Les chartes ornées, longtemps négligées par la recherche, suscitent désormais de nombreux travaux, et on s’en réjouit! Après l’exposition et le colloque organisés à Paris en 2005 et 2007, c’est au tour de l’Institut für Mittelalterliche Forschung (Vienne) et de l’université de Graz d’organiser, depuis 2013, un ambitieux projet: l’inventaire et l’analyse des »chartes ornées« à partir du site »monumentum.net«; et, dans ce cadre, s’est tenu en 2016 à Vienne un colloque consacré à la question des chartes ornées, dont les actes sont publiés dans le volume recensé.

Après une introduction par Gabriele Bartz et Markus Gneiss, on trouve 21 articles qui montrent non seulement la diversité des actes concernés mais aussi celle des approches des chercheuses et chercheurs: comme le titre du livre l’indique, il est question de diplomatique, d’histoire de l’art et d’humanités numériques. On rangera à part la contribution d’Olivier Guyotjeannin, qui retrace l’historiographie de la question et propose de voir comme motifs à ces décorations la volonté soit d’en rehausser l’autorité, soit d’en rendre la lecture plus claire, soit de revendiquer une identité, soit enfin de rendre l’acte plus solennel; et celle d’Elizabeth Danbury, une des fondatrices de l’étude des chartes ornées, qui fait le point sur les actes anglais et surtout dessine les pistes de travail pour l’avenir, qui passera par l’interdisciplinarité et par le numérique.

Dans la définition, devenue classique et maintes fois citée dans cet ouvrage, que donne Martin Roland des chartes ornées, les actes munis de signes de validation graphiques sont pris en compte. On pourrait en discuter, dans la mesure où, s’il peut y avoir une recherche esthétique, il y a une fonction d’individualisation plus nettement prise en compte. Mais peu importe: il est vrai qu’il s’agit aussi de graphisme et de dessin. À ce titre, on se réjouit de lire les travaux de Bernard Zeller sur les signes de souscription dans les actes de Saint-Gall au haut Moyen Âge, de Magdalena Weileder sur les signets notariaux bavarois, qui à partir de la fin du XVe siècle sont de plus en plus souvent imprimés, figuratifs et accompagnés d’une devise.

Mais le volume s’ouvre plutôt par des contributions relatives aux humanités numériques: ce sont elles en effet qui vont permettre, qui permettent déjà, de renouveler l’étude des chartes ornées grâce à de fantastiques possibilités de repérage et d’analyse. Vincent Christlein explique qu’une recherche automatique des chartes ornées est possible, avec une marge d’erreur qui reste non négligeable mais se réduira sans aucun doute. C’est ce que font d’ailleurs déjà, comme le détaille Lisa Dieckmann, les bases de données comme »prometheus« ou »monasterium«. Péter Kóta fait le point sur la documentation hongroise: les descriptions d’actes dans les inventaires anciens ou éditions ne sont pas forcément assez précises, les bases de données permettront un recensement plus systématique, mais quand elles seront complètement renseignées.

Le phénomène des actes ornés concerne surtout le bas Moyen Âge. Une exception importante est constituée par des actes des XIe‑XIIe siècles issus du nord-est de l’Espagne, dont Susanne Wittekind étudie quatre exemples influencés en partie par les enluminures livresques et les diplômes byzantins. La chronologie est confirmée par Alison Stones, qui à travers quelques exemples pris en France, à Troyes, Metz, Marseille, Amiens, Bruges et en Languedoc, montre que le principe de la décoration des actes, apparu au XIIe siècle, se répand au XIIIe siècle dans les écrits ecclésiastiques, au XIVe dans le monde urbain.

Il était difficile sur un tel sujet de ne pas prendre en compte les actes pontificaux. Otfried Krafft retrace les débuts de la décoration de l’initiale du nom du pape, à partir du pontificat de Pascal II jusqu’à celui de Grégoire IX, et soulève la question, non encore résolue, de savoir si en matière d’initiale ornée le livre a précédé l’acte ou l’inverse. Francesca Manzari montre à quel point la chancellerie pontificale, après son retour (partiel) à Rome en 1378, a développé un art de la décoration, particulièrement de la première ligne. À partir des archives westphaliennes, Étienne Doublier propose une chronologie de la réception d’indulgences personnelles ou collectives, décorées ou non, et souligne le rôle particulièrement actif des communautés féminines.

Les armoiries peuvent fournir un motif iconographique à certaines chartes. Laurent Hablot lie le développement de la décoration emblématique (très largement par les armoiries) à la standardisation du sceau, qui ne permet plus de bien distinguer les différents personnages et les amène à le faire par ce biais, jusqu’à ce que la signature leur permette d’atteindre, autrement, le même but. On trouvera une étude de cas dans l’article d’Henning Steinführer, qui étudie sous ses différents aspects un document à l’iconographie assez simple puisqu’il s’agit de la confirmation à la ville de Brunswick, par l’empereur Sigismond en 1438, de ses armoiries, peintes au centre de l’acte.

Le cas des actes des ducs de Milan au XVe siècle, éclairé par Laura Alidori Battaglia, et pour les archives tessinoises par Marina Bernasconi-Reusser, est impressionnant par la proportion des actes concernés et par la qualité du travail qui met la décoration des actes au niveau des enluminures de manuscrits. C’est plutôt la forte signification politique et symbolique des enluminures des serments des doges de Venise et de leurs conseillers au XIVe siècle qui retient l’attention de Marina Vidas, tandis qu’Helena Katalin Szépe, qui étudie les commissions d’officiers vénitiens conservées à Vienne (XVe–XVIe siècles) relève la mise en avant des individus. Le phénomène des actes ornés n’est pas seulement lié à l’Europe de l’Ouest: Eter Edisherashvili attire l’attention sur les actes géorgiens décorés, qui datent du XIVe au XIXe siècle, Anastasija Ropa et Edgar Rops sur les actes lettons et lithuaniens.

Ce très beau volume, qui sera fondateur dans l’étude des actes décorés, se termine par une substantielle et très dense conclusion due à Torsten Hiltmann, et plusieurs dizaines de reproductions en couleurs, qui complètent les très nombreuses illustrations noir et blanc en plein texte.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Benoît-Michel Tock, Rezension von/compte rendu de: Gabriele Bartz, Markus Gneiß (Hg.), Illuminierte Urkunden/Illuminated Charters. Beiträge aus Diplomatik, Kunstgeschichte und Digital Humanities/Essays from Diplomatic, Art History and Digital Humanities. Wiener Tagung »Illuminierte Urkunden. Von den Rändern zweier Disziplinen ins Herz der Digital Humanities«, Köln, Weimar, Wien (Böhlau) 2019, 544 S., zahlr. farb. Abb. (Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde. Beiheft, 16), ISBN 978-3-412-51108-1, EUR 70,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79491