Il est rare de voir son mémoire de »master« publié. Dans le cas de Lucie Jardot, c’est justifié, tant son travail de recherche était ambitieux: à partir des signes qui servent à authentiquer les actes, étudier les pratiques du pouvoir des comtesses de Flandre et de Hainaut, durant la fin du Moyen Âge, les deux comtés se trouvant sous un régime d’union personnelle de 1191/1195 à 1280 et à partir de 1433, le terme de l’étude étant 1482, mort de Marie de Bourgogne.

Après une introduction (p. 17–35) où elle présente l’état de la recherche, ses sources (62 types de sceaux et 403 actes, traités informatiquement) et son questionnement, elle commence son premier chapitre (p. 37–91) par la question de l’identité (»personnalité juridique et lignagère des femmes«) de la comtesse à travers ses choix (personnels, conseillés?) héraldiques et iconographiques (via un passage de la forme en navette à la forme ronde en 1346 en Hainaut, en 1362 en Flandre), de titulature (relevons que les princesses du sang royal affirment leur origine: »fille du roi de France«, »de France«).

Le deuxième chapitre (p. 93–142) concerne l’apposition du sceau, vue comme une »mise en scène du pouvoir politique«, le sceau étant considéré comme proférant un »discours«. L. Jardot y étudie la couleur de la cire (verte ou rouge, qui s’impose), le nombre de queues, et la décoration des actes, auxquels elle passe avec le troisième chapitre (p. 143–179). Elle s’intéresse à l’environnement textuel du sceau, aux usages linguistiques (français, latin), aux mentions hors teneur indiquant le rôle de la princesse.

Dans le quatrième chapitre (p. 181–210), elle se penche sur la place du sceau dans l’acte, au sceau conjoint avec le mari (objet de légitimation), aux contre-sceaux des secrétaires. L. Jardot passe ensuite dans un long cinquième chapitre (p. 211–286) au rôle de la comtesse comme pacificatrice, vectrice d’identité lignagère et mémorielle et transmettant son nom (prénom) et ses armes.

Enfin, le dernier chapitre (p. 287–350) est consacré à la relation de la comtesse avec le pouvoir, par le »discours« idéologique de l’emblématique (par ex. la Vierge, l’enclos et le sanglier de Jacqueline de Bavière), l’apparition de la signature, l’exercice lui-même du pouvoir lors d’une lieutenance générale ou du veuvage. Dans sa conclusion, que nous ne pouvons que partager, Lucie Jardot rappelle l’importance du sceau dans l’histoire des représentations.

Soulignons que pour un travail de »master«, elle a effectué pour ainsi dire un travail de thèse: elle y montre une maîtrise de l’étude diplomatique rare (pour ce qui reste une tâche aride) et un apport d’inédits, notamment en ce qui concerne Jacqueline de Bavière.

Si Lucie Jardot maîtrise bien les développements conceptuels concernant le sceau, il est regrettable qu’elle (ou la personne qui l’a aidée) ne montre pas plus de maîtrise du latin et de l’histoire des régions étudiées. Prenons deux exemples: la légende du sceau représenté pl. V, fig. 10, est donnée, p. 71–72 comme /S’ MARGARETE COMITISSE FLANDRIE ET HAINOIE (recte HAINONIE, le O devant être surmonté d’un tilde), p. 75 et 237 comme MARGARETE SORORIS COMITISSE FLANDRENSIS, et p. 333 comme sororis comitisse flandrie et hainoie (sic), alors qu’on lit dictinctement SIGILLUM MARGAR[ETE COM]ITISSE FLANDRENSIS, la partie entre crochets étant manquante et les mots ET HAINONIE n’apparaissant pas.

Dans les transcriptions, la ponctuation mal placée montre une méconnaissance et du latin et de l’histoire, par exemple, p. 80, il ne faut pas transcrire Sigillum Philippi dei gracia Burgundie, Lotharingie, Brabantie et Limburgie, ducis Flandrie, Arthesii, et Burgundie palatini et Namurci, comitis sacris imperii, marchionis ac domini de Salinis et de Machlinia (où est inventé un duc de Flandre etc., un comte du Saint-Empire, un marquis et seigneur de Salins et Malines), mais Sigillum Philippi Dei gratia Burgundie, Lotharingie, Brabantie et Limburgie ducis, Flandrie, Arthesii et Burgundie palatini et Namurci comitis, Sacri [et non sacris] Imperii marchionis ac domini de Salinis et de Machlinia, ce qui se traduit: »Sceau de Philippe par la grâce de Dieu duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant et de Limburg, comte de Flandre, d’Artois et de Bourgogne palatin et de Namur, marquis du Saint-Empire [par Anvers] et seigneur de Salins et de Malines«. Si L. Jardot avait bien lu les textes contemporains en français, elle aurait vu que la forme française de Lotharingia n’est pas »Lotharingie«, mais »Lothier«. Il s’agit de détails, qui seront vite corrigés dans une poursuite espérée de la recherche.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Lucie Jardot, Sceller et gouverner. Pratiques et représentation du pouvoir des comtesses de Flandre et de Hainaut (XIIIe–XVe siècle). Préface d’Olivier Mattéoni, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2020, 388 p, 8 pl., 17 fig. (Mnémosyne), ISBN 978-2-7535-7912-5, EUR 28,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75555