Ce livre est l’édition de la thèse que Fabien Roucole a rédigée sous la direction de Christiane Raynaud et qu’il a soutenue à l’université d’Aix-Marseille en 20141. Dans son introduction l’auteur délimite son sujet, dans le temps: du Grand Schisme à Luther, et pour les acteurs: les prélats définis comme les cardinaux, archevêques, évêques et abbés. Il annonce (p. 7) trois parties, mais en réalité l’ouvrage n’en contient que deux, où ces trois parties sont mélangées: »Les prélats combattants en France, pratique et culture militaire« (p. 9) et »Prélats, guerre et société« (p. 121).

Dans un long premier chapitre (p. 9–87, plus d’un quart du livre), consacré aux »pratiques«, l’auteur dresse un tableau chronologique des prélats combattants et pourquoi ils combattaient: service dans l’armée royale, pro deffensione patrie durant la guerre de Cent Ans, conseil dans les armées du roi de Louis XI à Louis XII, service de l’Église romaine pour la défense de la foi et du patrimoine de Saint-Pierre (dans ce cas Avignon), ainsi que pour la croisade, enfin en tant que seigneurs. Ce faisant, il trace le portrait d’un certain nombre d’entre eux: Miles de Dormans, évêque et chancelier de France au début du règne de Charles VI, Jean de Montaigu, archevêque de Sens tué à Azincourt, Regnault de Chartres, archevêque de Reims, chancelier de France et cardinal sous Charles VII, Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne puis archevêque de Rouen, homme fort du régime anglais en France, enfin cardinal, les évêques d’Albi Jean Jouffroy, aussi cardinal, puis Louis d’Amboise sous Louis XI, Pierre de Foix, cardinal, et Jean de Poitiers, évêque de Valence, pour le pape contre le concile de Bâle.

À la suite de cette présentation, l’auteur étudie la culture militaire des prélats (p. 89–112). Bien que le port d’armes ait été interdit par le »Décret« de Gratien, ces prélats ont fait montre d’une habitude de la guerre, donc d’un entraînement guerrier. L’auteur montre que les différentes sources, archives, testaments, chroniques, n’offrent guère d’informations, mais on peut tirer des conclusions: il était attendu, par exemple, que les prélats nobles fussent exercés aux armes, d’ailleurs tous les prélats qui ont porté les armes étaient nobles, et la chasse permettait d’avoir un entraînement physique. La guerre s’apprenait aussi dans les livres, principalement dans Végèce. D’autre part, les évêques »allemands« allaient souvent à la guerre, à l’instar de l’archevêque de Cologne Dietrich von Moers. En conclusion, sur 887 archevêques ou évêques français entre 1378 et 1515, 120 (13,5%) se sont trouvés sur un champ de bataille, 148 en y ajoutant les abbés, mais seulement 25 à 30 des 120 peuvent être qualifiés de guerriers.

Dans sa seconde partie (qui aurait pu être la première, du moins avec les deux premiers chapitres, car il y donne les cadres de son étude), Fabien Roucole étudie »les institutions, les coutumes et les mentalités qui conditionnent les comportements de ces hommes«. Il s’intéresse d’abord aux liens entre le roi et les prélats (p. 125–165): serment de fidélité à cause du temporel, foi et hommage au seigneur roi qui implique un service armé, obligation d’obéir à la semonce du roi (le ban royal), mais qui est allégé voire frappé d’exemption vis-à-vis des prélats au XVe siècle, malgré un contrôle royal plus pesant, notamment dans l’entretien et la garde des places fortes. Il examine ensuite le »droit canon et [la] pratique de la guerre par les prélats« (p. 167–219). Le »Décret« de Gratien et les décrétales des papes interdisaient le port des armes aux ecclésiastiques, mais les canonistes (peut-être aurait-il fallu être plus détaillé à leur sujet) autorisaient un droit à la défense de son église et de ses sujets.

En faisant la guerre, le prélat risquait d’être fait prisonnier. En général, la papauté restait pragmatique et ne sanctionnait pas ou absolvait les prélats guerriers, tel Jean d’Agoult, archevêque d’Aix, en 1387. L’auteur termine ce chapitre par le point de vue des conciles, une réforme non menée à bout. Enfin, l’auteur termine avec les prélats guerriers »au regard de la société« (p. 221–265). Les opinions pouvaient être négatives, car ce n’était pas leur métier, ainsi qu’Eustache Deschamps le rappelait à Charles VI dans son »Lai au roi« et que l’a montré Jean Balue sous Louis XI. Pour Philippe de Comines, le clerc était un couard, ainsi que l’a souligné Georges Chastelain avec Louis de Bourbon, prince-évêque de Liège. D’autre part, de Jean de Montaigu au pape Jules II, via Louis de Luxembourg, prendre les armes était vu comme une transgression. Une vue positive était offerte par les prélats croisés ou par ceux qui défendaient la »patrie« dans les œuvres littéraires et historiques des XIVe et XVe siècles.

En conclusion générale (p. 267–271), Fabien Roucole donne les enseignements de son étude: il n’y a pas de réforme violente, seulement une résistance passive des prélats, encouragée par les réformes militaires du roi au cours du XVe siècle. À la suite sont données les sources et la bibliographie, manque malheureusement un index.

Fabien Roucole a abordé un domaine peu abordé jusque là. Souhaitons qu’il le développe.

1 Voir aussi son article »Quand porter les armes pouvait favoriser une carrière ecclésiastique. Les clercs de cour et le service armé au XIVe siècle«, dans: Francia 47 (2020), p. 59–76.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Fabien Roucole, Prélats et hommes de guerre dans la France du XVe siècle, Aix-en-Provence (Presses universitaires de Provence) 2020, 307 p. (Le temps de l’histoire), ISBN 979-10-320-0255-1, EUR 26,00., in: Francia-Recensio 2020/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77214