Toute initiative contribuant à l’intérêt que peut porter le public à l’histoire et au patrimoine français est toujours louable. À plus forte raison lorsqu’il s’agit d’éclairer la vie et la carrière de Jean-Baptiste Colbert dont l’action fut récemment enjeu de polémiques politiques et médiatiques. Sa statue, dressée devant l’Assemblée Nationale, création de Jacques-Edmé Dumont, figurant parmi celles des grands commis l’État censés incarner au XIXe siècle les vertus de l’action politique, fut même affublée d’un tag rouge sang fustigeant la »négrophobie d’État«. La lectrice ou le lecteur pourrait donc trouver dans cette courte et synthétique biographie du ministre Colbert l’occasion de mieux connaître son action et l’époque dans laquelle il a œuvré au service du roi.

C’est en tout cas l’ambition initiale d’Anne Cauquetoux, annoncée dans l’avant-propos du livre: »Le règne de Louis XIV fait partie sans conteste des moments fondateurs de notre histoire nationale […] il peut être tentant de venir y puiser des réponses à nos interrogations ce qui fonde la société française » (p. 11). Pour l’auteur, se pencher sur la vie de Colbert permettrait de mieux comprendre le règne »du plus grand roi du monde«. Il s’agit pour elle de rompre quelque peu l’image du »saint laïque préfigurant les grands hommes de la République« qu’a pu incarner Colbert pour montrer qu’il était aussi »cupide, froid, calculateur, n’oubliant jamais ses intérêts propres et écartant avec rudesse tout ce qui se trouvait sur son chemin« (p. 12).

L’auteur a eu la bonne idée de ne pas se contenter d’une biographie mais, plus largement, d’essayer de contextualiser l’action de Colbert. Ainsi propose-t-elle des développements utiles relatifs aux grands événements politiques ou à certaines réalités sociales du Grand Siècle.

Cette courte biographie, synthétique, est agréable à lire, malgré quelques formules relevant d’un style oral, proverbial ou imagé: »Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes » (p. 42.); « Colbert et le roi savent qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud« (p. 65); »L’argent ne fait pas le bonheur. Malgré son train de vie luxueux, Colbert voit sa santé s’aggraver« (p. 132); »Le cadavre de Jean-Baptiste n’est pas encore froid que le clan des Louvois se rue sur ses dépouilles ministérielles« (p. 147), »Après les rentiers, les officiers entrent dans l’œil du cyclone« (p. 71) …

Si une lectrice ou un lecteur découvrant le sujet peut trouver la lecture du livre plaisante et apprendre un certain nombre de choses sur le XVIIe siècle, l’historienne et l’historien ne peuvent que regretter un certain nombre de travers et d’erreurs. Anne Cauquetoux se présente comme une historienne de formation. Pourtant, elle semble avoir oublié quelques principes de base. Un livre d’histoire s’écrit à partir de sources ou de travaux dûment référencés. Or, aucune source primaire, aucune lettre précise et datée de Colbert, aucun travail d’historienne ou d’historien, ne vient étayer son propos. Le livre ne contient même pas une bibliographie rudimentaire. Il s’agit peut-être d’une contrainte éditoriale mais la conséquence de cela est que le lecteur ne fait pas toujours la différence entre les informations scientifiques que l’auteur a collectées sur Colbert, sur l’État royal ou encore sur la société du XVIIe siècle et ses propres opinions ou analyses. L’ouvrage n’est pas une synthèse nuancée et documentée sur Colbert mais plutôt une libre interprétation de l’autrice sur un grand personnage du règne de Louis XIV.

On regrettera qu’il fasse place au jugement de valeur: »Il n’y a rien de plus injuste et d’inégal que la fiscalité d’Ancien Régime« (p. 23); »Richelieu, avouant son ignorance matière fiscale, préfère déléguer les levées d’argent aux gens d’affaires« (p. 23); »au fond, Colbert n’est pour Mazarin rien d’autre qu’un très bon domestique« (p. 39). L’historien se doit davantage d’expliquer les réalités d’une époque que de les juger.

L’ouvrage n’est pas exempt de téléologie: »Colbert […] piaffait d’intervenir dans les affaires de l’État« (p. 42) ou d’explications simplistes: »La Fronde s’explique par la politique centralisatrice et fiscale de Mazarin, qui n’a cessé de cristalliser les mécontentements des uns et des autres« (p. 29), »les parlementaires et princes s’unissent« pendant la Fronde (p. 33). Il suffit de relire les mémoires du cardinal de Retz pour prendre conscience à quel point les affaires étaient complexes, les objectifs politiques très divers, les rivalités et les querelles de préséance très importantes entre la noblesse et la magistrature parisienne pour céder à une explication unique. Les frondeurs ne se retrouvaient d’ailleurs pas tous dans le rejet du principal ministre.

S’il y a, dans ce livre, quelques explications assez justes, il y a aussi beaucoup d’approximations qui peuvent conduire le lecteur à des contresens sur la période. L’autrice affirme, par exemple, qu’entre 1661 et 1665 »l’anarchie règne au royaume de France; les despotes locaux profitent de l’incroyable enchevêtrement de juridiction, de lois et de coutumes pour imposer leur bon vouloir, sûrs de leur impunité; les officiers abusent de leurs prérogatives; l’argent public ne tombe pas que dans les poches des intermédiaires« (p. 65). Toutes les provinces n’ont pas été également touchées par la Fronde. Par ailleurs, il ne faut pas prendre à la lettre les formules utilisées par la monarchie dans ses édits ou ses ordonnances pour justifier ses réformes ou ses actions autoritaires. La part de la rhétorique est importante en politique au XVIIe siècle: les discours politiques ne traduisent pas forcément une réalité politique ou sociale.

Ailleurs, l’auteur présente la société »d’Ancien Régime« (expression abandonnée aujourd’hui par les historiennes et historien de la monarchie) comme »une société de classes« appuyée sur »les trois ordres que sont le tiers état le clergé et la noblesse«, pas complètement sortie de »la féodalité« (p. 62). Si les trois ordres subsistent dans le discours politique, la réalité sociale est plus complexe. Quant à l’usage du terme féodalité pour le XVIIe siècle, il est anachronique tout comme l’expression »société de classes«.

Autre problème: Anne Cauquetoux cède à la psychologie sommaire, présentant souvent les caractères des personnages de façon caricaturale voire manichéenne: Le Tellier en 1650 se serait agacé »des mauvaises manières de son commis [Colbert], dont on sent poindre, déjà, le caractère entier autoritaire« (p. 32; Fouquet serait tout le contraire de Colbert, »fastueux, plaisant, courtisan, brillant dilettante et beau parleur, séducteur, amateur d’art […] c’est un précieux, amateur de femmes« (p. 44.); Colbert serait, pour sa part, »rationnel et rigoureux« (p. 37) ou encore »jaloux et possessif« (p. 120). Mazarin, enfin, serait »brouillon, excédé par l’attention pointilleuse que lui demande Colbert, qui soupire après le manque de rigueur du ministre«.

À terme, le livre contribue davantage à pérenniser l’image du »grand commis de l’État« brossé par les historiens du XIXe siècle contrairement à l’intention initiale de l’auteur: »Jean-Baptiste Colbert a également remis de l’ordre, de la méthode de la logique dans le budget de l’État, mettant sur pied la comptabilité publique, et donner à l’administration, avec son armée de commis […] le futur instrument fondamental de son fonctionnement, à savoir le fonctionnaire. Il a lancé l’unification la centralisation du royaume, fait de Paris le moteur de sa politique centralisée établit les balbutiements d’un marché intérieur. Son travail unification législative a servi de base à Napoléon, certaine ordonnance on donnait des cadres utilisés par la société française jusqu’au XXe siècle« (p. 149).

Il est dommage que cette synthèse n’ait pas été nuancée et enrichie par les travaux récents menés sur l’État royal, les ministres par Thierry Sarmant et Mathieu Stoll et les finances au XVIIe siècle par Katia Béguin et Marie-Laure Legay1.

1 Thierry Sarmant, Matthieu Stoll, Régner et gouverner: Louis XIV et ses ministres, Paris 2010 ; Katia Béguin, Financer la guerre au XVIIe siècle : La dette publique et les rentiers de l'absolutisme, Seyssel 2012 ; Marie-Laure Legay, La banqueroute de l'État royal : la gestion des finances publiques de Colbert à la Révolution française, Paris 2011.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Xavier Le Person, Rezension von/compte rendu de: Anne Cauquetoux (éd.), Jean-Baptiste Colbert. Le bâtisseur, Toulouse (Éditions Privat) 2019, 163 p. (Privat histoire), ISBN 978-2-7089-5642-1, EUR 16,90., in: Francia-Recensio 2020/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75508