Bilan bienvenu des avancés de la recherche dans le domaine des textes hagiographiques, souvent anonymes et mal datés, mais qui nous renseignent sur la ville, la violence, l’autre, le monachisme ... et l’évolution de l’idéal de sainteté qui reflète l’évolution de la société. Les chapitres écrits par les spécialistes qui résument leurs travaux s’organisent dans des thématiques: création des textes, développement des pratiques, efforts des hagiographes pour moraliser la politique, place des cités et de l’environnement. Cette présentation variée et ouverte n’est pas exhaustive, l’aspect proprement littéraire mais aussi spirituel des textes est souvent oublié, comme les légendiers anciens et généralement les manuscrits liturgiques, et, si l’importance du contexte local pour dégager l’apport de ces sources est soulignée, on peut regretter que le sud (en particulier l’Espagne) et plus généralement les marges de l’Europe sont laissées de côté, mais le volume est déjà imposant en l’état.
Helen Birkett (»Constructing the Text: a Comparative Study of Two Saints’ Lives Written c. 1200«) montre que les miracles de la Vie de Bega, protectrice d’un prieuré dépendant de Sainte-Marie d’York qui est aussi une paroissiale, s’adressent à la communauté locale; le récit est fondé sur le souvenir des paroissiens. La Vie de cette prétendue princesse irlandaise devenue ermite, inventée à partir de Bède, intègre la principale relique – le bracelet de la sainte, symbole de son mariage céleste et sur lequel on prêtait serment. Au contraire, la vie de l’ermite Barthelemy de Farne fut écrite peu après sa mort par un moine de Durham, le modèle du saint était Cuthbert et l’auteur rapproche trois miracles de ceux de ce saint.
Ces Vies contribuent à la définition de la communauté et de son réseau. Laura Ackerman Smoller (»From ›Real Life‹ to Saint’s Life: Biography and Hagiography in the Vitae of Bernardino of Siena and Vincent Ferrer«) s’interroge sur les relations entre les Vies et les vies de ces deux prédicateurs Mendiants qui ont soulevé des critiques: il s’agit de construire une image de sainteté. Cynthia Hahn (»Understanding Pictorial Hagiography – with Comments on the Illustrated Life of Wandrille«) montre que les illustrations proposent un approfondissement de certains épisodes de la Vie.
Samantha Kahn Herrick (»Saints’ Lives on the Move: the Circulation of Apostolic Legends«) s’interroge sur la circulation des Vies de saints et sur les réseaux ainsi révélés – ainsi la Vie de front de Périgueux rejoint la légende de sainte Marthe. Giovanni Paolo Maggioni (»Thirteenth-Century Legendae Novae and the Preaching Orders: a Communication System«) montre que, si les légendiers fournissent aux Dominicains des exempla pour leurs sermons, l’hagiographie supporte plus les bases d’une éducation chrétienne que le culte du saint proprement dit.
Albrecht Diem (»Vita vel Regula: Multifunctional Hagiography in the Early Middle Ages«) montre que la Vie des Pères du Jura est en elle-même une règle, que les Vies donnent souvent des conseils à travers des récits exemplaires; la Vie de saint Pacôme, cataloguée comme une règle, est classée avec la règle et des lettres du saint; elle n’a rien à voir avec le Pacôme historique mais souligne l’intervention angélique qui inspire sa conduite à un illettré et lui dicte une règle qui doit beaucoup à saint Augustin. La comparaison des deux Vies carolingiennes de saint Gall – par Wetti et par son disciple Walahfrid Strabo – montre que la seconde en fait un bénédictin avant l’heure: le saint est recalibré en fonction de son public.
Charles Mériaux (»Bishops, Monks and Priests: Defining Religious Institutions by Writing and Rewriting Saints’ Lives, Francia, 6th–11th Centuries«) souligne que les textes hagiographiques permettent de suivre le développement de l’Église et en influencent l’évolution: ainsi l’image de l’évêque chez Venance Fortunat, de Remi chez Hincmar – un miroir épiscopal – de Géry de Cambrai au XIe siècle; ainsi la réforme monastique: la Vie d’Eigil de Fulda est un miroir pour les moines – mais aussi, après la mort de Louis le Pieux, pour les princes. Enfin le saint façonne les normes de comportement du clergé rural, comme Riquier sous la plume d’Alcuin.
Catherine Saucier (»Singing the Lives of the Saints: Hagiographical-Historical Intersections in Music and Worship«) montre, à travers les cas liégeois de Jean l’Évangéliste et de Lambert, que la communauté choisit des moments à mettre en valeur bien que la structure du Golgotha pour organiser la ville soit plus fréquente que l’auteur ne le dise. Ineke van’t Spijker (»›Impressed by Their Stamp‹: Hagiography and the Cultivation of the Self«) souligne le processus d’imitation par lequel le saint se réfère finalement au modèle christique.
Jamie Kreiner (»Gaul’s Insiders: Hagiography and Entitlement«) montre que l’hagiographie merovingienne tourne autour de la question du bon gouvernement, du pouvoir légitime et de sa déconsidération – souvent liée à l’usage de la violence. Mathew Kuefler (»St Gerald of Aurillac, Sex and Violence in Medieval Hagiography«) montre le lien entre violence et sexualité. David Defries (»The Unconvincing Martyrdom of William Longsword, Norman Count of Rouen, r. 928–942«) souligne l’échec de la reconnaissance de la sainteté de Guillaume Longue-Épée quoique plusieurs textes – entre autres hagiographiques – relatent son »martyre«. Edina Bozóky (»Hagiography, Relics and Secular Politics in Western Europe, 6th–13th Centuries«) rappelle que les dirigeants (roi, grands aristocrates, cités italiennes) ont rassemblé les reliques des saints pour renforcer leur pouvoir, ce qui reflète aussi les évolutions de la vie politique.
Klaus Krönert (»Hagiography and Inter-Urban Rivalry: the Vita of St Eucharius, First Bishop of Trier, and Its Use in ›Political‹ Quarrels during the Tenth Century«) montre que le succès de la Vie d’Euchaire, présenté comme disciple des apôtres, pour promouvoir Trèves dépend des conditions socio-politiques: Thierry de Trèves (964–977) profite de l’effacement de ses rivaux de Mayence en particulier. Paul Oldfield (»Hagiography and Urban Life: Evidence from Southern Italy«) montre à travers les cultes de Nicolas à Bari, à Bénévent, et d’un autre saint Nicolas à Trani, que l'hagiographie permet d’étudier la piété laïque, la charité et les tensions avec les cités voisines.
Adrian Cornell du Houx (»Hagiography and the Exotic: ›Foreign Saints‹ in High Medieval Lucca«) étudie la notion d’étranger: à Lucques »le saint étranger« est un moyen de soutenir des nouveautés spirituelles. Ellen Arnold (»Environmental History and Hagiography«) souligne que les hagiographes prennent en considération les réalités de la vie dans les récits de miracles. Emma Campbell (»Hagiography, Gender, and the Power of Social Norms«) montre que l’hagiographie vernaculaire remet en cause les normes et le pouvoir: sainte Agnès refuse le mariage, dans le cas d’Alexis, le saint abandonne le rôle social qui lui était promis. Ces textes sont-ils encore »genrés«? Est-ce un troisième genre?
Katherine J. Lewis (»A King, Not a Servant: the Prose Life of St Katherine of Alexandria and Ideologies of Masculinity in Late Medieval England«) souligne que le culte de Catherine s’épanouit en Angleterre au XVe siècle en réponse aux intérêts d’un public masculin marchand (les propriétaires des manuscrits) autour d’un idéal d’autorité dans le cadre familial et civique: Maxence est un tyran incapable de se contrôler, donc – au contraire – efféminé; Catherine a des vertus viriles de tempérance et force morale.
Sara Ritchey (»Health, Healing, and Salvation: Hagiography as a Source for Medieval Healthcare«) souligne que le recours aux saints n’est pas »alternatif« mais constitue un élément des soins, ainsi que l’usage de la musique, des images et de la lecture – celle notamment des Vies de saints. John Kevin Kitchen (»The Beautiful Dead: Materiality, Resurrection and the Aesthetics of Holy Corpses«) s’appuie sur les cas d’incorruptibilité des corps saints et surtout du vêtement comme relique – ainsi saint Antoine dont on a le vêtement mais dont on ignore la tombe – ou l’émerveillement devant les vêtements préservés de Cuthbert – gages de résurrection.
Un index hagiographique clôt ce riche volume.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne Wagner, Rezension von/compte rendu de: Samantha Kahn Herrick, Hagiography and the History of Latin Christendom, 500–1500, Leiden, Boston (Brill Academic Publishers) 2019, 500 p. (Reading Medieval Sources, 4), ISBN 978-90-04-41747-2 (E-Book), EUR 205,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75556