Cet ouvrage, édité par Magnus Brechtken, Thomas Raithel, Elke Seefried et Martina Steber, a été publié à l’occasion du soixantième anniversaire d’Andreas Wirsching, directeur de l’Institut für Zeitgeschichte et professeur d’histoire contemporaine à la LMU de Munich. Ce volume compile des articles rédigés par Wirsching entre 1990 et 2015 et significatifs des thèmes de recherche qui ont occupé l’historien munichois jusqu’à aujourd’hui. L’histoire de la démocratie constitue ainsi le fil rouge de cet ouvrage, aussi bien en Allemagne qu’en Grande-Bretagne et en France, qui font également l’objet d’articles et de comparaisons. La république de Weimar fait ici l’objet d’une attention particulière. On constatera également avec intérêt que Wirsching multiplie les points d’entrée dans l’objet de ses analyses, usant également à certains endroits des apports de l’histoire culturelle, de l’histoire des idées ou encore de la sociologie.

Dans la première section de l’ouvrage, consacrée au parlementarisme et à la représentation, Wirsching examine tout d’abord les principes de la constitution anglaise, basée sur le pragmatisme et l’empirie pour ensuite s’intéresser aux ambiguïtés de la relation qu’Hegel a pu entretenir vis-à-vis de ce modèle de représentation. Le deuxième article analyse, quant à lui, le rapport du personnel politique allemand à la question des initiatives populaires en RFA, en lien avec la référence à Weimar qui, au premier abord, fit figure de véritable repoussoir aux formes de démocratie directe, mais que Wirsching déconstruit ensuite.

Vient ensuite un article consacré au parlementarisme et à l’État des partis au cours de la république de Weimar. Les coalitions au pouvoir, larges à l’époque, sont analysées et Wirsching montre comment ces coalitions, formées au nom d’un idéal d’équilibre, prêtèrent le flanc à des critiques du régime et le fragilisèrent, alors qu’elles ne présentaient pas toujours un caractère nécessaire et finirent par faire des marges politiques la seule opposition viable à ce système. Enfin, le dernier article de cette première section est consacré à la France de la IIIe République et aux liens entre républicanisme et patriotisme. Selon Wirsching, le républicanisme a eu une fonction de garant de la stabilité du régime, créant des expériences et des traditions en commun et permettant d’atténuer les oppositions internes à la société.

La deuxième section est, quant à elle, consacrée au libéralisme. Wirsching étudie tout d’abord les Whigs britanniques, qui disposaient d’un profil éminemment aristocratique au XIXe siècle et qui durent progressivement gagner en popularité auprès du peuple pour changer de stature. Ensuite vient une biographie du premier président de la République fédérale, Theodor Heuss (1884–1963). Le libéralisme de Heuss ne se caractérisait tout d’abord pas dans une perspective individuelle et économique utilitariste. La participation active du citoyen dans la vie démocratique faisait figure de clé pour lui et c’est ainsi qu’il chercha toujours à s’impliquer activement durant la république de Weimar en tant que député, puis dans la reconstruction de l’État allemand après 1945. À ces deux études empiriques succède ensuite un article consacré aux relations entre marché et morale et sur leur possible compatibilité et à leur évolution historique, du XVIIIe siècle à nos jours.

La troisième section est consacrée aux marges de manœuvre réduites de la démocratie weimarienne, sur lesquelles on trouve également des analyses dans plusieurs articles des autres sections de l’ouvrage. La gestion autonome des communes apparaît comme une action en demi-teinte durant cette époque. Les communes ont dû faire face à un nombre croissant de tâches et de domaines de compétence, mais n’ont pas eu le temps de s’imposer, de développer leur place dans le dispositif administratif dans des conditions normales, à l’image de la république de Weimar dans son ensemble.

L’article suivant présente une focale plus large avec une analyse des cultures constitutionnelles en Europe dans l’entre-deux-guerres et Wirsching réfléchit notamment sur les typologies des États en fonction du développement du modèle de l’État-nation. Le concept de »Vernunftrepublikanismus« est ensuite étudié dans une perspective plus large que la seule prise en compte d’un petit cercle d’intellectuels. L’historien fait le constat de la diversité des milieux imprégnés par cette posture (bourgeoisie, tradition chrétienne, socialisme), ce qui rend la définition d’un type du Vernunftrepublikaner éminemment compliquée.

Dans le dernier article de cette troisième section, Wirsching s’intéresse au roman »Der Untertan« de Heinrich Heine dans la perspective des débats qui ont eu lieu dans les années 1970–1980 sur l’existence d’un Sonderweg allemand.

La section suivante est consacrée à la même période historique (1918–1939), mais porte plus précisément attention aux ennemis de la démocratie. La question de la violence politique en France et en Allemagne est tout d’abord étudiée à l’aune de critères à la fois européens, communs aux deux pays, comme l’usage de l’argument de la légitime défense pour justifier le recours à la violence, et spécifiquement nationaux. À cet endroit, Wirsching présente plusieurs »déficits« de Weimar par rapport à la IIIe République, comme l’absence d’une tradition politique ayant eu une fonction régulatrice en période de crise. Vient ensuite une recension de l’ouvrage de Klaus-Michael Mallmann qui propose une histoire sociale du KPD. À la fin de cette section, on retrouve un article consacré à la France et à la manière dont antisémitisme et antibolchevisme se sont combinés dans l’argumentaire d’une partie de l’extrême-droite au cours des années 1930 et comment le sentiment antiallemand, structurant au sein de cette extrême-droite française, s’est alors retrouvé en tension avec une forme d’approbation pour la lutte contre la population juive, menée après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933.

La dernière section de l’ouvrage permet d’effectuer un bond chronologique et de prendre en considération diverses transformations depuis les années 1970, alors que la majeure partie de l’ouvrage reste axée sur le XIXe et le premier XXe siècles. Wirsching s’intéresse d’abord aux questions d’individualité dans la société de masse moderne, ainsi qu’aux notions de travail et de consommation comme valeurs cardinales des sociétés occidentales. Ensuite, vient un bilan du gouvernement d’Helmut Kohl, qui avait placé, en 1982, sa politique sous le signe de la rupture. Wirsching voit dans la politique menée sous le mandat de Kohl une politique de gestion de crise, fortement axée sur le court terme, sans véritables réformes structurelles dans les phases de croissance économique plus soutenue. Enfin, dans le dernier article, Wirsching revient sur la notion de connaissance comme fondement de la société en Europe dans la deuxième moitié du XXe siècle.

La lecture de cet ouvrage s’avère au total extrêmement intéressante et riche. Les différents articles, par le caractère fondamental des questionnements qui les animent (fondements du régime démocratique, de sa légitimité …), ouvrent des perspectives stimulantes et au fil de ses contributions, Wirsching s’implique dans une science historique dynamique, en suggérant régulièrement des champs de recherche en friche, et montre ainsi, par le biais de ses contributions sur une période de 25 ans, les évolutions d’une science historique en train de se faire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Nicolas Batteux, Rezension von/compte rendu de: Andreas Wirsching, Demokratie und Gesellschaft. Historische Studien zur europäischen Moderne. Herausgegeben von Magnus Brechtken, Thomas Raithel, Elke Seefried, Martina Steber, Göttingen (Wallstein) 2019, 400 S., 1 Abb., ISBN 978-3-8353-3415-1, EUR 29,90., in: Francia-Recensio 2020/2, 19./20. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.2.73369