L’ouvrage de Sonja Levsen est la publication d’un travail d’habilitation à diriger des recherches préparé à la Albert-Ludwigs-Universität de Fribourg-en-Brisgau et bénéficiant du soutien de la fondation Volkswagen. Il s’intègre dans une série de publications de l’auteur sur l’histoire comparative et transnationale de l’Europe occidentale après 1945, dont elle souligne à juste titre l’importance spécifique et croissante pour l’étude de cette période.
Dans cette perspective, »Autorität und Demokratie« questionne la réalité d’un autoritarisme spécifique à l’Allemagne post-nazisme, présenté comme un lieu commun partagé par les contemporains comme par l’historiographie. La culture politique autoritaire de l’Obrigkeit aurait ainsi imprégné à long terme la société allemande et la démocratie renaissante jusqu’aux années 1970. L’auteur retrouve ainsi la problématique du Sonderweg et de la sortie de ce chemin particulier après 1945, à travers le problème de l’occidentalisation et de la démocratisation.
C’est précisément ce constat central d’une partie de l’historiographie allemande (Arnd Bauerkämper, Anselm Doering-Manteuffel, Konrad H. Jarausch) que l’ouvrage s’attache à questionner: »Selon quels aspects et quelles formes [la transformation de la société allemande] se différencie effectivement de ses voisins par l’influence nazie, par les traditions de longue durée ou des constellations post-guerre, voilà ce que ce livre cherche à mettre en lumière pour la première fois« (p. 21). Le choix de la France comme point de comparaison est justifié en quelques brèves lignes par le fait que ce pays ne corresponde pas à l’idéal-type de l’occidentalisation en Allemagne, tout en étant également profondément affectée, comme l’Allemagne fédérale, par la rupture de la Seconde Guerre mondiale.
L’étude des rapports entre autorité et démocratie prend la forme d’une »histoire culturelle du changement éducatif en Allemagne et en France«, s’intéressant à la fois à l’instruction et à l’éducation des comportements. Le propos est centré sur l’instruction scolaire, la formation politique et citoyenne, la discipline des comportements et l’éducation à la sexualité, reprenant ainsi le point de vue du discours sur la jeunesse et à destination des jeunes largement étudié par une historiographie récente. L’analyse de la jeunesse est presque exclusivement circonscrite aux 10–19 ans, tranche d’âge où la majorité des jeunes habitent encore chez leurs parents et sont scolarisés.
Les sources utilisées sont donc principalement des périodiques sur ou à destination de la jeunesse tels que des journaux de jeunesse, des revues d’organisations de jeunes ou d’associations de parents d’élèves, des publications spécialisées sur la pédagogie, la psychologie ou l’éducation en général, des bulletins ministériels. À cela s’ajoute une abondante littérature d’époque que complète une bibliographie fournie sur le sujet dont on regrettera toutefois l’absence de classement. Le travail d’archives vient simplement compléter cette recherche, principalement pour l’enseignement et la politique ministérielle des lycées, ce qui n’est pas sans poser problème dans la mesure où l’auteur manque parfois de recul pour analyser les lignes éditoriales.
La période d’analyse s’étend de 1945 à 1975 en organisant le questionnement en sept chapitres et deux grandes parties autour du tournant des »années 1968«. L’ouvrage entend ainsi interroger le caractère de césure des mouvements dans l’histoire de la démocratie, en particulier du point de vue du changement des valeurs (Wertewandel) entre autorité et liberté. La période d’après-guerre (I) est vue essentiellement à travers les continuités et les ruptures avec les conceptions pédagogiques de la période de guerre.
Le second chapitre analyse la transformation de la culture scolaire et l’émergence de marges de liberté croissantes avant 1968, en particulier en Allemagne fédérale pour répondre aux impératifs de démocratisation des puissances occupantes (II). L’ouvrage étudie ensuite les enjeux d’une éducation politique de la jeunesse dans les années 1950–1960, entre dépolitisation apparente et réalité du développement de structures nouvelles (III). Les chapitres suivants portent respectivement sur la culture de la punition d’une »génération frappée« dans les deux pays (IV) et l’essor réel de l’éducation à la sexualité (V). Les deux derniers chapitres sont consacrés aux mouvements lycéens de 1968 à travers la politisation croissante des jeunes dans le cadre d’une transformation de ses structures (VI) et à la radicalisation ou à la libéralisation de la sexualité au début des années 1970 (VII).
Dans le sillage d’autres travaux comparatistes sur le sujet, l’ouvrage rappelle ainsi l’importance des évolutions de la société allemande dans l’éducation des jeunes au cours des décennies d’après-guerre. Contrairement au discours soixante-huitard d’une société sclérosée autour d’une »personnalité autoritaire« dénoncée par l’école de Francfort, il met en évidence l’importance des structures démocratiques, de la liberté d’expression, de la sexualité enfantine comme instruments de libération sociale. La comparaison avec la France éclaire l’importance du discours des psychologues en Allemagne – alors que la France est plus à l’écoute des pédagogues –, ainsi que le rôle de l’acculturation anglo-saxonne par rapport aux traditions françaises moins permissives dans le domaine de l’expression scolaire notamment. Finalement, ces évolutions auraient trouvé leur aboutissement en Allemagne dans la définition en 1968 d’un véritable projet éducatif antiautoritaire dont on ne trouve que peu de traces en France. Cette conclusion rejoint ici les travaux sur la force de la démocratisation de la société allemande après 1945 et sur le rôle des années 1968 comme accélérateur de sa transformation.
Si la démonstration d’ensemble est parfaitement utile, il convient de nuancer son caractère novateur et on pourra regretter l’absence d’un véritable cadrage historiographique dans ce domaine, comme d’une réflexion générale sur la notion de »transition démocratique«. L’historien français déplorera également le déséquilibre du travail. Au-delà des multiples coquilles et erreurs de terminologie qui émaillent l’ouvrage, la lecture de l’historiographie française s’avère parfois approximative et les problématiques françaises trop peu prises en considération. L’idée selon laquelle la notion de »culture politique« n’aurait »qu’une importance marginale« (p. 13) au sein de l’historiographie française du temps présent pose véritablement problème, dans la mesure où l’auteur passe ainsi à côté d’une forte tradition d’analyse de la culture républicaine et des cultures politiques partisanes.
Il en va de même de la comparaison des cultures politiques, elle aussi, largement étudiée (Anne-Marie Saint-Gille, Bernhard Gotto, Mathieu Dubois). Du point de vue méthodologique enfin, l’analyse se réduit souvent à une opposition différences/similarités, tandis qu’une comparaison des structures sociales sur le temps long aurait permis de nuancer certaines interprétations concernant le rôle de la période étudiée. L’ouvrage de Sonja Levsen apporte néanmoins une contribution intéressante et d’ampleur aux débats sur l’implantation et la stabilisation de la culture démocratique en Europe.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Mathieu Dubois, Rezension von/compte rendu de: Sonja Levsen (Hg.), Autorität und Demokratie. Eine Kulturgeschichte des Erziehungswandels in Westdeutschland und Frankreich, 1945–1975, Göttingen (Wallstein) 2019, 711 S., 7 Abb., ISBN 978-3-8353-3563-9, EUR 49,00., in: Francia-Recensio 2020/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73353