L’ouvrage d’Yves Coativy est adapté du dossier HDR présenté par l’auteur en 2012: son titre est évidemment un clin d’œil à la publication (partielle) de la thèse monumentale de Jean Kerhervé en 1987 sous l’intitulé »L’État breton aux 14e et 15e siècles. Les ducs, l’argent et les hommes«. Le sous-titre, »Servir le duc de Bretagne aux XIIIe et XIVe siècles«, met en évidence que la gestion d’un domaine et l’administration d’un État nécessitent la mise en place d’un réseau hiérarchisé et spécialisé de serviteurs efficaces et dévoués. Ce titre secondaire constitue donc un bon résumé de toute l’économie du livre, dont le »sommaire« figure à la page 17: »Après avoir présenté le duché de Bretagne dans ses grandes lignes aux XIIIe et XIVe siècles ainsi que les sources à la disposition de l’historien, nous entrerons dans le vif du sujet. Dans un premier temps, il convient de décrire le Domaine, base du pouvoir ducal, et son fonctionnement quotidien, puis les instances centrales de gouvernement sans oublier les lieux de pouvoir. Ensuite, il est utile de voir fonctionner l’hôtel et de mieux connaître les hommes qui entourent et servent le duc au quotidien. Enfin, il faut ouvrir la focale pour regarder travailler tous ceux qui représentent le prince dans les baillies, châtellenies jusqu’au niveau le plus proche de la population. Le dernier chapitre porte sur les avantages divers que peuvent attendre les hommes du duc de l’exercice de leur métier. Au terme de ces études particulières, en conclusion, nous envisagerons la question de l’existence d’un État.«

Le travail de reconstitution du réseau des serviteurs de ce »proto-État« breton se révèle d’autant plus méritoire que l’auteur a dû composer, comme il le souligne dès l’introduction, tout au long de l’ouvrage et encore dans sa conclusion, avec le déficit et la disparité des sources. À noter par ailleurs que, plus de trente ans après la publication de »L’État breton« de Kerhervé, les contraintes éditoriales continuent de produire les mêmes effets préjudiciables: la lectrice ou le lecteur se voit ainsi privé du catalogue prosopographique préparé par l’auteur (p. 14), qui constitue pourtant l’ADN de ce type de travaux.

En outre, à côté des inévitables erreurs et oublis générés par l’opération de »recalibrage« de son texte imposée à l’auteur, – que celui qui n’a jamais été éprouvé par le Titivillus de l’ère numérique jette à Yves Coativy la première pierre! – la frustration du lecteur est encore renforcée par le constat que la bibliographie, qui apparaît à l’occasion incomplète, n’a pas fait l’objet de l’actualisation souhaitable depuis 2012; mais ces critiques, au demeurant justifiées, détaillées sous la plume d’un autre spécialiste de la période, Michael Jones1, ne doivent pas occulter l’indiscutable apport de l’ouvrage pour les études médiévales bretonnes.

La première qualité de ce livre réside dans son écriture claire et fluide, elle ne jargonne pas et, n’étaient les notes de référence infrapaginales qui dénoncent un travail scientifique, on pourrait penser qu’il s’agit d’un ouvrage de haute vulgarisation. Ensuite, le contenu du texte, particulièrement dense, est éclairé et complété par 38 tableaux et 11 cartes de synthèse, qui regroupent de manière opportune des informations très diverses: des données de nature économique bien évidemment (ex. les recettes des baillies), ou encore des éléments relatifs à l’organisation géo-administrative du duché (ex. les trois cartes de l’évolution territoriale des baillies), aussi bien qu’à son fonctionnement institutionnel (ex. les lieux de tenue des séances du Parlement); mais aussi la prise en compte d’aspects politico-culturels (ex. les préférences de séjour des ducs de la maison de Dreux, les choix de »prénomination« au sein de leur dynastie ou bien les élections de sépulture des membres de leur famille).

Enfin, l’auteur n’a pas hésité à s’éloigner en plusieurs occasions des comptages statistiques, au demeurant toujours périlleux, pour s’attacher aux lieux et aux hommes d’une manière plus tangible, plus sensible: cela nous vaut des pages, très instructives, sur les résidences des ducs, en particulier sur le château de Suscinio qui apparaît comme l’épicentre de leur pouvoir parce qu’il constituait leur »résidence favorite«, renforçant ainsi le tropisme méridional des capitales itinérantes du duché, à l’exception de Rennes (p. 121–122, tabl. n° 10); de même, quelques portraits de serviteurs du duc, ou du moins les esquisses de leur carrière, viennent illustrer le relevé méthodique des mentions de membres du personnel appartenant aux différents niveaux de l’administration ducale. Et toujours les rappels à la prudence, eu égard à l’état de la documentation. De fait, la conclusion générale de »ces études particulières« est marquée au coin de la retenue: il s’agit de faire observer qu’à l’époque considérée, les institutions, le vocabulaire, ainsi que les prémices d’une certaine »idéologie ducale« évoluent dans le sens de la constitution d’un État, sans pour autant que cette évolution soit véritablement achevée en fin de période.

La Bretagne des ducs de la maison de Dreux suit le modèle de la France capétienne, où le domaine s’étend, venant accroître les moyens, notamment financiers, du souverain, et renforcer son statut; »mais il manque quand même beaucoup d’élément (sic) pour parler d’État. Le duc n’a pour ainsi dire pas de diplomatie autonome, il s’aligne globalement sur le roi de France. La monnaie est digne d’une principauté mais loin d’être celle qu’on attend d’un État, sans grosse monnaie d’or et d’argent. Il en va de même pour l’ost qui est resté féodal et sans grande envergure« (p. 324).

Et si le principal apport de l’ouvrage d’ Yves Coativy tenait avant tout à cet art de la nuance, conforté, malgré que l’auteur en ait, par l’état de la documentation? »Comme les sources sont désespérément limitées, de nombreuses questions sont restées sans réponse d’où, au fil des pages, un grand nombre de ›sans doute‹ ou ›probablement‹« (p. 16): à cet égard, le chapitre 2, intitulé »Une révolution documentaire?« (p. 47–75) fait un point utile et subtil sur les sources que les officiers ducaux avaient à leur disposition en début de période, avant de décrire la dynamique ultérieure de leur documentation. Par ailleurs, le premier chapitre, qui s’efforce, en moins d’une trentaine de pages (p. 19–46), »de présenter globalement le duché aux XIIIe et XIVe siècles«, constitue, malgré quelques approximations, l’exemple d’une gageure réussie, parce que s’y trouvent pris en compte dans une perspective pluridimensionnelle des aspects divers et variés (situation et division linguistiques; organisation territoriale et féodalité; dynastie ducale, symbolique du pouvoir et idéologie; démographie et économie). Dès lors se dessine, par touches successives, un »portrait« inachevé mais vivant de la Bretagne ducale sous la dynastie des Dreux, lequel doit beaucoup à la palette dont s’est servie l’auteur. De façon générale, c’est dans ce type de démarche élargie plutôt que dans une approche strictement érudite que la lecture de l’ouvrage d’Yves Coativy se révèle, nous semble-t-il, la plus profitable.

1 Voir le compte-rendu paru dans: Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne 98 (2020), p. 478–481.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

André-Yves Bourgès, Rezension von/compte rendu de: Yves Coativy, Aux origines de l’État breton. Servir le duc de Bretagne aux XIIIe et XIVe siècles, Rennes (Presses universitaires de Rennes) 2019, 344 p. (Histoire), ISBN 978-2-7535-7828-9, EUR 26,00., in: Francia-Recensio 2020/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77181