Comme l’indique l’auteur, cet ouvrage s’inscrit dans la tradition des travaux impulsés par Anton Schindling sur l’histoire du Saint-Empire, animés de la volonté de comprendre le fonctionnement de ce système politique et confessionnel à l’époque moderne. C’est bien ce à quoi s’est attelé Joachim Brüser en s’attachant à l’histoire de la ligue du Rhin de 1658, objet de son habilitation. Le thème est d’importance et demandait à être renouvelé. En effet, l’ancienneté de l’historiographie sur cette association appelait à de nouvelles mises en perspective, à une analyse nouvelle.

Le Rheinbund portait une image très négative, tant chez les contemporains que dans l’historiographie nationale allemande, n’étant considéré que comme un outil favorisant les menées françaises dans l’Empire, voire un outil de »l’oppression« française. Parmi d’autres, l’importante étude d’Erich Joachim (1885) sur la ligue du Rhin ne dérogeait pas à cette idée. Au XIXe siècle, après le rôle joué par Napoléon dans la fin du Saint-Empire et dans le contexte de la construction nationale allemande, cette vision ne pouvait guère fondamentalement changer, du moins pas avant la Seconde Guerre mondiale où Fritz Wagner (1941) souligne que le Rheinbund évoque encore une trahison, comprenons envers le peuple et à l’histoire allemands.

Après 1945, la nuance s’impose, tout en considérant que cette alliance constitue bien un outil essentiel de la politique extérieure de la France de Mazarin, mais avec la mise en avant du rôle joué par les princes allemands eux-mêmes, dont l’Électeur de Mayence. La perspective change, en ne posant plus les termes de l’approche dans l’imaginaire d’une forme d’opposition/oppression mais en regardant davantage les choses de l’intérieur, en intégrant le point de vue des États allemands, particulièrement des petits. Cette nouvelle perspective accompagne l’intérêt croissant qu’il y a pour l’histoire des petits et des micro-territoires de l’Empire.

L’auteur s’insère bien ici dans une dynamique plurielle tout en souhaitant tirer profit des très nombreuses sources à disposition, considérant qu’en dépit des publications sur le sujet, un travail de fond sur ces sources restait à faire (p. 29). De fait, Joachim Brüser s’appuie sur un impressionnant corpus d’archives manuscrites et éditées. Son objectif n’est pas une énième étude sur le positionnement de la France ou de l’empereur mais bien de partir de l’analyse du point de vue et de la politique des princes d’Empire. Voici bien un apport réel qui est de ne pas se situer au niveau des relations entre puissances – cette histoire est déjà bien connue – mais bien de mettre le focus »sur les petits territoires de l’Empire, pour lesquels la participation à la ligue du Rhin constituait une stratégie de survie entre les grandes puissances et les puissants princes d’Empire« (p. 31). Ainsi, il ne s’agit pas d’occulter les rôles et places de la France, de la Suède, de l’empereur ou d’autres puissants princes allemands, mais de toujours ramener l’approche au point de vue des États d’Empire eux-mêmes, ce qui permet d’ailleurs de réfléchir sur les intérêts croisés et de briser les reins à l’idée d’une France toute puissante qui impose ses volontés unilatéralement.

Pour ce faire, l’auteur a développé son étude en sept chapitres, le dernier tenant lieu de conclusion. Les deux premiers sont consacrés à la »préhistoire de la ligue du Rhin« et à son installation. Cette alliance n’émerge pas soudainement mais prend bien ses racines dans les alliances à la fois catholique et protestante qui émergent avec les années 1650, à la suite du traité de Westphalie. C’est bien toute cette phase de négociations, de rapprochements interconfessionnels et d’élargissement des partenaires – dont la France – dans le contexte notamment de l’élection impériale de 1658 qui sont abordés. Certes, ce n’est sans doute pas la partie la plus originale – elle s’appuie d’ailleurs largement sur la littérature existante – mais ô combien nécessaire pour appréhender le déroulé de la démonstration.

Au cœur de celle-ci, l’auteur a placé le fonctionnement de la ligue du Rhin. Pour ce faire, les structures de cette alliance sont observées: le rôle des conseils, celui des moyens également, à travers les finances et les troupes, soit 12 900 hommes pour l’année 1659. La négociation est au cœur de cette instance, comme d’autres dans l’Empire, et permet de se doter de cadres réglementaires, comme d’un règlement pour ces troupes (décembre 1658) et aussi de tribunaux militaires. Elle permet aussi de cadrer les contributions financières qui vont dans deux caisses, l’une à Francfort/Main et l’autre à Hildesheim, soit les deux lieux de réunion des conseils. Cet argent est confié à la gestion de banquiers, comme les frères Hinüber, et hommes d’affaires à l’exemple de Johann Ochs.

En plongeant dans les archives, Joachim Brüser montre bien les longues et difficiles négociations qui ont eu lieu pour tenter de trouver un accord sur les contributions, jusqu’à devenir un point d’achoppement entre membres de la ligue, un révélateur et un facteur de tensions internes. Les relations internes n’ont pas été facilitées par la question de l’élargissement de la ligue (chap. IV). Pour ce faire, l’auteur traite successivement de la place accordée à douze nouveaux partenaires et à l’échec pour six autres, comme aussi des contacts sans suite pris avec divers princes d’Empire; à nouveau, on notera le fort appui archivistique qui permet de développer ce point et le panel des situations, des réussites et des échecs.

Après avoir, en quelque sorte, posé et expliqué un cadre d’une manière approfondie et aussi nouvelle pour une grande partie, l’auteur frotte la ligue à la réalité des événements qui agitent l’Empire, posant la question du rôle joué par celle-ci au cours des années 1658 à 1668. Or, cette décennie connaît toutes sortes d’événements, de la guerre turque à la question de la politique française en Alsace suite au traité de Münster, en passant par la querelle du Wildfangrecht et les tensions entre la Suède et la ville libre de Brême. Cela permet de voir cette ligue en action, entre intercession et, au besoin, envoi de troupes. L’avant-dernier chapitre pose la question du prolongement de cette alliance, initialement prévue pour trois années, et dont l’existence a d’emblée été ébranlée par la question du contenu de la capitulation impériale de 1658, ce qui permet d’ailleurs de comprendre le jeu complexe des relations politiques et institutionnelles de l’Empire, notamment les discordances qu’il y avait entre le collège des princes électeur et celui des princes: ces désaccords, lisibles à la diète, se sont aussi retrouvés au sein même de la ligue du Rhin.

Malgré cela, deux prolongations de l’alliance sont établies, jusqu’à celle entrevue en 1668 mais la Ligue s’éteint sans dissolution officielle. Les archives, à partir de janvier 1668, ne font nullement mention de discussions pour une nouvelle reconduction du Bund, même si la France a cherché un moment à la ranimer. Il est vrai que le contexte politique n’est plus guère en faveur de la France, dont les membres de l’Empire se méfient de plus en plus, voyant davantage en Louis XIV un danger qu’un protecteur.

Pour finir, Joachim Brüser conclue sur une analyse de l’impact de la ligue du Rhin sur l’histoire de l’Empire, pour mieux synthétiser ce que l’on peut lire en filigrane au cours de sa démonstration. Il ne s’agit nullement d’idéaliser cette alliance qui a tout de même eu le mérite de transcender les frontières confessionnelles, ce que l’on voit aussi dans d’autres instances, comme les Cercles. L’auteur montre bien qu’il y a eu un pragmatisme certain chez les participants, avec l’objectif d’en tirer un profit.

L’étendard des libertés d’Empire est sans cesse brandi mais était-ce sans valeur? Quel rôle a pu jouer cette Ligue dans leur défense? Telles pourraient être résumées les questions posées, in fine, par l’auteur et qui rejoignent celles posées par d’autres auteurs, y compris par le célèbre Johann Jakob Moser à la fin du XVIIIe siècle. Cette ligue a de fait joué un rôle de contre-pouvoir aux velléités de renforcement du pouvoir impérial et a permis aux princes de s’affirmer comme une force politique, dans la lignée des possibilités offertes par la paix de 1648, comme aussi de montrer un réel patriotisme d’Empire chez eux.

La ligue du Rhin a également su protéger, au moins en partie, les petites principautés et les villes d’Empire non pas tant d’un danger venant de Vienne que celui, bien réel, de princes territoriaux voisins et ambitieux. Cela a été rendu possible car cette alliance, née des possibilités offertes aux membres de l’Empire de s’unir, a pu jouer le rôle d’un substitut aux autres instances d’Empire, en apportant une solution somme toute assez rapide à un problème donné. Ainsi, l’auteur met en avant l’idée que la ligue du Rhin a agi comme un facteur de stabilité interne à l’Empire, offrant un espace de discussion à des conflits naissants qui avaient la potentialité de dégénérer en de longues guerres, comme avec l’affaire d’Erfurt (1663/1664) qui pouvait engendrer de nouveaux dérapages interconfessionnels.

D’ailleurs, c’est certainement aussi là l’un des mérites de cette étude que d’avoir offert cette lecture, en affirmant que la ligue a bien été un facteur essentiel de la stabilisation des relations interconfessionnelles, au niveau institutionnel, après 1648. Reste la question de la ligue comme « cheval de Troie » de la France dans les affaires de l’Empire, qui n’était pas l’objet principal de ce travail. À cela, l’auteur peut répondre que si Louis XIV a vu dans cette alliance un outil de sa politique, les membres de la ligue n’en n’ont pas moins été des acteurs, pas des jouets. On retrouve là le point de départ de cette étude qui vise à regarder de l’intérieur, du point de vue des participants de cette alliance, et qui nous montre que s’il faut trouver un gagnant à cette affaire, il n’est peut-être pas du côté de la France, cette ligue ayant permis d’entrouvrir un peu plus la porte du patriotisme d’Empire, déjà poussée alors par des littérateurs. Ainsi, cet ouvrage est bien une étude importante qui apporte du nouveau dans cette riche histoire du Saint-Empire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laurent Jalabert, Rezension von/compte rendu de: Joachim Brüser, Reichsständische Libertät zwischen kaiserlichem Machtstreben und französischer Hegemonie. Der Rheinbund von 1658, Münster (Aschendorff) 2020, 448 S., ISBN 978-3-402-13406-1, EUR 62,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75507