Autorité et pouvoir, auctoritas et potestas, Authority and Power: parce que le couple se situe bien au fondement des idées politiques et des théories du pouvoir, il paraissait de prime abord tautologique d’en proposer un énième volume. Pourtant, le défi relevé par Thomas W. Smith semble emporter la conviction. Il fallait en effet remonter la généalogie des références pour inscrire ce collectif dans la ligne de pensée qui est la sienne. Autorité et pouvoir, c’est le célèbre titre de Brian Tierney, co-écrit avec Peter Linehan, en 1980, en hommage à Walter Ullmann: »Authority and Power. Studies on Medieval Law and Government Presented to Walter Ullmann on his Seventieth Birthday«, c’est-à-dire, d’un mot, l’école américano-britannique de la pensée politique issue de la canonistique germanique.

Walter Ullmann et Brian Tierney furent les maîtres à penser du droit constitutionnel médiéval et des doctrines ecclésiologiques de la même époque. D’où leur attachement particulier à penser le pouvoir pontifical, entre absolutisme et limites constitutionnelles. On comprendra mieux que ce qui paraissait tautologique au départ présente désormais une telle richesse et une telle profondeur historiographique qu’il devient difficile d’en maîtriser le contenu. On comprendra mieux aussi, selon cette généalogie, que trois parties des cinq du volume soient consacrées à l’autorité pontificale: »Concepts of Papal Authority« (Part I); »Representatives of Papal Authority« (Part II); »The Papacy and the East« (Part III). Le reste reflète plutôt les tendances actuelles de l’historiographie à savoir les cultures du pouvoir ecclésiastique et les communautés ecclésiastiques dans leur autorité collective: »Cultures of Ecclesiastical Authority and Power« (Part IV); »Ecclesiastical Communities and Collective Authority and Power« (Part V).

17 contributions alimentent la réflexion et parmi les contributrices et contributeurs, de grands noms permettent de réinscrire le volume dans la longue durée des travaux mentionnés. Ainsi le magnifique article de synthèse de Ian S. Robinson ouvre le volume, »Privilegium Romanae Ecclesiae: The Language of Papal Authority over the Church in the Eleventh Century«, citant comme figures tutélaires Percy Ernst Schramm, Michele Maccarrone, Yves Congar, Gerd Tellenbach ou, plus récent, Horst Fuhrmann, spécialiste du Pseudo-Isidore.

Plus loin, c’est Jean Dunbabin qui offre un article sur Gérard de Parme ou encore Nicholas Vincent sur les évêques d’Henri II. Parallèlement, des chercheuses et chercheurs déjà chevronnés et au renom international n’ont pas hésité à participer au volume: Rebecca Rist (Reading) développe les questions de l’antisémitisme et de l’antijudaïsme de la papauté médiévale; Mélanie Brunner (Leeds) disserte sur le pouvoir des cardinaux dans la prise de décision de la curie avignonnaise. Enfin, de jeunes chercheuses et chercheurs imposent déjà leur nom comme Benedikt Wiedemann (Junior Research Fellow, Cambridge) pour son travail sur la protectio pontificalis en droit féodal sur le royaume de Sicile et sur Frédéric II ou encore Kirsty Day, bien connue pour ses travaux sur les genders dans les ordres mendiants, franciscain notamment et l’hagiographie.

Le bénéfice du volume est d’offrir les recherches les plus fraîches de ces chercheuses et chercheurs, puisqu’ainsi Kirsty Day offre ici un premier article sur son nouveau sujet de recherche autour des relations entre les femmes royales et leurs affiliations franciscaines en Europe centrale (»Royal Women, the Franciscan Order and Ecclesiastical Authority in Late Medieval Bohemia and the Polish Duchies«). Matthew Ross, docteur depuis 2013 (UCL), spécialiste des chapelles pontificales montre comment l’autorité pontificale est reflétée dans l’organisation de la chapelle et de ses chapelains (»The Late Medieval Papal Chapel: A Culture of Power and Authority«).

Sans prétendre rendre compte de l’ensemble des riches contributions, l’on retiendra surtout que le couple autorité-pouvoir se montre paradoxalement complexe. L’autorité peut être assise sans que le pouvoir soit effectif. Ce qui est le cas de l’étude de Mike Carr sur les autorisations de commerce à la cour d’Avignon malgré l’embargo contre les Musulmans: l’auteur s’emploie à montrer que, loin d’avoir le pouvoir d’imposer un embargo sur le commerce avec les Musulmans, la papauté a cependant suffisamment d’autorité pour que les suppliques demandant une autorisation affluent.

Le nombre de licences de commerce traduit assurément la haute autorité du pontife, malgré tout. Les armes de l’autorité se déploient dans une large gamme de manifestations: les légats et les légations, les lettres, les suppliques, les manuscrits et l’art, la liturgie, les traités, le droit. L’on retiendra surtout la nouvelle manière d’écrire une histoire classique, celle de l’autorité et du pouvoir, en sollicitant l’histoire de l’art, la musicologie, les gender studies et la culture matérielle. Le volume, de 2020, est une photographie précise des recherches les plus récentes et des programmes en cours. On sera sensible à ces nouvelles tendances et aux propositions de ces jeunes chercheurs pour y repérer l’histoire la plus neuve en train de s’écrire.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Bénédicte Sère, Rezension von/compte rendu de: Thomas W. Smith (ed.), Authority and Power in the Medieval Church, c. 1000–c. 1500, Turnhout (Brepols) 2020, 45 p., 19 b/w ill., 2 b/w tabl. (Europa Sacra, 24), ISBN 978-2-503-58529-1, EUR 115,00., in: Francia-Recensio 2020/4, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77218