Cet ouvrage solide sur le développement économique comparé des régions européennes en longue période est organisé en 16 chapitres avec une analyse générale de l’Europe suivie d’études nationales détaillées. S’y ajoute un chapitre comparatif sur les USA1. Les pays de l’Europe centrale et orientale et la Grèce font l’objet d’un travail en cours. Une vingtaine de spécialistes entourent Joan Ramón Rosés (LSE, Londres) et Nicolas Wolf (université Humboldt, Berlin). Plus de 200 schémas, tableaux et cartes documentent l’ensemble et une bibliographie accompagne chaque chapitre.

Les PIB nationaux négligent les différences internes de territoire, souvent plus élevées, tandis que certaines régions constituent de véritables ensembles transnationaux comme le delta Rhin-Meuse-Escaut. L’étude porte sur 173 régions standardisées (NUTS) et 16 États. L’évaluation des PIB régionaux repose sur les données Eurostat pour 1990–2010, sur les statistiques nationales pour 1960 à 1990 et des données reconstituées pour 1900–1950, selon la méthode de Geary et Stark2.

L’ouvrage produit ainsi une nouvelle série de statistiques de PIB à l’échelle régionale 1900–2010 (p. 387–430). Le PIB national étant la somme des PIB régionaux et de tous les secteurs, la valeur ajoutée moyenne par actif dans chaque région est définie comme le quotient du salaire moyen payé (wage) par secteur et par région, par le nombre de salariés ou d’actifs (worker). On calcule ensuite les écarts entre la valeur ajoutée régionale et la valeur ajoutée nationale par secteur et on ajoute une constante scalaire qui met à l’échelle les valeurs absolues pour ajuster les totaux. L’existence de données régionales disponibles comme en Autriche ou en Suède a pu confirmer la validité de cette approche.

Les prix ont été supposés homogènes à l’échelle nationale et pour neutraliser les effets d’inflation et de taux de change, les auteurs sont partis des séries de PIB du Maddison Project3 avec des valeurs du PIB en parité des pouvoirs d’achat égalisées en dollars internationaux 1990.

La progression du PIB par habitant est de 7,5 fois en valeur constante 1990 entre 1900 et 2010, soit entre 6 et 8 fois selon le niveau régional d’enrichissement. La croissance moyenne du PIB/h est de 1,9% par an entre 1900 et 2010, décomposée entre 1% avant 1950 et 2,6% depuis 1950. La distribution du classement des régions présente une courbe en cloche, tendant à se déplacer vers la médiane entre 1900 et 1980, avant de revenir sensiblement en arrière depuis.

On constate une convergence à long terme du PIB/h par rapport au niveau initial de 1900. Le PIB par habitant en 1900 est 6,5 fois supérieur dans la région la plus riche (Londres) que dans la région la plus pauvre (Galice) et 3,3 fois en 2010 (Luxembourg/Calabre).

La β-convergence désigne le rattrapage par les régions les plus pauvres, dont le faible taux initial de capital par unité de travail crée un retour sur investissement plus élevé. Sur l’ensemble du siècle, on constate un taux de convergence moyen inférieur à 1% par an4, lent de 1900 à 1950 (0,2%), plus rapide de 1950 à 2010 (1%).

Du côté de la σ-convergence, qui désigne la réduction de la dispersion, le coefficient de dispersion des PIB/h pondérés par la population recule de 0,45 en 1900 à 0,27 aujourd’hui. On note un replat de la courbe en 1938–1950 et une stagnation depuis 1980.

Dans les facteurs de croissance, une régression générale met en évidence comme effets positifs majeurs, l’intégration dans la Communauté européenne, l’accessibilité aux marchés, le fait d’être une région capitale5 et la disponibilité de charbon (avant 1945). En revanche, une grande distance par rapport aux ports maritimes, des précipitations élevées, des températures extrêmes et une faible qualité naturelle des sols ont exercé des effets négatifs.

Un certain nombre de régions sont constamment en haut du classement: Londres, Paris, Zurich, rejointes après-guerre par le Luxembourg, Stockholm et Helsinki. Une autre partie tend à changer de statut: Berlin après 1938, le Hainaut belge, plusieurs régions britanniques. Une Europe pauvre tend à persister notamment dans le sud péninsulaire (Espagne, Italie, Grèce) rejoint par la Thuringe. Sur le long terme, on trouve des régions plus »gagnantes« comme la Navarre, Bolzano, le Tyrol, quatre régions scandinaves, Stuttgart, l’Émilie-Romagne et des »perdantes« comme les ensembles Hainaut-Namur-Liège-Nord-Pas-de-Calais-Haute-Normandie, Chemnitz-Leipzig-Dresde et le pays de Galles.

Les effets de voisinage (impact réciproque de croissance d’une région sur ses voisines) sont à peu près vérifiés pour la période 1900–1960 mais diminuent ensuite par développement des clusters et une différenciation plus forte6 comme en Grande-Bretagne.

En termes géographiques, l’industrie est très dispersée en Europe en 1900 et beaucoup plus concentrée en clusters aujourd’hui (Allemagne, France, Italie du Nord), il en va de même pour l’agriculture; en revanche, les services, longtemps concentrés dans les capitales régionales et nationales se sont dispersés. Le lien entre industrialisation et bon revenu est solide jusqu’aux années 1970, avant de s’inverser ensuite. En revanche, la distribution spatiale des régions aisées, plus compacte en 1900 avec l’industrialisation est plus diffuse en 2010, Scandinavie, Nord de l’Espagne, Italie centrale, Allemagne du Sud ayant rejoint le peloton de tête.

Les auteurs ont calculé un indice de Gini de localisation avec la part de chaque région dans la population totale et dans le PIB total. Le Gini du PIB/h recule faiblement en 110 ans de 0,54 à 0,49 et le Gini de la population reste à 0,46 avec un léger creux à 0,45/0,44 entre 1938 et 1960. On observe une remontée légère du Gini depuis les années 1980 avec une division du travail remodelée: d’un côté des régions avec un travail hautement qualifié et des services spécifiques, de l’autre un travail faiblement qualifié avec des industries fortement utilisatrices de ressources.

La part des variations de PIB/h par suite des différences internes (within) aux pays augmente dans le temps, représentant 30% du total des variations en 1900 mais 50% en 2010 notamment depuis les années 1980. Cela crée un effet de déconnexion et de compartimentage de croissance entre les régions avec des îlots de prospérité distincts de leur hinterland.

Le schéma de long terme d’évolution des inégalités entre régions semble suivre une courbe en U comme celui des inégalités entre individus7: convergence et diffusion des richesses 1900–1980 puis reprise de divergence moins élevée et reconcentration géographique depuis 1980.

1 Si en Europe, le coefficient de dispersion sigma se réduit entre régions de 0,45 en 1900 à 0,27 aujourd’hui, aux États-Unis, la décélération est plus prononcée, de 0,45 en 1880 à 0,13 en 2010.
4 Robert M. Solow, A Contribution to the Theory of Economic Growth, dans: The Quarterly Journal of Economics 70/1 (1956), p. 65–94; Robert J. Barro, Xavier Sala-i-Martin, Convergence, dans: Journal of Political Economy 100/2 (1992), p. 223–251: 2% par an pour les USA.
5 La part des régions capitales dans le PIB européen reste à peu près constante entre 18% et 21%, avec un premier pic en 1925–1938 et un second depuis 1990–2000.
6 Calculs d’autocorrélation spatiale des PIB/h par l’indice de Moran qui recule de 16 en 1900 à 4 en 2010: somme des différences entre chaque paire de régions par rapport à la moyenne régionale européenne du PIB/h, pondérées par leurs distances respectives.
7 Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Income Inequality in the United States, 1913–1998, dans: The Quarterly Journal of Economics 118/1 (2003), p. 1–41.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michel-Pierre Chelini, Rezension von/compte rendu de: Joan Ramón Rosés, Nikolaus Wolf (ed.), The Economic Development of Europe’s Regions. A Quantitative History since 1900, London, New York (Routledge) 2019, XVIII–436 p., num. tabl., fig., maps (Routledge Explorations in Economic History, 82), ISBN 978-0-415-72338-1, GBP 105,00., in: Francia-Recensio 2020/4, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77280