La maîtrise de différents modèles de communication fait, en ce XXIe siècle, parti des compétences attendues chez les historiens et les historiennes. Dans l’historiographie allemande, l’importance de la »communication« dans la recherche a été confirmée par la fondation d’un journal académique, le »Jahrbuch für Kommunikationsgeschichte« (JbKG), qui s’engage à offrir un »interdisciplinary forum for scholars interested in the history of culture, media, communication and many related fields«1. Le journal récapitule les résultats de la recherche récente en histoire de la communication, soit par l’étude de sources, soit par des contributions méthodologiques, théoriques ou empiriques. En 2018/2019, ce journal annuel fondé en 1999, a fêté son vingtième numéro. À cette occasion, les éditeurs du journal ont rassemblé une compilation d’articles du »JbKG«; nous rendons compte ici du premier volume consacré à l’époque moderne.
Il expose les approches empruntées par l’histoire de la communication pendant les vingt dernières années pour la période des temps modernes. Les dix articles sélectionnés sont d’abord parus dans les volumes du »JbKG« entre 2001 et 2014. Bien que la promesse d’un tel volume à l’occasion du XXe anniversaire de la revue se limite normalement à une présentation hétérogène des résultats, cette parution fascine par sa cohérence non orchestrée: Les articles – formant chacun une part importante de la recherche – consistent en des études individuelles et diverses du Moyen Âge tardif jusqu’au XVIIIe siècle qui parviennent à des résultats structurels sur la communication, les médias ou »le public« des temps modernes. Certains aspects de la »communication moderne« peuvent ainsi être soulignés par la compilation proposée dans ce volume commémoratif:
Ainsi, se dessine d’abord une histoire médiatique de l’acquisition d’informations. Achim Landwehr (»Die Stadt auf dem Papier durchwandern. Das Medium des Reiseberichts im 17. Jahrhundert«, p. 10–32) classe les récits de voyage parmi les publications devant satisfaire les attentes du genre littéraire et du public. Landwehr les situe entre la standardisation par l’»ars apodemica« et la promotion d’éléments de l’»extraordinaria«, mais souligne leur fonction qui est d’informer du public, à l’exemple d’un récit de voyage wurtembergeois datant de 1658. Un autre moyen d’information, les lettres de nouvelles, est au centre de l’étude de Cornel Zwierlein (»Gegenwartshorizonte im Mittelalter: Der Nachrichtenbrief vom Pergament- zum Papierzeitalter«, p. 225–282), qui insiste sur l’importance de l’évolution du support pour la diffusion de ce média, du parchemin au papier.
Une deuxième partie est consacrée à l’histoire de la presse, aussi bien de la presse périodique que des journaux ou des pamphlets et autres supports similaires. Ici, l’article de Johannes Weber (»Straßburg 1605: Die Geburt der Zeitung«, p. 149–172) représente une contribution essentielle sur le projet, l’idée et le développement de la presse imprimée au XVIIe siècle à partir de l’exemple strasbourgeois. Dans la même perspective, l’article de Holger Böning (»Dem Bürger zur Information und Aufklärung: Die ›Staats- und gelehrte Zeitung des Hamburgischen unpartheyischen Correspondenten‹«, p. 283–319) examine l’influence publique d’un journal hambourgeois sur les Lumières allemandes. Ces études sur les journaux modernes de l’Europe occidentale sont complétées et confirmées par la lecture de l’article d’Ingrid Maier (»Presseberichte am Zarenhof im 17. Jahrhundert. Ein Beitrag zur Vorgeschichte der gedruckten Zeitung in Russland«, p. 121–147), qui s’intéresse aux traductions et aux usages de ces journaux à la cour du tsar de Russie. L’autrice rappelle aussi la conservation des journaux imprimés dans les archives et les bibliothèques de Russie, qui constitue souvent le seul moyen d’y accéder aujourd’hui.
Mise à part la presse imprimée, les publications spontanées/conjoncturelles – pamphlets et autres – font l’objet d’observations, notamment dans les articles de Johannes Arndt (»›Pflicht=mässiger Bericht‹. Ein medialer Angriff auf die Geheimnisse des Reichstags aus dem Jahr 1713«, p. 33–63) et d’Astrid Blome (»Vom Adressbüro zum Intelligenzblatt – Ein Beitrag zur Genese der Wissensgesellschaft«, p. 173–199).
Étroitement lié à la presse, le volume pose la question du/des public(s) à l’époque moderne. Chez Landwehr, les demandes du public s’apparentent à celles d’un marché qui décide de /oriente la structure des publications. Quant à Jürgen Wilke (»Vom stationären zum mobilen Rezipienten. Entfesselung der Kommunikation von Raum und Zeit – Symptom fortschreitender Medialisierung«, p. 65–119), il contribue à la question de l’évolution des types de publics et expose sa théorie d’une flexibilité grandissante de la consommation des médias dès le XVe siècle. Selon lui, la réception de nouvelles grâce aux médias disjoint constamment l’espace et le temps, depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à l’avènement des téléphones portables du XXIe siècle.
Bien que les données sur leur utilisation, rassemblées dans cet article paru en 2004, nous semblent des plus étranges, ce petit ouvrage propose un regard visionnaire et sophistiqué. Après 16 années supplémentaires d’évolution des médias, ce dernier pourrait facilement être étendu aux smartphones et aux réseaux sociaux. En plus de cette attention portée au public, le volume présente un article d’Esther-Beate Körber (»Vormoderne Öffentlichkeiten. Versuch einer Begriffs- und Strukturgeschichte«, p. 201–223), qui, par sa critique sémantique du terme »Öffentlichkeit« (public) et par sa pluralisation de différentes »Teilöffentlichkeiten« (publics particuliers), contribue fortement au dépassement du dogme de la »repräsentative Öffentlichkeit« de Jürgen Habermas.
Les réactions et les relations des autorités étatiques face aux médias constituent le quatrième et dernier aspect de l’ouvrage. Grâce à l’analyse d’un pamphlet de 1713 sur la diète impériale, Johannes Arndt constate que le l’État et les médias coexistaient et s’influençaient réciproquement. En revanche, les autorités n’avaient aucune emprise sur les médias. Lorsque les autorités essayèrent de reprendre le contrôle sur les publications imprimées en organisant des autodafés de livres, le cérémoniel ainsi mis en scène et la destruction des imprimés par le feu, n’était pas suffisant. Daniel Bellingradt (»Wenig Papier, viel Aufwand. Öffentliche Buchverbrennungen der Frühen Neuzeit als materielles Problem«, p. 320–340) démontre comment les autorités firent disparaître des médias, en prolongeant le cérémoniel des autodafés de livres, et donc la manière dont la matérialité de la communication influença son traitement autoritaire aux Temps modernes.
Cette compilation réalisée à l’occasion des vingt ans du »JbKG« offre un coup de projecteur sur l’état des recherches, sur le public et les médias à l’époque moderne, qui peut énormément profiter à la recherche actuelle en Allemagne comme en France. Ce volume démontre en outre la nécessité d’un accès pluriel aux journaux académiques: le »JbKG« ne se trouve que dans deux bibliothèques en France (c’est-à-dire à Paris), mais il est disponible en ligne (exclusivement par abonnement)2. Les articles sont accompagnés de résumés en anglais et en allemand.
Ensemble, les articles font ressortir des structures communicatives et médiatiques du Saint-Empire jusqu’à la République fédérale, jettent des ponts et signalent des ruptures entre le XVe et le XXIe siècle, de l’invention de l’imprimerie à Google, des pourfendeurs de journaux aux animateurs de talk-show.
Aussi présente-t-elle une historisation et une compréhension de notre vécu et accomplit-elle une tâche centrale dans l’historiographie. Les thèses présentées dans ce volume font non seulement avancer la recherche sur l’époque moderne, mais affirment également sa nécessité aujourd’hui.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jonas Bechtold, Rezension von/compte rendu de: Daniel Bellingradt, Holger Böning, Patrick Merziger, Rudolf Stöber (Hg.), Kommunikation in der Frühen Neuzeit. Beiträge aus 20 Jahren »Jahrbuch für Kommunikationsgeschichte«, Stuttgart (Franz Steiner Verlag) 2019, 340 S., 10 s/w Tab., 41 s/w Abb. (Beiträge zur Kommunikationsgeschichte, 31.1), ISBN 978-3-515-12313-6, EUR 56,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75521