À l’échelle de l’Europe du Sud, la Libération a commencé par la campagne d’Italie, après le débarquement en Sicile au mois de juillet 1943. Elle ne s’est pas arrêtée avec la capitulation de l’Allemagne nazie, s’est prolongée plusieurs années tant l’engagement des opposants ne se résumait pas à un combat pour la résistance nationale mais devait aboutir à des changements politiques et sociaux pour, notamment, empêcher de revivre les malheurs de ces années tragiques. L’ouvrage s’intéresse aussi à la Belgique, et même à l’Allemagne avec une singulière situation en Saxe où stationnait l’Armée rouge.

Il permet de comprendre le contexte politique, de lutte pour le pouvoir et éventuellement insurrectionnel (ou perçu comme tel), dans lequel se mettaient en place les modalités de la reconstruction d’après-guerre. Il souligne l’importance des réseaux de résistants de la base, loin des cercles du pouvoir et confrontés aux difficultés de la vie quotidienne, qui remirent en cause les élites d’avant-guerre pour tenter de substituer des pouvoirs locaux à une logique jacobine. Les comités de libération, notamment départementaux pour la France et pour lesquels la bibliographie est moins prolixe que pour l’Italie, en furent, explique l’auteur, les »protagonistes majeurs«.

Le livre se termine en un essai bibliographique riche et stimulant, notamment par l’espace pris en compte. Et c’est un de ses grands apports, en présentant le contexte d’une partie du continent, que de dépasser les approches nationales tout en adoptant un jeu d’échelle pour mettre en évidence spécificités et points communs. C’est là pratique habituelle de Gerd-Rainer Horn, professeur d’histoire à l’IEP de Paris après l’avoir été en d’autres institutions, notamment des universités aux États-Unis et en Angleterre.

L’ensemble de ses travaux se structure en une mise en perspective transnationale des mouvements de la société en Europe de l’Ouest tout au long du siècle dernier. De ses recherches antérieures, l’on retiendra particulièrement »Western European Liberation Theology, 1924–1959. The First Wave« (Oxford 2008), première approche, là aussi transcontinentale, de la gauche catholique européenne (mais surtout française et belge) lors du deuxième quart du XXe siècle. C’est bien comme un ensemble que son œuvre doit être lue, qui nous fait comprendre sur un demi-siècle (des années 1920 aux années 1970) les mutations politiques qui accompagnent les profondes transformations des sociétés européennes. Pour cette étude, ce n’est qu’à la fin des années 2010 qu’il a eu le temps de revenir sur la documentation recueillie à la fin du siècle dernier et de rédiger ce livre. D'où certaine frustration du lecteur qui ne retrouvera pas l’écho de certains ouvrages plus récents, notamment pour la France les approches biographiques de Georges Guingouin par Fabrice Grenard ou de Célestin Freinet par Emmanuel Saint-Fuscien et les recherches de Gilles Vergnon, que ce soit sur les maquis du Vercors ou sur l’antifascisme1.

Le chapitre 1 est consacré à la libération de la France, insistant sur la diversité des comités de libération, instances très démocratiques nous démontre l’auteur, nés des circonstances qui ont exacerbé les engagements et, de fait, ont empêché le retour à la situation d’avant-guerre. Le chapitre 2 s’attarde sur la libération en Italie, tôt commencée et relevant au moins autant de la guerre civile que de la libération nationale, et où des comités de même nature furent plus répandus et plus forts que de l’autre côté des Alpes.

C’est la question du pouvoir, largement posée dans les pages précédentes qui est l’objet du troisième chapitre, présentant la situation des campagnes et d’une paysannerie pauvre, parfois même privée de terres. La presse, pour laquelle le milieu des années 1940 a correspondu, comment aurait-il pu en être autrement?, à un bouleversement sans précédent, est étudiée dans le quatrième chapitre. Enfin, le dernier chapitre, qui explique largement la borne finale de 1948, repère les traces de l’expérience des maquis (au sens le plus large du terme, certains d’entre eux ayant été urbains) et des instances locales de la Libération dans les soubresauts de l’après-guerre, parfois fort proches d’une guerre civile.

Cela a été particulièrement le cas en Italie. Robert Mencherini, dont les travaux, notamment sur Marseille, sont largement mis à profit, avait montré en quoi ce ne le fut pas en France, même lors des événements de l’automne 19472. L’approche internationale (»transcontinentale«) permet de mettre en évidence les mutations de la gauche dans les différents pays lors de ce moment exceptionnel de crise, mais quand rien n’était joué lorsque s’ouvraient tous les possibles, alors que les mouvements sociaux étaient déterminants.

Lorsque Gerd-Rainer Horn écrit »The Radiant Summer of 1944«, comment ne pas penser au texte de Jacques Prévert lors des premiers plans de »Les Portes de la nuit«, tourné en 1946 par Marcel Carné: »Février 1945, à la fin d’une journée d’hiver, le dur et triste hiver qui suivit le magnifique été de la libération de Paris«? Et puisqu’un chapitre est consacré à la presse, à sa sensible évolution et à son rôle tout au long de ces années, la tentation est grande de conclure en trouvant bien des similitudes entre les leçons de cet ouvrage et l’éditorial d’Albert Camus répondant dans »Combat« du 3 avril 1945 au chef du gouvernement qui, la veille, avait évoqué Sainte-Geneviève, Henri IV et la bataille de la Marne: »Nous attendions aussi que le général de Gaulle soulignât 1830, 1848 et la Commune. […] Ce sont bien des journées de Paris que celles-là et que serait Paris, en vérité, sans ces barricades de la liberté et ces morts anonymes? […] Qu’on nous comprenne bien. Nous n’avons pas la nostalgie des révolutions, encore que nous sachions que nous avons vécu le plus pur dans les journées d’août 44 et qu’il est désormais un désintéressement que nous ne connaîtrons plus.«

En estimant que la demi-décennie 1943–1948 fut, comme les années 1917–1923, un moment où tout se jouait, Horn reprend les débats de l’après-Libération pour en conclure que la dimension sociale et révolutionnaire était alors déterminante. Il n'hésite pas pour cela à se référer à l'analyse prémonitoire de Max Horkheimer, parmi les fondateurs de l’école de Francfort et un des grands noms de la philosophie et des sciences sociales, qui en une explication avant tout économique prévenait dès septembre 19393: »Quiconque n’est pas préparé à discuter du capitalisme gardera également le silence à propos du fascisme.«

1 Fabrice Grenard, Une légende du maquis, Georges Guingouin, du mythe à l’histoire, Paris 2014; Emmanuel Saint-Fuscien, Célestin Freinet. Un pédagogue en guerres 1914–1945, Paris 2017; Gilles Vergnon, Vercors. Histoire et mémoire d’un maquis, Paris, 2005; id., L’antifascisme en France: de Mussolini à Le Pen, Rennes 2009.
2 Robert Mencherini, Guerre froide, grèves rouges. Parti communiste, stalinisme et luttes sociales en France. Les grèves »insurrectionnelles« de 1947–1948, Paris 1998.
3 Une traduction de ce texte a été publiée, Max Horkheimer, Pourquoi le fascisme, dans : Esprit, no 17/5, 1978, p. 62–78.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christian Chevandier, Rezension von/compte rendu de: Gerd-Rainer Horn, The Moment of Liberation in Western Europe. Power Struggles and Rebellions, 1943–1948, Oxford (Oxford University Press) 2020, 288 p., 20 b/w fig., ISBN 978-0-19-958791-9, GBP 65,00., in: Francia-Recensio 2020/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77266