Le 86e volume de la collection »Brill’s Companions to the Christian Tradition« propose un recueil d’articles dédié à l’œuvre de Jean Érigène. De tous les penseurs de l’époque carolingienne Érigène a reçu la plus grande attention des chercheurs: en témoignent les colloques organisés périodiquement par la Society for the Promotion of Eriugenian Studies et les autres institutions de recherches, l’édition critique de tout œuvre d’Érigène dans le sein de la collection du »Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis« dont n’a bénéficié aucun autre savant de cette époque; ajoutons la traduction de ses traités en allemand, anglais, français et italien. Le volume est divisé en quatre grandes parties, la première étant consacrée aux »divers contextes« de la pensée de l’auteur.

L’article d’Alfred Kentigern Siewers »Eriugena’s Irish Background« propose une introduction à ce qui pourrait devenir ensuite une étude approfondie sur les traits irlandais dans l’œuvre érigénienne, sujet très peu connu et développé jusqu’à maintenant. L’article de John J. Contreni »John Scottus, Nutritor, and the Liberal Arts« envisage l’évolution intellectuelle d’Érigène dans le contexte scolaire carolingien. La contribution à l’introduction des arts libéraux dans le circuit d’études carolingiennes par Érigène étant crucial, qui les définit non comme des outils de la pensée, mais comme une partie intégrante de la philosophie.

Dans la première partie de l’article »Eriugena and the Neoplatonic Tradition«, Michael Harrington propose une introduction aux sources néoplatoniciennes du philosophe carolingien, en grande majorité transmises par les auteurs chrétiens (Augustin, Boèce, Grégoire de Nysse, etc.) avec une grande exception de Platon. Dans la seconde partie de l’article, il montre l’exploitation créative du néoplatonisme par Érigène dans deux thèmes déployés par lui: l’identification du visible au divin et l’autonomie du moi. Cette première partie du recueil se termine par un article de Christophe Erismann, »Between Greek and Latin: Eriugena on Logic«, dans lequel l’auteur propose une démonstration convaincante de la place centrale des dix catégories aristotéliciennes dans la pensée d’Érigène. Elles contaminent sa théologie, son épistémologie, elles travaillent également à la construction de son réalisme et de son matérialisme.

La deuxième partie du recueil est consacrée aux diverses perspectives du traité majeure d’Érigène: »Periphyseon«. Elena M. Lloyd-Sidle, »A Thematic Introduction to an and Outline of the Periphyseon for the Alumnus«, commence son article par un résumé thématique et analytique du traité qui déploie l’étendue du paysage métaphysique, tout en montrant ainsi l’un des thèmes majeurs de cet opus qui est le devenir du monde dans la création et son retour vers Dieu; l’autrice révèle aussi la manière du philosophe de faire dialoguer le néoplatonisme et la vision chrétienne du monde.

Dans sa contribution, John Gavin, »A Theologian’s Itinerary: John Scottus Eriugena’s Christological Ascent«, met en évidence l’aspect christocentrique dans la théologie érigénienne, dans laquelle le Christ prend la position centrale tout en mettant à l’honneur la partie spéculative et contemplative de la theologia. Le Christ est un exemple de l’unification dont l’imitation la plus parfaite est accomplie par Jean l’Évangéliste. Le célèbre traité d’Érigène fait partie de la littérature hexamétrale, ce que nous rappelle l’article de Bernard McGinn,»The Periphyseon as Hexametrical Commentary«, qui l’analyse tout particulièrement sous cet angle.

Tout en soulignant le lien intime entre l’anthropologie et la cosmologie du »Periphyseon«, Willemien Otten, »Suspended between Cosmology and Anthropology: Natura’s Bond in Eriugena’s Periphyseon«, l’interprète comme relevant de la »philosophie du dialogue«, plus précisément de la conversation. L’autrice propose une idée séduisante: la natura se déploie à travers ses quatre divisions par la réflexion du philosophe sur soi-même. Guilio d’Onofrio,»The Speculative System of John Scottus Eriugena and the Tradition of Vera Philosophia«, analyse les aspects gnoséologiques de l’œuvre qui évolue sur le fond de tension entre la toute connaissance de Dieu et la connaissance de l’homme, poussé par le désir d’identification du connaissant à l’objet de la Connaissance le plus parfait, la Vérité.

La troisième partie du recueil est intitulée »The Other Eriugena«: sans doute aurait-elle mérité un titre un peu plus précis. Quatre auteurs qui y sont regroupés se concentrent davantage sur les aspects théologiques des écrits d’Érigène. Ernesto Sergio Mainoldi, »Eriugena’s Intervention in the Debate on Predestination«, qui avait auparavant traduit en italien et commenté ce traité de controverse d’Érigène, présente les axes majeurs du philosophe dans ce débat. L’auteur remarque que quoique condamné pour son intervention dans ce débat, Érigène n’abandonne pas ses positions, ce qui confirme le livre 5 du »Periphyseon«. Les deux articles suivants de Joel I. Barstad,»Eriugena as Translator and Interpreter of the Greek Fathers«, et d’Adrian Guiu,»Eriugena Reads Maximus Confessor: Christology as Cosmic Theophany«, réfléchissent sur le rapport d’Érigène envers les sources grecques, qu’ils traduisent.

Joel I. Bastard revient sur l’allégation de M. Cappuyns que face au désaccord entre les auteurs grecs et latins sur un point doctrinal, le philosophe carolingien a continûment avantagé les premiers. Selon une nouvelle interprétation de l’auteur, les Grecs sont mobilisés par le philosophe afin de maintenir un équilibre des positions théologiques parfois contradictoires d’Augustin, qu’il a réussi à établir dans le »De predestinatione«. Adrian Guiu souligne un lien central entre l’anthropologie augustinienne et le christocentrisme de Maxime le Confesseur, qu’Érigène réconcilie dans son œuvre. Catherine Kavanagh,»Eriugena the Exegete: Hermeneutics in a Biblical Context«, nous rappelle que sous l’inspiration de la culture biblique de son temps, Érigène adapte l’exégèse à la lecture de la »nature«, univers créé, dans lequel le Christ offre la clé de la symbolique du texte et de la nature.

La quatrième partie (»The Aftermath of Eriugena«) regroupe les articles dédiés à la continuité érigénienne dans la philosophie médiévale et au-delà. Si au XIIe siècle la présence d’Érigène est évidente par le biais de la traduction du »Corpus Dionysiacum«, son influence est moins discernable sur les auteurs de ce siècle, ce que démontre Agnieszka Kijewska qui propose un article substantiel sur ce sujet, »Eriugena’s Influence on the 12th Century«. L’influence du philosophe irlandais pendant la Renaissance n’est pas non plus davantage concluante: ainsi l’un des exemples analysés par David Albertson, »Echoes of Eriugena in Renaissance Philosophy: Negation, Theophany, Anthropology«, montre que Nicolas de Cues, connu par son »érigénisme«, dans la construction de son anthropologie négative s’inspire des commentaires de Thierry de Chartres sur Boèce et non d’Érigène. Enfin deux derniers articles, celui de Dermot Moran, »The Reception of Eriugena in Modernity: a Critical Appraisal of Eriugena’s Dialectical Philosophy of Infinite Nature«, et de Stephen Lahey, »Eriugena’s Condemnation and His Idealism«, abordent la pertinence d’Érigène pour l’idéalisme moderne.

Le volume propose un regard indéniablement frais sur ce philosophe incontournable de l’époque carolingienne. Une plus grande attention est accordée à la christologie et l’aspect hexamétral de l’œuvre, ce qui parfois manquait dans les monographies précédentes consacrées à cet auteur. On peut néanmoins regretter que l’intérêt se porte majoritairement sur son »Periphyseon«, moins sur son »De predestinatione«, peu sur ces homélies consacrées à Jean l’Évangéliste et aucun sur ses »Carmina«.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Kristina Mitalaite, Rezension von/compte rendu de: Adrian Guiu (ed.), A Companion to John Scottus Eriugena, Leiden (Brill Academic Publishers) 2019, XII–504 p. (Brill’s Companions to the Christian Tradition, 86), ISBN 978-90-04-38267-1, EUR 229,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79555