Outre l’introduction de l’éditrice et de l’éditeur, les huit articles publiés dans cet ouvrage constituent une partie (hélas restreinte) des communications d’un colloque tenu à Gand et à Bruges les 24 et 25 novembre 2016, intitulé »Bishops in the Century of Iron. Episcopal Authority in France and in Lotharingia, 900–1050/Les évêques dans le siècle de fer. Autorités épiscopales en France et en Lotharingie, 900–1050«. On peut donc d’emblée regretter que seule une petite moitié des communications aient pu prendre place dans ce volume; la publication de l’ensemble des communications aurait probablement donné un panorama plus complet, plus diversifié et plus novateur des modes d’exercice de l’autorité épiscopale en France et en Lotharingie durant un long Xe siècle.

En premier lieu, Julia Barrow fait le point sur les récentes recherches et les débats historiques à propos des évêques d’avant le XIIe siècle. Souvent pensé en termes d’autorité et de réforme, le rôle des évêques a été longtemps l’objet d’une interprétation à dominante politique, centrée sur leur relation avec les rois et sur la mise en place de l’autorité épiscopale face à la noblesse locale ou régionale. Plus récemment, est apparu un vif intérêt pour les aspects spirituels et culturels (liturgie, droit canonique, productions historiographique, diplomatique et iconographie et programmes de construction) comme vecteurs ou révélateurs de leur autorité.

Le moment décisif de l’accession au trône épiscopal est ensuite examiné dans plusieurs contributions. Michel Margue montre que la famille d’Ardenne, qui compta un grand nombre d’évêques, mérite d’être qualifiée de »lignée épiscopale«. Le nom d’Adalbero, que portèrent plusieurs évêques de cette famille, indiquait qu’ils étaient destinés depuis l’enfance à la carrière épiscopale. Ainsi les évêques lotharingiens de la seconde moitié du Xe siècle et de la première moitié du XIe se sont très souvent succédé d’oncle à neveu dans la famille d’Ardenne, en particulier à Metz. Loin d’empêcher la formation des lignages en Germanie, les parentés épiscopales ont constitué une étape transitoire vers la formation des lignées fondées sur la transmission patrilinéaire du château central.

Les articles de Fraser McNair, Charles West et Nicolas Ruffini-Ronzani se concentrent principalement sur les relations des évêques avec les dirigeants laïques tout en soulevant des questions importantes concernant les représentations du pouvoir épiscopal. Fraser McNair montre comment, à la fin de la période carolingienne, s’est développé un discours justifiant la participation royale active aux élections épiscopales qui lie ainsi entre elles la légitimité royale et la légitimité épiscopale; l’étude du cas complexe de l’élection épiscopale liégeoise où le duc Gislebert soutint Hilduin contre l’évêque choisi par Charles le Simple, montre comment la rébellion de Gislebert contre le roi rendit illégitime l’élection d’Hilduin.

Charles West, en étudiant trois évêques de Verdun du Xe siècle en inversant l’ordre chronologique (Haimo, Wicfrid, Dado), montre que la fin de la période carolingienne fut le point de départ de l’élaboration de la mémoire historique de l’église de Verdun; tandis que des changements significatifs touchaient la nature de l’autorité épiscopale: les évêques ont dû faire face tout à la fois au désir croissant d’autonomie des communautés religieuses, aux citoyens de leur ville épiscopale en plein essor économique et à de nouveaux pouvoirs bien plus proches d’eux ainsi qu’à la montée en puissance de Rome.

Nicolas Ruffini-Ronzani retrace les différentes étapes de la formation de la seigneurie épiscopale entre les années 940 et 1007, marquée par la lutte des évêques de Cambrai-Arras pour le pouvoir sur la civitas épiscopale et ses environs contre les comtes et les seigneurs locaux. Malgré les lamentations des »Gesta episcoporum Cameracensis«, qui en relatent les péripéties, on peut comprendre, à travers l’exemple du diocèse de Cambrai-Arras, comment le »système d’Église impériale« permit aux dirigeants ottoniens d’affermir leur pouvoir dans les marges lotharingiennes de leur empire après des décennies de révoltes aristocratiques.

L’autorité spirituelle, sur laquelle se fonde l’autorité temporelle des évêques, pouvait être aussi sérieusement en danger lorsque les élections épiscopales étaient contestées, comme le montre la carrière tumultueuse de Rathier de Vérone, étudiée par Edward Roberts. La nomination de Rathier à l’évêché de Liège en 953 et son expulsion lui donnent l’occasion d’enquêter sur la législation canonique concernant le transfert ou la traduction d’un évêché à un autre, interdite depuis le concile de Nicée (325). La défense de Rathier, fondée sur les décrets Pseudo-Isidoriens, permet de constater la diffusion de ceux-ci du début du Xe siècle jusqu’au début du XIe siècle.

Comme le droit canon, la liturgie permet de nouvelles avancées pour comprendre comment l’autorité épiscopale se construisait et s’exprimait; l’article de Sarah Hamilton sur un sacramentaire de Noyon, qui, selon elle, aurait été confectionné pour la communauté de Saint-Éloi de Noyon à l’usage de l’évêque. Cependant, s’il n’y a aucun doute sur le fait que ce sacramentaire était un sacramentaire épiscopal à l’usage de l’évêque de Noyon, les mentions d’Éloi et de son culte qui y sont relevées ne sont pas, à mon sens, suffisantes pour faire de l’abbaye Saint-Éloi le commanditaire du livre; Éloi, qui fut un des plus grands évêques de Noyon du haut Moyen Âge, avec Médard, pouvait bien, à l’instar de celui-ci, être célébré dans un sacramentaire commandité par l’évêque de Noyon lui-même, ce qui permet d’expliquer tout aussi bien l’existence d’une missa cotidiana pro rege, qui rappelle la proximité des évêques de Soissons avec la nouvelle dynastie capétienne.

Enfin, Anne Wagner examine comment les sources narratives concernant trois évêques de Metz, dont les épiscopats s’étendirent du milieu du Xe siècle au milieu du XIe siècle, s’attardent sur des aspects que leurs auteurs jugeaient cruciaux pour l’autorité épiscopale: les activités de construction, la collection de reliques, la fondation et la réforme des communautés religieuses, la défense de la cité épiscopale et la participation des évêques à la vie politique et aux affaires militaires du royaume.

Ce recueil, qui ne révolutionne pas la perception qu’on peut avoir de l’autorité épiscopale à l’époque ottonienne, puisqu’elle est pour une grande part héritée de l’époque carolingienne, a néanmoins le mérite d’attirer l’attention sur cette période charnière d’entre deux réformes, carolingienne et grégorienne.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michèle Gaillard, Rezension von/compte rendu de: Brigitte Meijns, Steven Vanderputten (ed.), Bishops in the Long Tenth Century. Episcopal Authorities in France and Lotharingia, c. 900–c. 1050. Special Issue, Turnhout (Brepols) 2019, VI–233 p., 3 b/w ill., 3 b/w tabl. (The Medieval Low Countries, 6), ISBN 978-2-503-58281-8, EUR 79,00., in: Francia-Recensio 2020/3, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.3.75566