Bien que la publication de ce volume soit due à la diligence de Christelle Balouzat-Loubet, c’est à l’initiative d’Isabelle Guyot-Bachy et Michel Margue, porteurs d’un projet franco-luxembourgeois, appelé »Transscript«, visant à étudier les pratiques de l'écriture administrative du bas Moyen Âge, et plus particulièrement, la gouvernance des principautés régionales médiévales et les transferts culturels, que se tint à Nancy en 2016 un colloque sur l’édition en ligne des textes »diplomatiques médiévaux«. Ce livre rassemble une dizaine de contributions, et une conclusion dans laquelle Isabelle Guyot-Bachy a eu le grand mérite de parvenir à synthétiser des articles parfois très techniques et tous très différents.

»Édition« est d’ailleurs à prendre ici au sens large, puisqu’on trouve à la fois des projets d’édition en tant que tels (édition numérique, évidemment), et des projets de bases de données de simple publication.

Sur l’édition critique elle-même, Antonella Ambrosio présente l’édition collaborative de documents médiévaux de l’abbaye de Santa Maria della Grotta (prov. Bénévent), menée dans le cadre de la base »monasterium.net«. On connaît l’ampleur, en particulier en ce qui concerne les fac-similés, de cette base de données, mais c’est là la première tentative d’édition. Elle insiste sur les nouvelles possibilités ouvertes par un tel système: par exemple, le travail simultané à plusieurs, y compris à distance; la publication progressive des actes prêts; la possibilité de modifier l’ordre de présentation des actes sans privilégier obligatoirement l’ordre chronologique. Sören Kaschke explique le projet de nouvelle édition des capitulaires francs. On connaît l’extrême diversité de ces documents, qui ont souvent beaucoup évolué. Le projet prévoit à la fois une publication imprimée, qui s’attachera à essayer de retrouver les textes originaux, et une publication électronique, qui mettra en ligne une lecture davantage diachronique de ces documents.

À côté des éditions critiques, il y a aussi les bases de données. Eliana Magnani raconte l’évolution des »Chartae Burgundiae Medii Aevi« en »Corpus Burgundiae Medii Aevi«, ce qui signifie la prise en compte non seulement des actes, mais aussi d’autres textes, hagiographiques par exemple, l’ensemble étant conçu dans une perspective très orientée vers l’analyse lexicale. Armand Jamme présente le travail réalisé dans le cadre de »GEMMA«: la mise en ligne de plus de 22 000 photos de documents comptables de la Provence du bas Moyen Âge, avec édition de certains d’entre eux – les autres attendant leur éditeur. Les sceaux sont au centre de la base »SIGILLA« dont est responsable Laurent Hablot: une base ayant vocation à répertorier (publier, décrire, analyser), dans le cadre d’un projet participatif, l’ensemble des sceaux conservés en France. Quant à l’héraldique, c’est le domaine de Torsten Hiltmann et Thomas Riechert, qui ne cachent rien des difficultés de transposer ces images médiévales en une base de données, notamment du fait du langage descriptif très particulier, mais malgré tout difficilement encodable, de cette discipline.

Il y a aussi des projets de transcription d’un corpus accompagnée d’une étude, comme le projet »Transscript«, qui vise à la transcription en base de données des chartes princières lorraines et luxembourgeoises des XIIIe et XIVe siècles et à l’étude des principautés territoriales.

D’autres contributions sont plus générales. Jean-Philippe Genet, avec toute la légitimité de quelqu’un qui a figuré parmi les pionniers de ce qui ne s’appelait pas encore les humanités numériques, et qui n’a jamais cessé de participer à leur évolution, réfléchit à la question du référencement. Il montre la difficulté, actuelle, à accéder à une information complète sur les manuscrits médiévaux, mais insiste surtout sur le besoin de développer des »ontologies«, générales ou de domaines, c’est-à-dire une structuration des connaissances destinée à permettre de mieux penser le monde que l’on veut représenter. Georg Vogeler, un autre pionnier, plaide en faveur du passage au Semantic Web par le biais du RDF (Resource Description Framework) pour pouvoir mieux identifier les objets, les sources, les personnes.

Els De Paermentier donne le point de vue d’une utilisatrice en insistant sur la prise en compte, en effet souvent oubliée par les concepteurs des bases de données, des besoins et des questionnements des utilisateurs.

Ce petit volume est très intéressant, et interpelle les pratiques des éditeurs de textes: le numérique évolue, évolue vite, offre des ressources et des possibilités incroyables, enrichit et facilite le travail de l’éditeur et de l’historien (peut-être d’ailleurs, finalement, en les rapprochant). Ce livre est donc plus qu’utile! Le recenseur s’interroge un peu sur l’opportunité de publier en version imprimée en 2019 les actes d’un colloque de 2016 consacré au numérique; mais il est là de mauvaise foi, car en aurait-il pris connaissance s’ils n’avaient été publiés que sur le Net?

FUSSNOTEN EINFÜGEN

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Christelle Balouzat-Loubet (ed./dir.), Digitizing Medieval Sources/L’édition en ligne de documents d’archives médiévaux. Challenges and Methodologies/Enjeux, méthodologie et défis, Turnhout (Brepols) 2019, 182 p., 21 fig. (ARTEM. Atelier de recherche sur les textes médiévaux, 27), ISBN 978-2-503-58413-3, EUR 69,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79490