Cet ouvrage collectif est le fruit de plusieurs rencontres internationales qui avaient rassemblé en 2014, 2015 et 2016 des médiévistes de différentes spécialités autour du paratexte dans les manuscrits médiévaux.

Dans une démarche transdisciplinaire et transpériodique, l’ouvrage propose d’analyser le paratexte, défini comme »un phénomène qui prend place à la fois en association avec le texte, »à côté de lui« ou »autour de lui« (»a phenomenon which takes place together with, but also ›by the text‹ or ›around the text‹«, p. 5) et son rôle dans la transmission et l’élaboration du savoir. Les éléments paratextuels ainsi définis rassemblent tout à la fois préfaces, annotations et gloses, rubriques, ou encore images et diagrammes. Abordée de manière ancienne par Elias Avery Lowe, la question des marginalia et de la mise en page du codex connaît un renouvellement récent dans l’historiographie; on citera en particulier le passionnant ouvrage collectif »The Annotated Book in the Early Middle Ages. Practices of Reading and Writing«, sous la direction de Mariken Teeuwen et Irene van Renswoude (Turnhout 2017), ou encore plus précisément sur les signes techniques d’annotation, la thèse d’Evina Steinova, »Notam superponere studui«. The Use of Annotation Symbols in the Early Middle Ages (Turnhout 2019).

Ici l’orientation particulière choisie par les éditeurs met en relation les éléments paratextuels – qu’ils soient le travail de l’auteur ou d’un lecteur – avec deux enjeux: leur dimension de »pourvoyeurs du savoir« (»purveyors of knowledge«, p. 2) d’une part; et leur rôle dans la »lutte de pouvoir« (»power struggle«, p. 5) entre auteur et usagers postérieurs lors de l’appropriation et de la réception du texte d’autre part. L’ouvrage se structure autour de ces problématiques en deux parties, elles-mêmes subdivisées en deux. Quatorze contributions en anglais permettent d’embrasser un spectre chronologique et géographique large, du VIe au XVIe siècle, bien que la très large majorité d’entre elles abordent le Moyen Âge central et surtout tardif. La diversité des articles met en lumière la multiplicité des types d’éléments paratextuels et souligne la similarité de leurs fonctions dans des ouvrages de thématique diverse – droit, sciences, philosophie, histoire, etc. On regrettera en revanche l’absence de contributions ayant pour objet des manuscrits exégétiques ou théologiques à l’exception des quelques exemples cités par Patrizia Carmassi.

La première partie du volume illustre comment le paratexte permet de construire un corpus de savoirs complémentaires au texte. Il peut, de fait, tout à la fois servir à compléter, organiser et hiérarchiser le savoir, ou encore à résoudre l’écart entre un savoir théorique et sa mise en pratique. Le paratexte lui-même est soumis à actualisation: le cas des gloses juridiques analysées par Mario Ascheri et Paola Maffei révèle une révision au XIIIe siècle afin de s’adapter à une nouvelle législation et de fournir de nouvelles interprétations. La collection de Bernard de Pavie (XIIIe siècle) étudiée par Gisela Drossbach marque également une évolution dans les collections de décrétales: dotée d’une préface signée, d’une mise en page encadrant les gloses et d’images, l’ouvrage est accompagné d’un paratexte qui actualise la lecture de la loi canonique. Ici, comme dans le cas du »Liber Nemroth de astronomia« présenté à la suite par Isabelle Draelants, le paratexte est essentiel à la compréhension du texte. Dans le traité scientifique sous forme de dialogue daté du VIe–Xe siècle, la cinquantaine de diagrammes et d’images qui accompagnent le texte joue de fait un rôle essentiel dans l’exposition et la transmission du savoir qui ne saurait se limiter à la seule mnémotechnie.

La deuxième partie du volume se centre sur le rôle des paratextes dans l’ajout d’une dimension pratique aux textes. Comme le montre Concetta Pennuto, les diagrammes du traité médical de Giambattista Da Monte au XVIe siècle ont été utilisés comme outils de diagnostic; pour Hanna Wimmer, l’iconographie chrétienne associée aux traités aristotéliciens dans la seconde moitié du XIIIe siècle servait d’outil pour résoudre deux traditions de pensée contradictoires; dans un autre domaine, les images marginales dans les manuscrits de droit romain du XIIe siècle étudiées par Joanna Frońska jouent des fonctions multiples: complétant ou expliquant le texte, servant de repère de lectures, elles permettent une consultation croisée, et donc une lecture non-linéaire de l’ouvrage. Enfin, à travers la comparaison de plusieurs manuscrits des œuvres vernaculaires de Guillaume de Deguileville (XIVe siècle), Géraldine Veysseyre expose que les différents choix de divisions et rubriques traduisent des lectures particulières de l’œuvre afin de vulgariser le savoir qu’elle contient.

La troisième partie du volume expose le rôle des paratextes dans l’appropriation du passé. Sinéad O’Sullivan, dans une étude des gloses dans les manuscrits carolingiens de Virgile, met en lumière une appropriation du passé romain afin de légitimer les aspirations impériales des souverains carolingiens. L’analyse des images menée par Anne D. Hedeman sur les traductions en moyen français d’ouvrages historiques des XIVe–XVe siècles, et celle de Victoria Turner dans deux manuscrits du »Canarien«, un récit de voyage du XVe siècle de deux chevaliers en moyen français, illustrent comment, par l’image, le passé est actualisé et approprié au service d’une stratégie de légitimation dynastique ou familiale. Les prologues et frontispices de chroniques ou biographies chevaleresques du XVe siècle analysés par Rosalind Brown-Grant manifestent enfin également une stratégie d’appropriation de l’œuvre par le lecteur.

Cette idée est plus clairement au cœur de la quatrième et dernière partie: Alison Stones, dans une étude de l’héraldique dans les pontificaux du XIVe siècle, et Outi Merisalo, à travers l’examen des paratextes des livres du médecin humaniste Hartmann Schedel, montrent que le paratexte est une marque de possession autant qu’un moyen de s’approprier un texte ou une œuvre pour les lecteurs. La dernière contribution du volume, de Patrizia Carmassi, met en perspective ces pratiques par une réflexion plus générale sur la perception et l’usage qu’auteurs ou lecteurs projetaient sur les éléments de paratexte. En mobilisant des exemples chronologiquement et thématiquement variés, l’autrice montre que le paratexte rassemble des outils fondamentaux pour faciliter la navigation dans le livre et guider le lecteur à travers les choix de l’auteur dans une lecture éventuellement non-linéaire. En ce sens, le paratexte devient le moyen de se libérer des limites inhérentes à la matérialité du livre lui-même.

Avec à l’appui des reproductions de très bonne qualité, les contributions offrent de nombreuses études de cas précises de manuscrits dont on trouvera la liste en fin du volume; leur diversité est largement révélatrice des multiples fonctions et rôles des paratextes, tant pour leur(s) auteur(s) que pour les usagers ultérieurs des livres. De fait, comme l’ont noté plusieurs contributeurs et contributrices, le paratexte est le fruit d’une négociation entre auteur et lecteur(s) ou lectrice(s), et il est parfois difficile de déterminer s’il s’agit d’une réponse individuelle au texte ou de la copie de modèles diffusés par ailleurs, ou encore à qui il était destiné. L’ouvrage apporte une contribution notable à l’histoire de la matérialité du livre, manuscrit ou imprimé, et constitue une lecture d’intérêt pour tous ceux et celles qui se proposent de lire les textes en contexte et s’intéressent à l’objet livre dans son intégralité.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Gaelle Bosseman, Rezension von/compte rendu de: Rosalind Brown-Grant, Patrizia Carmassi, Gisela Drossbach, Anne D. Hedeman, Victoria Turner, Iolanda Ventura (ed.), Inscribing Knowledge in the Medieval Book. The Power of Paratexts, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2020, 395 p., 100 fig., 3 tabl. (Studies in Medieval and Early Modern Culture, 66), ISBN 978-1-5015-1332-9, EUR 112,95., in: Francia-Recensio 2020/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77175