L’ouvrage de Philip Caudrey s’attache à une institution originale, qui n’a pas d’équivalent dans le royaume de France: une cour de justice réservée aux seuls lignages nobles et à leurs prérogatives chevaleresques. Le livre se divise en quatre parties (»Military service«; »Lordship«; »Region, locality and community«; »Soldiers, civilian and Chivalry memory«). L’auteur a travaillé sur trois procès emblématiques et bien documentés qui permettent de mettre en lumière cette société militaire anglaise entre le XIVe et le XVe siècle. L’activité de cette cour de chevalerie porte pour l’essentiel sur les arguments d’attribution des blasons, des meubles à intégrer ou non dans les armoiries familiales, en particulier au moment des héritages. Trois Armorial cases conservés aux National Archives ont été exploités: l’affaire Scrope versus Grosvenor, l’affaire Lovel versus Morley et celle de la famille Grey versus Hastings.

Si tout le monde s’accorde sur le fait que l’origine de l’héraldique est militaire, P. Caudrey montre comment cette héraldique a structuré et forgé l’identité de la noblesse anglaise à la fin du Moyen Âge. Ce dont témoignent précisément les procédures conduites devant la cour de chevalerie. Si cette cour est attestée en 1347, ses origines sont plus anciennes et pourraient remonter à la rédaction de la Common Law. Elle est aussi associée au développement des offices de connétable et de maréchal.

Au XIVe siècle, l’ampleur nouvelle de l’activité militaire des chevaliers anglais sur le continent a entrainé une inflation des requêtes devant la cour. L’afflux a sans doute contribué à recevoir des instances très variées, allant bien au delà des contestations de blasons. S’y trouve mêlés des procès pour trahison comme des points de procédure (duels). Cette hétérogénéité juridictionnelle traduit aussi les limites un peu floues de ses compétences. La cour de chevalerie intervient en fait pour combler les manques: s’y trouvent convoqués tous les cas qui ne sont pas évoqués par la Common Law, en particulier les litiges extérieurs au royaume qui impliquent des nobles anglais. Ainsi, se dessine à travers cette jurisprudence ce que l’auteur désigne par le terme de »Law of Arms«.

Pour autant, les nobles d’Angleterre, ici comme ailleurs, conservent le droit de recourir aux armes pour trancher les conflits qui les opposent à leurs pairs, d’où l’importance du duel judiciaire, que révèlent aussi ces archives judiciaires. Malgré la richesse documentaire de ce fonds, une part de l’activité de la cour nous échappe, car nombre de registres originaux ont été perdus.

Trois grands procès apportent ici le matériau essentiel et exclusif de l’auteur pour sa démonstration. Ces trois procès portent sur la contestation d’armoiries entre plusieurs familles de la gentry (»Heraldic Disputes«). Les dossiers judiciaires sont inégalement riches, mais ils permettent de regrouper des centaines de dépositions et fournissent les détails de la procédure suivie par la cour. Le procès Scrope/Grosvenor se révèle particulièrement dense avec ses 400 parchemins cousus ensemble. Si la déposition de Robert Grosvenor a disparu, la procédure comprend 151 témoignages. Le procès Lovel/Morley n’a conservé que 62 dépositions sur les 157 qui le composaient à l’origine. La copie du procès Grey versus Hastings constitue un autre dossier volumineux (700 pages) mais conserve peu de dépositions, excepté celle de Grey.

L’intérêt de ces dossiers judiciaires est de nous fournir un éclairage inattendu sur les carrières militaires de ces combattants durant la guerre de Cent Ans. Ils nous permettent de suivre sur plusieurs décennies leurs expéditions ou celles de leurs hommes d’armes en Écosse, en Flandres, en France ou ailleurs sur le continent. Ces documents fournissent également des éléments sur la culture chevaleresque à travers les controverses héraldiques.

Depuis leur édition au XIXe siècle, ces sources ont donné lieu à plusieurs analyses (J. G. Nichols, A. Ayton, M. H. Keen, M. Vale), mais l’auteur cherche à mettre en lumière une rupture dans la tradition chevaleresque entre le XIVe et le XVe siècle. À cet égard, l’ouvrage met l’accent sur la construction mémorielle, individuelle et collective, de la noblesse militaire anglaise et ses inflexions. Une mémoire nobiliaire, pour une part reconstruite, où se mêle souvent la nostalgie des combats. Elle se structure et se sédimente en particulier à travers les victoires emblématiques de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt (»the revival of English martial glory under Henry V«).

Ces dépositions donnent alors des témoignages très vivants de la tradition militaire de certaines familles nobles pendant la guerre de Cent Ans, lesquelles ont servi depuis Édouard III jusqu’à Henri V (en particulier les témoignages de R. Grosvenor et E. Hastings). Ces sources permettent aussi de retrouver tous les réseaux de fidélité tissés par et entre les grands lignages (retenues, endentures, offices, etc.), dans des solidarités à la fois horizontales et verticales. Lors des confrontations judiciaires, la multiplicité et la force des liens de fidélité permettent ainsi de mobiliser derrière ces familles des régions entières. Ceci explique que des centaines de témoins peuvent être convoqués à la barre. Le dernier chapitre du livre est consacré à la mémoire chevaleresque (»Chivalric Memory«), dont les glorieux faits d’armes du XIVe siècle continuent paradoxalement de nourrir et d’exalter au XVe siècle un code de valeur qui ne correspond déjà plus aux aspirations de la noblesse, du moins pas dans son intégralité. D’une certaine manière, l’auteur insiste sur un tournant au sein de cette gentry, où la culture militaire, l’engagement sur la voie des armes perd son caractère héréditaire.

La richesse de l’analyse de Philip J. Caudrey est indéniable, et la question du tournant idéologique est pertinente. On pourra regretter les lacunes historiographiques, en particulier pour les références en matière d’héraldique, riche dans la littérature française, à commencer par les travaux de Laurent Hablot.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Valérie Toureille, Rezension von/compte rendu de: Philip J. Caudrey, Military Society and the Court of Chivalry in the Age of the Hundred Years War, Woodbridge (The Boydell Press) 2019, XII–227 p. (Warfare in History, 46), ISBN 978-1-78327-377-5, USD 99,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75544