Cet ouvrage collectif à la fois diversifié et cohérent fait suite à un colloque qui s’est tenu en juin 2017, à l’initiative conjointe de la société pour l’édition du »Corpus Catholicorum« et de la société d’histoire du diocèse de Wurzbourg, dans le cadre d’une exposition sur Julius Echter (reg. 1573–1617) au Museum am Dom. Le 400e anniversaire de la mort de ce prince-évêque très influent, considéré comme une figure de proue tant de la Réforme catholique que de l’absolutisme naissant, avait déjà fait l’objet de plusieurs autres manifestations et publications, mais il fallait élargir la perspective à des horizons suprarégionaux. Le thème choisi, celui de la fonction et du rôle des évêques dans le Saint Empire de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, permet d’aborder beaucoup d’aspects politiques, religieux, culturels et sociaux. Le recueil d’articles qui en résulte enrichit donc l’histoire du catholicisme post-tridentin, au-delà de tel territoire spécifique ou de telle problématique locale.
»Ideal und Praxis. Bischöfe und Bischofsamt im Heiligen Römischen Reich, 1570–1620« est dédié à la mémoire du professeur Peter Walter (1950–2019), décédé au cours du projet. Celui-ci est en même temps un des coauteurs du volume et le directeur de la collection qui l’accueille. Il a aussi signé l’article inaugural consacré à l’idéal épiscopal tridentin, ses racines et son évolution. Son approche à cheval entre étude théologique des dogmes et contextualisation historique, très originale dans le domaine allemand et dans l’histoire de la théologie catholique tout court, permet de saisir la question dans toute sa complexité. L’article dû à Peter Walter peut servir de point de départ fort utile à toute recherche sur les évêques à l’époque moderne.
Deux contributions richement illustrées interrogent ensuite les représentations de l’évêque à la fin du XVIe siècle, entre les modèles humaniste et jésuite à la fois complémentaires et concurrents (Rainald Becker), ainsi qu’entre les rôles très différents de guide ecclésiastique et de prince séculier (Bettina Braun). Deux autres articles abordent le cas très représentatif de Julius Echter en évoquant sa politique économique (Mark Häberlein) ou encore son double héritage comme prince centralisateur et évêque réformateur (Wolfgang Weiß). Trois contributions traitent d’aspects plus spécifiques de l’action des évêques en Empire: les relations avec la curie romaine, les nonces et la Reichskirche (Rotraud Becker), la question des élections par les chapitres, soumises à des règles fluctuantes et des intérêts profanes (Dieter J. Weiß), et les fonctions religieuses épiscopales proprement dites (Klaus Unterburger).
Trois articles reflètent l’ouverture confessionnelle de l’ouvrage puisqu’ils questionnent les spécificités de la figure et du rôle de l’évêque luthérien dans le Saint Empire des XVIe et XVIIe siècles. Ils mettent en évidence les tensions entre idéal épiscopal et administration concrète (Markus Wriedt), de même qu’entre ambitions personnelles, calculs dynastiques et élan de sécularisation (Matthias Asche). La contribution de Enno Bünz analyse le lent déclin du pouvoir épiscopal dans les territoires passés à la Réforme jusqu’en 1581. La dimension interconfessionnelle était présente dès les débuts du projet Ideal und Praxis, aussi à cause de l’anniversaire concomitant de la Réforme protestante en 2017, mais son inclusion dans l’ouvrage peut paraître artificielle. Elle mérite certainement d’être approfondie à l’avenir, dans le cadre d’une étude parallèle des différents processus de « confessionnalisation ».
Comme pièce centrale du volume, Rita Voltmer livre une exploration très approfondie de près de cent pages sur l’action dénonciatrice et répressive des évêques »brûleurs de sorcières«, les fameux Hexenbischöfe. Elle s’attelle à déconstruire le »paradigme de la persécution« en étudiant sa construction à travers l’historiographie du XVIe au XXIe siècle. À l’image de plusieurs autres articles du volume, cette étude est précieuse pour tous les chercheurs intéressés par les rapports entre politique, religion, histoire et mémoire, dans l’Europe de la première modernité.
Les conclusions de Volker Leppin reviennent sur les principaux nœuds de tension qui caractérisent la fonction épiscopale tout en proposant quelques pistes à explorer. Un premier constat concerne la difficile réconciliation entre les rôles séculier et religieux de l’évêque post-tridentin. Le deuxième point sur lequel insiste Volker Leppin est le tiraillement entre nécessité de restaurer l’ancienne foi et velléités de Réforme catholique. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la part des »autres«, protestants mais aussi Juifs et sorcières, comme ennemis ou reflets négatifs, dans la mise en œuvre d’un modèle épiscopal à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Monique Weis, Rezension von/compte rendu de: Peter Walter (†), Wolfgang Weiß, Markus Wriedt (Hg.), Ideal und Praxis – Bischöfe und Bischofsamt im Heiligen Römischen Reich 1570–1620, Münster (Aschendorff) 2019, 375 S., 1 Abb. (Reformationsgeschichtliche Studien und Texte, 174), ISBN 978-3-402-11609-8, EUR 68,00., in: Francia-Recensio 2020/4, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2020.4.77615