Martine Charageat, Bernard Ribémont, Mathieu Soula et Mathieu Vivas nous livrent une belle étude d’histoire médiévale et moderne consacrée aux résistances pratiques au judiciaire.

Les évasions des geôles, les défauts de présentation, les agressions des sergents, les fuites des justiciables, les insultes adressées aux magistrats sont des cas concrets de résistance à la volonté des juges. Mais, et c’est là tout l’intérêt de l’ouvrage, il ne faut pas s’y restreindre. L’histoire judiciaire est ici considérée, non pas uniquement dans ses résistances à la manière foucaldienne, mais par les résistances en termes pratiques.

Dépassant le clivage obéissance/résistance, les directeurs de l’ouvrage ont eu pour objectif de s’intéresser à trois points. Le premier consiste à aborder la résistance comme l’opposition à un pouvoir politique qui tente de s’imposer. Il s’agit là des difficultés rencontrées par un souverain dans son accompagnement de la genèse de l’État moderne. Le deuxième point est l’enjeu politique de la qualification d’actes en faits de résistance, entendus ici comme des actes de rébellion. Mais paradoxalement, la résistance aide bien souvent l’État et sa justice à renforcer leurs moyens de contrainte et de contrôle. Le troisième point correspond à la résistance à la justice comme appel à restaurer la vraie justice. Les contributeurs ont porté leur regard sur les différentes stratégies de résistance mises en place entre les XIIe et XVIIIe siècles.

La première partie, »se dresser contre la justice«, est consacrée à la résistance comme force, contrainte, mettant en question la légitimité de la justice, celle de ses servants ou de ses procédures. Bernard Ribémont se consacre à l’étude de textes narratifs médiévaux. Dans son écriture poétique, la résistance à la justice participe aux tensions entre les seigneurs féodaux et le roi qui affermit ses prérogatives de justice dès le XIIe siècle. Luca Fois s’intéresse à un cas lombard. Laure Verdon s’est attachée à étudier l’affaire Hugues de Baux contre Pelet de Momet qui, au XIIIe siècle, s’opposent des droits seigneuriaux et refusent d’appliquer une sentence pour résister.

Maria Asenjo a approché les sources relatives aux rois de Castille et leur ingérence au XVe siècle dans les affaires municipales qui vont alors leur résister. Maria Luisa Pedros, quant à elle, a travaillé sur les femmes emprisonnées à Valence par les tribunaux de l’Inquisition au XVIIIe siècle. Accusées de magies, elles récidivent en prison et y enseignent ces pratiques pour résister. Giovanni Romeo offre un panorama des différentes résistances aux tribunaux de l’Église et de l’Inquisition dans l’Italie de la Contre-Réforme.

La deuxième partie est consacrée à la neutralisation des effets de la justice. Il ne s’agit pas ici de contester sa légitimité mais de fuir ses procédures, de manœuvrer pour la mettre en échec. C’est par l’étude de Pascal Texier que cette partie commence. L’auteur interroge les analyses résistantielles pour démontrer qu’il existe au Moyen Âge de multiples usages de la justice permettant de défendre son honneur. Ricardo Cordoba, quant à lui, étudiant la corruption, démontre qu’il existe des stratégies de résistance permettant aux médiévaux de dénoncer le système pour servir leurs intérêts privés. Sandrine Lavaud met en lumière les rapports de force qui sous-tendent les relations, notamment conflictuelles et souvent frontales, entre Bordeaux et ses villes viticoles.

Roberto Tufano, par ailleurs, s’intéresse aux révoltes siciliennes du XVIIIe siècle à travers le crime de lèse-majesté. Mathieu Soula interroge les résistances des condamnés à mort à Toulouse au XVIIIe siècle. Sébastien Annen étudie les années 1780 pour mettre en lumière la grâce en tant que négociation. Cette dernière permet en vérité de mieux rendre la justice, en meilleur adéquation avec les faits.

La troisième partie est consacrée à la réception des résistances, à leur extinction et à la consolidation de la souveraineté. L’enjeu est ici pour le souverain d’imposer son droit, d’encadrer juridiquement mais aussi judiciairement les contestations de son pouvoir, mais également, et la chose est importante, d’arbitrer les divers conflits entre les juridictions. Julien Briand nous plonge dans les deux derniers siècles du Moyen Âge et plus particulièrement dans la réaction, parfois de résistance, des acteurs de l’ordre judiciaire face aux transformations de la justice criminelle.

Véronique Beaulande-Barraud dépeint avec clarté la juridiction du chapitre de Reims qui résiste à la justice épiscopale à la fin du Moyen Âge. Bernard Dauven, dans une approche d’histoire moderne, évoque les deux types de résistance permettant de contester la grâce. Olivier Caporossi s’attache aux résistances indirectes à la justice du roi et ses effets politiques, en étudiant l’enquête sur les agissements de Guzman en 1622. Rachel Renault évoque les aspects politiques des résistances à la justice dans une société moderne où l’État est absent et où il faut redéfinir les prérogatives et répartir les pouvoirs. Sophie Delbrel, dans une approche plus technicienne du droit et particulièrement éclairante, s’attache aux résistances de l’administration à la justice entre les XVIIIe et XIXe siècles par l’étude de l’accord fiscal.

Par l’étude des diverses sources, cet ouvrage collectif éclaire les phénomènes et stratégies de résistance dans toute leur complexité. C’est là toute son originalité. Cette relecture des sources fera date.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Martine Charageat, Bernard Ribémont, Mathieu Soula, Mathieu Vivas (dir.), Résister à la justice. XIIe–XVIIIe siècles, Paris (Classiques Garnier) 2020, 352 p. (POLEN – Pouvoirs, lettres, normes, 17), ISBN 978-2-406-09713-6, EUR 25,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79497