L’ouvrage traite de la vie mouvementée d’un personnage du XVIe siècle qui fut d’abord prêtre catholique, puis pasteur protestant, avant de revenir dans l’Église romaine. En utilisant des sources peu étudiées dans les travaux consacrés jusque-là à Engelbrecht, l’auteur enrichit considérablement nos connaissances et rectifie des jugements, surtout négatifs, portés au XVIe et aux XIXe et XXe siècles sur cet homme. Deux sujets principaux sont au cœur du livre: 1. L’orientation théologique d’Engelbrecht et sa critique de l’Église romaine; 2. L’opposition contre l’évolution de l’Église protestante de Strasbourg et un plaidoyer ardent pour la liberté religieuse, à l’encontre d’un retour vers un »papisme« local dans cette Église qui voulait confier aux autorités civiles le pouvoir de contraindre les consciences par la discipline.

Né vers 1487, issu de l’élite de la ville d’Engen près de Constance, il étudie à Leipzig et à Wittenberg avant de devenir prêtre dans sa ville natale. De 1517 à 1520, il séjourne à Bâle où il a des contacts avec Érasme. Pour cerner la pensée d’Engelbrecht, l’auteur a utilisé une source jusque-là négligée, à savoir les gloses dont ce dernier a muni un exemplaire de l’édition des écrits de Jérôme, parue à Bâle et très appréciée à l’époque. Plus de 1650 gloses montrent d’une part l’attachement à Érasme et à Jérôme (avec des réserves pour ce dernier) et d’autre part les critiques qu’il adresse aux évêques, prêtres et moines de son temps.

Il s’en prend à la persécution des hérétiques et à l’emprise de la scolastique sur la théologie. Il a aussi lu des écrits de Luther et perçoit les différences entre ce dernier et Érasme. Nommé évêque coadjuteur à Bruchsal, il y délie Bucer de ses vœux de dominicain. Ses propres prédications lui attirent le reproche d’être proche de Luther. Mais les paroissiens prennent sa défense: »Il a fait de nous de vrais chrétiens«. Dans les gloses d’un autre volume des œuvres de Jérôme, il traite les romanistes de »serpents« et évoque »les dogmes pervertis de la papauté«. Le pape et les évêques sont pour lui une »abomination« (Greuel).

En 1524 il se réfugie à Strasbourg, ville qui est en train de passer à la Réformation, passage brièvement évoqué sur la base des nombreux travaux déjà parus à ce sujet. À la demande des fidèles, il devient pasteur de la paroisse Saint-Étienne, incorporée à un chapitre qui accueillait des femmes de la noblesse alsacienne. Selon l’auteur, l’attrait de la nouveauté qu’était la Réforme protestante s’atténue à Strasbourg à partir de 1526. Luther est devenu moins populaire. Une certaine indifférence religieuse se fait jour. Des groupes dissidents commencent à s’installer dans la ville qui n’a plus d’autorité ecclésiastique centrale. Tout cela conduit à un durcissement à la fois des autorités civiles, qui promulguent des mandements contre les anabaptistes, et de pasteurs tels que Bucer qui veulent combattre l’irréligion ou le relâchement moral par la contrainte, en sollicitant l’aide des autorités civiles.

Engelbrecht s’y oppose de plus en plus, en vilipendant l’apparition d’»une nouvelle papauté«. Jusqu’au synode de 1533 les sources restent parcimonieuses. Mais parmi les gloses, déjà évoquées, sur des textes de Jérôme, l’auteur arrive à distinguer celles qui remontent aux années 1530 à 1533. Engelbrecht stigmatise la »volubilité« du discours de Bucer qui trompe les gens simples. Il regrette aussi que des gens instruits lisent des écrits de Bucer et de Luther. Une autre glose peut intriguer, selon laquelle les luthériens seraient allés trop loin dans les changements des cérémonies, alors que lui-même avait critiqué quelquefois les cérémonies romaines. Dans un ouvrage de 1531, malheureusement disparu et que l’on connaît seulement à travers une réfutation (Widerlegung) de Bucer, Engelbrecht semble avoir dénoncé, en suscitant la colère de Bucer, l’avènement d’un nouveau papisme à Strasbourg.

L’auteur évoque ensuite longuement et de manière précise le synode de 1533, réunissant d’abord des délégués de la ville de Strasbourg, puis incluant, plus largement, des délégués des territoires dépendant de la ville. 16 articles rédigés par Bucer et Capiton exposent la doctrine en vigueur à Strasbourg. Engelbrecht s’oppose à toute contrainte en matière de foi et écarte l’idée que l’autorité civile pouvait juger la foi des fidèles. En fait, estime Bucer, il se serait opposé à la discipline dans l’Église. Dans le cadre du synode, les pasteurs devaient aussi s’exprimer, en cercle restreint, les uns sur les autres. Ils reprochent à Engelbrecht de s’isoler, de ne fréquenter que les »adversaires de l’Évangile«, de ne pas prêcher de manière satisfaisante, d’avoir des rapports peu clairs avec sa servante.

Il est question aussi de la proximité d’Engelbrecht avec d’autres non conformistes tels que Brunfels et Schwenckfeld. À la demande des présidents du synode, Engelbrecht met ses conceptions par écrit. L’auteur en publie une édition critique à la fin du volume (»Acten des sunderlichen sinodums die oberkeit belangend«, p. 129–187) ainsi qu’un résumé et un commentaire (p. 86–96). Engelbrecht y met en doute l’utilité des synodes, qui se passent mal parce que les uns veulent dominer les autres. Il est d’avis que l’élaboration de décrets sur les sacrements et la prédication est contraire à la liberté de l’Esprit de Dieu.

Il vilipende la collaboration illégitime entre les clercs et les autorités civiles, et rejette une pratique qui voudrait exclure certains de la communion eucharistique. En écartant tout mélange entre le règne spirituel et le règne temporel, il se réfère en particulier à l’écrit de Luther »De l’autorité temporelle« de 1523. Il est d’avis que les ministres du culte n’ont pas à instruire les autorités civiles sur leur devoir. Quant aux châtiments que l’autorité doit éventuellement imposer pour des actes ou comportements répréhensibles, ils doivent se fonder sur la raison naturelle et les lois en vigueur et non sur l’Ancien Testament.

Par la suite, Engelbrecht s’oppose à la Concorde de Wittenberg. Il entre aussi en conflit avec le chapitre de la Toussaint dont il était prébendier et finit par quitter Strasbourg. Il revient dans l’Église traditionnelle, s’oppose à Bucer et à l’archevêque de Cologne, qui auraient voulu introduire la Réforme protestante dans la ville de Cologne. Un bref épilogue souligne l’influence durable de l’humanisme sur Engelbrecht, mais aussi celle de Luther, sans qu’il se soit approprié pour autant l’ensemble de la théologie de ce dernier. Son plaidoyer pour la liberté religieuse et pour la diversité dans l’Église ont eu comme effet qu’il ne se sentait à l’aise dans aucune des Églises du XVIe siècle.

Attentif au contexte, l’ouvrage est fondé sur de nombreuses sources et sur un nombre impressionnant de travaux, cités sur 20 pages! Avec de bons arguments, l’auteur s’oppose aux historiens qui faisaient d’Engelbrecht un »épicurien«. On sait que, dans les années 1530, et encore en 1548, Bucer se plaint des »épicuriens«, nombreux dans la ville, qui, d’après lui, ne croient en rien, se moquent du culte, mènent une vie relâchée. Sans doute trouvait-on des épicuriens surtout dans les couches supérieures de la ville. Engelbrecht connaissait évidemment ces personnes, mais il ne partageait pas leur démarche.

D’ailleurs Bucer ne qualifie pas Engelbrecht d’épicurien avant 1546. En fait, il n’était qu’un individualiste opposé à la contrainte en matière de religion. Berg relativise aussi le relâchement moral imputé par Bucer et d’autres à Engelbrecht. Parler de »vie épicurienne« était un moyen courant à l’époque pour rabaisser un adversaire. Mais s’il est vrai que Bucer ne qualifiait pas Engelbrecht d’épicurien dans les années trente, il parle dans une lettre du 11 octobre 1533 de »la défection et du conflit épicurien« suscité par Engelbrecht. Pour lui, Engelbrecht n’était pas seulement infidèle à l’égard de l’Église évangélique, mais, en refusant toute discipline, il ouvrait aussi la porte aux sectes et aux épicuriens. Selon l’auteur, c’est à tort que Bucer parle d’une »secte épicurienne«. Engelbrecht et ceux qui partageaient ses idées n’étaient pas réunis dans un groupe constitué, ils défendaient seulement ponctuellement un même point de vue.

Cornelis H. W. van den Berg juge sévèrement la démarche de Bucer. Diplomate et tolérant à l’extérieur de Strasbourg, c’est par la contrainte que ce dernier a voulu imposer l’unité religieuse dans la ville, et ceux qui n’étaient pas d’accord avec lui, il les qualifiait de blasphémateurs et les accusait de mener une vie immorale. Lui-même, précurseur du puritanisme, aurait voulu faire de Strasbourg une cité sainte. Bref, à partir d’une relecture des sources et d’une critique implicite des travaux de plus d’un siècle, l’auteur nous propose une image différente, mais stimulante, de Strasbourg au XVIe siècle.

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Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Marc Lienhard, Rezension von/compte rendu de: Cornelis H. W. van den Berg, Anton Engelbrecht 1487–1556. Eine Biografie und eine vollständige Edition der Acten des sunderlichen sinodums die oberkeit belangend (1533), Göttingen (V&R) 2020, 219 S. (Refo500 Academic Studies, 71), ISBN 978-3-525-55457-9, EUR 60,00., in: Francia-Recensio 2020/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77554