1810.

Entre-temps, en 1806, l’empereur François II, à la suite de la défaite de ses armées devant Napoléon et prenant acte de la constitution de la Confédération du Rhin, prononçait la dissolution du Saint-Empire romain de nation germanique. Cependant, quelques années plus tard, entre les batailles de Leipzig (1813) et de Waterloo (1815), l’Empire napoléonien amorça son déclin avant de s’effondrer. Bien que sa disparition suscitât de nouveaux espoirs au sein de la Confédération germanique – créée en 1815 lors du congrès de Vienne, en remplacement de la Confédération du Rhin –, la question de l’héritage français restait néanmoins posée.

Rassemblant les actes d’un colloque tenu en septembre 2015 à l’université de Bonn, l’ouvrage sur la Rhénanie s’ouvre par une introduction d’Helmut Rönz, laquelle présente – cartes géographiques à l’appui – les enjeux de l’intégration rhénane. L’incorporation de ce territoire situé de part et d’autre du Rhin2, aux multiples facettes – aussi bien dans les domaines culturel, confessionnel, social et démographique, que politique et juridique –, ne s’est pas faite aisément, comme le souligne l’ambivalence du titre même du livre: »La Rhénanie en chemin vers la Prusse – mais aussi le chemin de la Prusse vers la Rhénanie, avec la Rhénanie« (p. 14).

Quatre parties composent l’ouvrage. La première porte sur le congrès de Vienne et réunit quatre contributions qui traitent de l’histoire diplomatique entre les États européens (Dominik Geppert), de la ville de Vienne et de la vie quotidienne au temps du congrès (Thomas Just), des discussions sur le transfert du territoire rhénan à la Prusse (Stefan Laux), ainsi que de la figure du prince de Metternich – issu de la haute noblesse rhénane et né à Coblence –, et sa conception de la politique (Wolfram Siemann).

Une deuxième partie est consacrée aux relations entre l’État, les villes et leurs agents. Dans ce domaine, la continuité entre l’Empire français et la Prusse s’illustre à la fois par la permanence des personnels de l’administration (Martin Schlemmer) et par le pouvoir bureaucratique exercé sur les municipalités et les populations locales (Walter Rummel). Une troisième contribution s’attache à la figure du fonctionnaire prussien Johann August Sack, président de la Rhénanie, et son action pendant une courte période – entre 1814 et 1816 –, avant sa mutation en Poméranie (Margret Wensky).

Le renouveau universitaire allemand fondé sur le modèle humboldtien trouve une illustration avec la création le 18 octobre 1818, par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, d’une université à Bonn (préférée à Cologne); c’est l’objet de la troisième partie de l’ouvrage. Malgré des rapports tendus avec les Hohenzollern à ses débuts, l’université rhénane parvint à se développer et finit par accueillir des étudiants de familles princières allemandes – et spécialement les futurs empereurs Frédéric III et Guillaume II (Thomas Becker). L’importance des corporations d’étudiants en Allemagne méritait une étude du rôle des diverses associations dans ce domaine (Jürgen Kloosterhuis). Enfin, l’université de Bonn s’est dotée d’un institut royal d’agronomie créé, après quelques avatars, en 1847 (Erich Weiß).

La dernière et quatrième partie aborde la mutation de l’économie et des finances. Un premier article porte sur la contrebande sur le Rhin au cours des guerres napoléoniennes (Margrit Schulte Beerbühl); un second se penche sur le secteur bancaire et expose les conceptions prussienne et française mises en œuvre dans une Rhénanie en voie d’industrialisation (Boris Gehlen).

L’ouvrage sur la cour d’appel de Cologne, publié sous la direction du professeur Hans-Peter Haferkamp (université de Cologne) en association avec la présidente Margarethe Gräfin von Schwerin (cour d’appel de Cologne), rassemble neuf contributions en privilégiant le XIXe siècle. Bien que la Prusse désirât que la Rhénanie adoptât le Code prussien de 1794, la nouvelle province obtint néanmoins de conserver, à quelques exceptions près, son »droit rhénan«: le droit français y resta donc appliqué jusqu’à l’entrée en vigueur du Code civil allemand en 19003. C’est dire le rôle de la cour d’appel rhénane (Rheinischer Appellationsgerichtshof), érigée à Cologne le 21 juin 1819 par le roi Frédéric-Guillaume III, et l’importance de sa jurisprudence en la matière4. À la suite de la loi du 27 janvier 1877 sur l’organisation de la justice au sein du nouvel Empire allemand, la juridiction prit le nom, le 1er octobre 1879, d’Oberlandesgericht. Son histoire et, plus largement, celle des juridictions supérieures rhénanes depuis le haut Moyen Âge jusqu’au XXIe siècle, sont très précisément retracées dans une substantielle contribution de Dieter Strauch.

Hans-Peter Haferkamp indique, dans son propos liminaire, que les interrogations sur les influences »rhéno-franco-prussiennes sur les juges rhénans« (p. 12–13) sont à l’origine de l’ouvrage. Sa contribution part d’un cas d’espèce que la nouvelle cour d’appel devait trancher: à quelles conditions une convention était réputée illicite comme contraire à l’ordre public prévu à l’article 1133 du Code civil. L’interprétation des juges rhénans se distingua de leurs homologues français – et spécialement de la Cour de cassation. L’enseignement du droit romain dans les universités allemandes apprend au magistrat une certaine flexibilité…

Si le procès rhénan diffère du procès français, il présente également des différences avec le procès prussien. C’est cet aspect que développe Peter Oestmann en comparant la cour de Cologne avec la cour d’appel des quatre villes libres qui siégea à Lübeck de 1820 à 18795. Il nuance ainsi la distinction tranchée entre une procédure rhénane orale et une procédure prussienne écrite; et souligne qu’il reste beaucoup à faire dans le domaine de l’histoire procédurale!

À ce propos, Stefan Geyer recherche les témoignages d’»ancien droit« (c’est-à-dire le droit de l’»Ancien Régime«) dans la jurisprudence de la cour de Cologne. Dans la perspective de la restauration – présumée – d’une jurisprudence allemande, il y interroge l’opposition entre »étranger« et »propre« (p. 152). Il conclut que le droit français est, certes, un droit issu d’une domination étrangère, mais pas un droit étranger; mieux: il contribue au passage de l’ancien droit au nouveau.

Le recueil présente également les résultats (provisoires) de trois doctorants: la politique prussienne vis-à-vis du personnel de la cour de Cologne (Christian Wiefling), la question de la formation juridique confrontée aux différences entre la Rhénanie et la Prusse (Jacqueline Weertz), et la réalité d’un tribunal des métiers (le Gewerbegericht à Elberfeld, aujourd’hui Wuppertal), qui précède les juridictions du travail créées à la fin du XIXe siècle (Eric Zakowski).

Enfin, deux contributions portent sur l’environnement du juge d’appel: d’abord le cadre même de son travail avec une étude des bâtiments de la cour (Daniela Bennewitz); ensuite le cadre intellectuel avec une présentation de la très riche bibliothèque de la juridiction (Michael Frohn).

Ce sont là quelques aperçus sur deux ouvrages complémentaires qui constituent une solide étape dans la progression de la connaissance de l’histoire de la Rhénanie. De telles études en appellent naturellement d’autres à partir du dépouillement des nombreuses archives conservées – comme plusieurs contributeurs ont pu l’appeler de leurs vœux.

1 Les autres codes napoléoniens y furent également promulgués. Sur le Code civil, voir Robert Chabanne, Napoléon, son Code et les Allemands, dans: Études offertes à Jacques Lambert, Paris 1975, p. 397–426.
2 La province de Rhénanie, formée de la province de Juliers-Clèves-Berg et du grand-duché du Bas-Rhin, comprend les districts de Coblence (chef-lieu), Cologne, Düsseldorf, Aix-la-Chapelle et Trèves (qui intègre la Sarre, sans le Palatinat rhénan qui appartient à la Bavière).
3 Voir Werner Schubert, Le Code civil (Code Napoléon) en Allemagne au 19e siècle, dans: Régine Beauthier, Isabelle Rorive (dir.), Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré? Mélanges offerts à Jacques Vanderlinden, Bruxelles 2004, p. 101–126.
4 La cour rassemblait les anciennes cours d’appels de Trèves, de Cologne et de Düsseldorf. L’application du droit français avait également entraîné la création à Berlin, en 1819, d’une cour de cassation rhénane (Rheinischer Revisions- und Kassationshof). La juridiction fut réunie au tribunal suprême de Prusse (Preußisches Obertribunal) en 1852.
5 Il s’agit de Lübeck, Hambourg, Brême et Francfort-sur-le-Main. Les trois premières avaient été annexées par l’Empire français en 1810 et le Code Napoléon y fut appliqué; la quatrième (alors capitale du grand-duché de Francfort) reçut le Code en 1811. Les quatre villes abrogèrent le Code civil dès 1814.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Xavier Godin, Rezension von/compte rendu de: Thomas Becker, Dominik Geppert, Helmut Rönz (Hg.), Das Rheinland auf dem Weg nach Preußen 1815–1822, Wien, Köln, Weimar (Böhlau) 2019, 348 S., 56 Abb. (Stadt und Gesellschaft, 6), ISBN 978-3-412-50912-5, EUR 30,00; Hans-Peter Haferkamp, Margarete von Schwerin (Hg.), Das Oberlandesgericht Köln zwischen dem Rheinland, Frankreich und Preußen. Festschrift zum 200-jährigen Bestehen (1819 bis 2019), Wien, Köln, Weimar (Böhlau) 2019, 249 S., 17 s/w Abb. (Rechtsgeschichtliche Schriften, 32), ISBN 978-3-412-51313-9, EUR 45,00., in: Francia-Recensio 2020/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73338