Detlef Pollack est un sociologue qui, dans les années 1990, s’est intéressé à la sociologie des religions et y intégrait les théories de Niklas Luhmann. Il analysait également l’effondrement de la RDA en lui appliquant le concept de »société d’organisation«1. Mais, dorénavant, il se définit aussi comme un témoin de l’époque qui utilise alternativement le »je« et le »nous« pour rappeler qu’il est originaire de l’Est et, qu’il était en 1989, en poste à l’université Karl-Marx de Leipzig, mais faisait un séjour de recherche à Zurich.

Cet ouvrage poursuit un double objectif. Tout d’abord, son auteur se refuse à cautionner le comportement des Allemands de RDA qui continueraient à gémir sur leur sort malgré les progrès réalisés en trente ans. Pollack soutient la thèse qu’ils n’auraient pas été les victimes du processus d’unification, mais, qu’après avoir soutenu le régime de RDA ou contribué à sa stabilité pendant des décennies, ils ont participé activement à sa chute. Dans leur grande majorité, ils ont pris parti contre le mouvement des citoyens pour insister sur la nécessité d’une intégration rapide avec l’Ouest sous le signe du D-Mark.

Ensuite et surtout, le présent ouvrage s’inscrit dans une controverse lancée en juillet 2019 dans la »FAZ« contre Ilko-Sacha Kowalczuk (p. 14, p. 20) et son analyse d’un effondrement de la RDA provoqué par l’action courageuse de l’opposition au régime, une mince frange de la population, et sa lutte contre la Stasi alors que la majorité serait restée passive2.

Pollack met donc l’accent sur la contribution des citoyens de la RDA à l’ébranlement du régime, puis au processus d’unification, enfin à l’aménagement de la démocratie. »Das unzufriedene Volk« (Le peuple mécontent) comprend trois parties. Les deux premières reprennent des slogans nés pendant les manifestations de 1989 et ponctuant les étapes de la mobilisation, »Wir sind das Volk« (Nous sommes le peuple), puis »Wir sind ein Volk« (Nous sommes un peuple). La dernière jouant sur le concept de peuple s’intitule »Wir war’n das Volk« (Nous étions le peuple). Ainsi, Pollack intègre les événements de 1989, l’unification allemande et l’évolution sur une trentaine d’années. Il est clair que les développements proposés au lecteur sont bien connus et constituent un bon résumé de la problématique. L’apport spécifique de Pollack est le commentaire qu’il en fait, ce sur quoi nous allons insister.

Dans la première partie, l’analyse de la »révolution tranquille«, l’auteur nous propose une étude de cas à partir de plusieurs villes représentatives. À Leipzig, la population demeure tout d’abord retranchée à l’arrière du cordon de police avant de prendre confiance en elle et de se mobiliser plus ouvertement. À Plauen et Arnstadt, on assiste à l’action d’individus isolés et non chapeautés par les Églises. À Dresde, le mouvement est organisé par ceux qui veulent quitter le pays. À Berlin, les opposants profitent de la fête du 7 octobre pour se fondre dans la masse. Partout, il n’existe pas encore de meneurs.

Des actions spontanées sont déclenchées par colère un peu par hasard en réaction contre l’ambiance qui règne dans le pays. Avant le 9 octobre, la peur domine face à la répression brutale du régime. Puis la population se radicalise en assistant à la vague de réfugiés partant à l’Ouest, la situation devenant plus ambiguë à l’ouverture de la frontière hongroise. C’est l’occupation de l’ambassade de la RFA de Budapest et le passage de 18 000 personnes en Autriche début septembre. Dans la foulée, les groupes oppositionnels créés tels que Neues Forum, Demokratie Jetzt, Demokratischer Aufbruch ou le SDP (le Parti social-démocrate en RDA) sont le point de cristallisation de la mobilisation, mais contrairement aux Églises, pas à son origine. Ils n’ont d’ailleurs guère de contacts avec la masse des manifestants, car – selon Pollack – ils espèrent surtout pouvoir négocier avec le régime en place des avancées vers la démocratie.

Dans le chapitre 2, Pollack exprime toute sa fierté à l’ouverture du Mur, le 9 novembre 1989, qu’il attribue à l’action décisive du »peuple« et non pas aux pressions exercées par les initiatives de citoyens. Celles-ci, exprimant souvent leur mépris pour des citoyens considérés comme apathiques, paresseux et immatures, mettent en garde contre une unification de l’Allemagne où l’Est serait à la traîne et constituerait une réserve de salaires bon marché (p. 96, cf. Neues Forum, 12 novembre 1989). Ces militants craignent avant tout de se voir dépossédés de leur auréole de meneurs de la révolution. Heiner Müller dit: »Là où en Allemagne, il y a un peuple, l’ennemi n’est pas loin«. La fracture dans la population se creuse en fonction des attentes de consommation.

Le chapitre 3 présente l’évolution depuis 1990 après un démarrage difficile et la déception des gens de l’Est qui se sentent considérés comme des citoyens de deuxième classe, des »Ossis« méprisés par des »Wessis« arrogants. Cette réflexion est devenue un lieu commun, mais Pollack produit de nombreux tableaux statistiques qui mettent en valeur, par exemple, les facteurs subjectifs (appréciation de la situation économique et de la démocratie) et les facteurs objectifs (PIB, revenu moyen). Ceci le conduit à analyser de plus près la montée de l’AfD, le parti d’extrême droite (p. 201–214), l’occasion à l’Est de protester en exprimant un ressentiment, qui, selon Pollack, n’est plus vraiment justifié.

Un ouvrage que l’on lit avec intérêt, surtout pour la troisième partie et ses éclairages judicieux.

1 Detlef Pollack, Kirche in der Organisationsgesellschaft, Stuttgart 1994.
2 Cf. également: Ilko-Sascha Kowalczuk, Die Übernahme. Wie Ostdeutschland Teil der Bundesrepublik wurde, Munich 2019. Les prises de position de ces débats à l’occasion du 30e anniversaire de la chute du Mur sont documentées sur une liste de liens sur le site de la Robert-Havemann-Gesellschaft (2e section).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Anne-Marie Corbin, Rezension von/compte rendu de: Detlef Pollack, Das unzufriedene Volk. Protest und Ressentiment in Ostdeutschland von der friedlichen Revolution bis heute, Bielefeld (transcript) 2020, 232 S. (X-Texte zu Kultur und Gesellschaft), ISBN 978-3-8376-5238-3, EUR 20,00., in: Francia-Recensio 2020/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77277