La petite commune de Siedlinghausen située dans le Sauerland est surtout connue aujourd’hui pour avoir été le cadre de rencontres amicales autour d’un médecin de campagne, Franz Schranz, de 1921 à 1961. Une période allant de la république de Weimar, en passant par le »Troisième Reich«, et la Seconde Guerre mondiale jusqu’à la République fédérale d’Allemagne. S’il s’agissait bien, comme Norbert Dietka l’indique dans son titre, de rencontres entre personnes partageant un certain nombre de valeurs et d’idées, ces rencontres réunirent toutefois des hommes aux parcours différents et même opposés dans le domaine du politique.

Pour reconstituer ce qu’a pu être la vie, le fonctionnement de ce cercle de connaissances, Norbert Dietka s’est appuyé sur divers documents, des ouvrages consacrés précédemment au Siedlinghauser Kreis, des journaux intimes, des correspondances, des comptes rendus de témoignages relevés dans les années 1980. Il est beaucoup question dans ces pages de la personnalité du docteur Schranz, qui joua le rôle de mécène, en invitant des intellectuels et des artistes à venir chez lui pour animer des soirées. Elles étaient consacrées à des discussions de tout ordre, théologique, historique, philosophique ou à des concerts. Il était aidé pour cela par Alix Senge-Voss, violoniste, et Eugen Senge-Platten, sculpteur, le couple habitant dans son voisinage.

Les goûts éclectiques du docteur Schranz attiraient certainement des intellectuels de tout bord et de toutes formations. Norbert Dietka le fait remarquer, il est bien peu question de l’actualité politique au moment où ces rencontres eurent lieu. Ce que l’on peut interpréter de différentes façons. Le docteur Schranz essaie de traduire en allemand »Le Salut par les Juifs« de Léon Bloy au moment où les Juifs sont persécutés en Allemagne, mais il invite aussi chez lui des proches du régime. Carl Schmitt fraya longtemps avec le cercle du docteur Schranz. Il continua à se rendre à Siedlinghausen après 1936, alors qu’il avait été démis de ses fonctions par le pouvoir nazi; on peut penser que son antisémitisme moyenâgeux, tout aussi effrayant et redoutable que celui des nazis, n’était pourtant pas dans la ligne du parti.

Un des hôtes préférés du docteur Schranz était l’écrivain et éditorialiste Konrad Weiß de Munich. Son œuvre, si importante aux yeux du docteur Schranz, témoignait, dans les divers genres littéraires utilisés, de sa foi catholique. Un autre de ses invités de marque fut Josef Pieper. Après des débuts difficiles et des études de philosophie et de théologie, Josef Pieper finit, après la guerre, par embrasser une carrière universitaire qu’il mena à bien. Parmi les nombreuses personnalités qui fréquentèrent la maison du docteur Schranz, Norbert Dietka relève également la présence d’un autre habitué ou fidèle, Friedrich Georg Jünger, le frère cadet d’Ernst Jünger. Norbert Dietka donne quelques extraits de sa correspondance fournie avec le docteur Schranz. On apprend, incidemment, qu’en 1941, Friedrich Georg Jünger lisait avec profit le livre de Georges Bernanos »Nous autres Français«.

La richesse de cet instantané d’une vie provinciale pris pendant une période sombre de l’histoire de l’Allemagne repose sur ce que l’on aurait tendance à juger aujourd’hui comme des paradoxes et pourtant c’était la vraie vie. À juste titre, comme dans ses précédents livres1 Norbert Dietka s’efforce d’éviter les jugements hâtifs et péremptoires. Ce qui se dégage finalement de la description de cette petite communauté de pensées, avide de connaissances et de culture, c’est à la fois sa vulnérabilité et sa combativité sur le plan spirituel.

1 Norbert Dietka, Ernst Jünger nach 1945. Das Jünger-Bild der bundesdeutschen Kritik (1945 bis 1985). Frankfurt a. M. 1987; id., Ernst Jüngers Entwurf von der »Herrschaft und Gestalt des Arbeiters«. Philologischer Versuch einer Annäherung. Würzburg 2016.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Danièle Beltran-Vidal, Rezension von/compte rendu de: Norbert Dietka, Der Siedlinghauser Kreis. Carl Schmitt, Konrad Weiß, Joseph Piper und Friedrich Georg Jünger treffen auf Gleichgesinnte, Berlin (Duncker & Humblot) 2020, 188 S., ISBN 978-3-428-15917-8, EUR 49,90., in: Francia-Recensio 2020/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77264