Voici un ouvrage collectif qui présente l’interprétation d’un choix de films illustrant divers aspects et différentes périodes de l’histoire de la RDA, mais également sa reconstitution à l’écran depuis 1990. Pour les générations qui n’ont pas connu le »socialisme réellement existant«, ces films se substituent à la réalité en fournissant des exemples concrets, des mises en scène dans lesquelles le spectateur peut se projeter: films de la DEFA (la compagnie cinématographique officielle de la RDA) au cours des premières années de la fondation de la RDA et de la construction du Mur, expériences des années 1980, regards d’après l’unification. Cette chronologie constitue le fil rouge des trois chapitres de cet ouvrage.
Le premier chapitre a pour thématique le renouveau après l’effondrement du »IIIe Reich«. »Die Mörder sind unter uns«, le premier film allemand de l’immédiat après-guerre en 1946, pose la question de la responsabilité des Allemands et de leur culpabilité individuelle après la guerre et la Shoah (Martin Nies). »Berlin, Ecke Schönhauser«se déroule essentiellement dans le quartier populaire du Prenzlauer Berg et peint le devenir de trois jeunes garçons et d’une jeune fille sous l’œil compatissant et compréhensif d’un policier du secteur oriental qui joue un peu le rôle du père qui leur manque, un héros positif tel que l’exige le réalisme socialiste (Matteo Galli).
Au début des années 1960, plusieurs films ont pour objet la douloureuse séparation de jeunes gens amoureux à cause de la construction du Mur ou bien sa légitimité comme »protection contre l’ennemi de classe« (Ingo Irsigler). Quant à Jürgen Böttcher, il livre son point de vue sur les césures de l’histoire allemande, 1945 et 1989, dans »Jahrgang 45«, film interdit en 1965, et »Die Mauer« de 1990 en empruntant au documentaire sa technique et en recrutant des acteurs non professionnels (Anne Barnert). Pourquoi cette juxtaposition de »One, two, three« de Billy Wilder, critique mordante de la RDA et du régime soviétique, à côté d’un des films interdits après la onzième séance plénière du Comité central du SED, »Spur der Steine«, un »film lapin« de 1966 dans des commentaires – au demeurant utiles – de Heinz-Peter Preußer?
Dans la seconde partie, il est question de la période qui suit l’arrivée au pouvoir d’Erich Honecker en 1971 et des espoirs soulevés par son discours largement interprété comme mettant fin aux tabous dans le domaine culturel. En 1973, »Die Legende von Paul und Paula« est un film culte pour la jeunesse des années 1970 à la fois par ses aspirations émancipatrices de bonheur individuel loin des considérations moralisatrices et son aspect novateur, mais aussi pour sa critique diffuse de la RDA (Stephan Brössel). Un film de Konrad Wolf, »Solo Sunny«, s’inscrit dans le contexte d’une vague transformation de la société, tout comme les films consacrés à des femmes, mais – comme à l’Ouest – presque toujours réalisés (seulement quatre réalisatrices à la DEFA: Hannelore Underberg, Ingrid Reschke, Evelyn Schmidt et Iris Gusner) par des hommes (Henning Wrage). Après le passage à l’Ouest de Thomas Brasch en 1977, peu après les événements autour de Wolf Biermann, »Engel aus Eisen« sort en 1981 sur fond sonore et bruitage des avions du pont aérien allié de 1948 à Berlin et esquisse les méfaits de Gladow, un jeune chef de bande bénéficiant de l’impunité grâce au chaos (Walter Erhart). Une autre expérience: les courts métrages présentés depuis 1954 au festival d’Oberhausen et visibles en partie à Leipzig (Sven Pötting).
La dernière partie et son Ostalgie sous-jacente d’après l’unification est plus homogène. »Sonnenallee« se veut un film humoristique mettant en scène des adolescents ricaneurs et farceurs (Stephen Brockmann). Le Mur est le décor sur lequel s’appuient de nombreux films qui offrent une vue particulière sur l’Est à partir des postes d’observation construits pour les touristes (Alexandra Tacke). Une véritable récapitulation d’événements historiques et de leur influence subjective sur le destin des personnages est développée dans »Good Bye, Lenin!« (Sabine Moller), accompagnée de la réflexion sur le montage des images, la multiplicité des perspectives, la mise en abyme.
Une autre reconstitution – mensongère selon Uwe Koreik – apparaît dans l’image de la Stasi, personnifiée par l’agent qui se convertit en soutien du dissident et lui sacrifie sa carrière dans »Das Leben der Anderen«. Une chronique ambitieuse réalisée entre 1961 et 2007 propose 43 heures de films plus ou moins longs et traite de la vie d’une classe de gamins, de six ans à l’âge mûr. »Die Kinder von Golzow« est un documentaire réalisé sous l’égide du ministère de la Culture pour démontrer le succès d’une éducation socialiste (Britta Hartmann, Marian Petraitis). Sans doute à cause de sa présentation d’une RDA brutale, démodée sur le plan technique et privant sa population de fruits exotiques, la série télévisée »Deutschland 83« rencontre un franc succès aux Etats-Unis pour son histoire d’un soldat de la NVA infiltré à l’Ouest pour y espionner l’armée (Dominik Orth).
En ordre quelque peu disparate, ces analyses de films permettent à la fois de questionner les stratégies esthétiques de différents genres. En proposant les choix de récits de vie, ils constituent aussi une sorte de biographie historique de l’ex-RDA et de sa disparition. On apprend beaucoup de choses à la lecture de cet ouvrage qui incite à revoir ou à découvrir tous ces films.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Dominik Orth, Heinz-Peter Preußer (Hg.), Mauerschau – Die DDR als Film. Beiträge zur Historisierung eines verschwundenen Staates, Berlin, Boston (De Gruyter Oldenbourg) 2020, VI–312 S., zahlr. Abb. , ISBN 978-3-11-062724-4, EUR 99,95., in: Francia-Recensio 2020/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77276