Véronique Beaulande-Barraud, maître de conférences à l’université de Reims Champagne-Ardenne, nous livre une belle étude d’histoire médiévale consacrée aux péchés et tirée d’une habilitation à diriger des recherches.
L’autrice, portant son regard sur la pénitence et l’absolution, fait courir son étude du XIIe au XVe siècle. L’objectif est de mettre en lumière les différents cas réservés (casus reservati), leur gestation et leur développement. En effet, c’est en 1131 que le décret Si quis suadente établit le premier cas réservé connu: une excommunication prononcée uniquement par le pape contre ceux qui frappent un clerc. À la fin du XVe siècle, il en existera toute une liste. Le nombre de cas réservés n’a fait que croître jusqu’à la fin du Moyen Âge. Les cas réservés font partie des moyens de gouverner de l’Église qu’il s’agisse de l’articulation des pouvoirs au sein du clergé ou dans l’action pastorale envers les fidèles.
La première partie de l’ouvrage concerne la définition des cas réservés telle que l’a donnée la doctrine de l’Église. Les cas réservés pontificaux sont nés du »centralisme pontifical«. Des cas épiscopaux apparaissent comme réponse à la fois de la plenitudo potestatis du pape et à la valorisation du rôle de simple prêtre dans l’encadrement des fidèles. En vérité, en s’octroyant les cas réservés, la papauté mais également l’épiscopat y trouvent un moyen d’affirmer leur autorité. À la fin du XIIe siècle, les évêques ont à leur tour exclu les »plus grands péchés« de la compétence pénitentielle des prêtres de paroisse.
Le premier chapitre est consacré à la naissance et à la normativisation de la réserve aux XIIe et XIIIe siècles, tandis que le deuxième permet d’aborder les différents auteurs qui l’ont théorisée (Hortiensis, Jean de Fribourg, etc.). Enfin, le troisième chapitre contient un essai de typologie des cas réservés, et des développements sur la casuistique.
Dans la deuxième partie, Véronique Beaulande-Barraud aborde la pratique. Il s’agit ici d’atteindre la réalité de la mise en œuvre de la réserve et d’en comprendre la portée ecclésologique par une étude des cas épiscopaux. Elle met en lumière la manière dont le système pénitentiel a été pensé et organisé, les acteurs qui vont absoudre les péchés réservés et la temporalité de la mise en œuvre qui en découle.
Le premier chapitre concerne les liens qui unissent les cas réservés et la pastorale de la pénitence. Le deuxième chapitre s’intéresse à la pratique judiciaire. Enfin, le troisième et dernier chapitre aborde l’Église au miroir des réservés; l’autrice y propose une étude de la hiérarchie juridictionnelle de l’Église, replace les cas réservés dans la querelle entre séculiers et Mendiants et évoque les dangers de la réserve.
Par l’étude des sources canoniques, des archives des officialités, des suppliques de la Pénitencerie apostolique, l’autrice éclaire ces cas réservés en les remettant dans leur contexte et en en restituant toute leur complexité, leurs fonctions et leurs finalités. Cet ouvrage novateur, clair et complet met en valeur la construction de la hiérarchie de l’Église par les formes de mobilisation du for de la pénitence. C’est là toute son originalité et toute sa pertinence.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Véronique Beaulande-Barraud, Les péchés les plus grands. Hiérarchie de l’Église et for de la pénitence (France, Angleterre, XIIIe–XVe siècle), Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2019, 344 p. (Histoire religieuse de la France, 47), ISBN 978-2-7535-7738-1, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75541