Consacré à la culture matérielle urbaine de la fin du Moyen Âge et du début des Temps modernes, le volume réunit les actes du 45e colloque de printemps qui s’est tenu à l’Institut für vergleichende Städtegeschiche auprès de l’université de Münster en 2017. Encadré par une introduction et des conclusions, il renferme neuf articles et une bibliographie sélective (p. 237–249). Richement illustré, il permet de se faire une bonne idée des objets étudiés.
Dans leur introduction, Sabine von Heusinger et Susanne Wittekind constatent que le material turn a trouvé sa place dans l’historiographie urbaine et que cette évolution a permis une nouvelle approche des objets prémodernes de la vie quotidienne, tels que livres, armes et outils. La recherche ancienne n’aurait pas suffisamment étudié la fabrication et l’usage de ce type d’objets (p. 11). Pour l’analyse de la culture sur base d’objets et d’artefacts, les éditrices recherchent le dialogue avec les historiens d’art. Ainsi, par l’étude des interdépendances des aspects matériels, culturels, religieux, sociopolitiques et économiques d’une époque et d’un lieu déterminés, la publication souhaite ouvrir de nouveaux champs de recherche (p. 18).
Julia Funke se penche sur la »matérialité du mode de vie urbain«. D’après elle, pour »penser la ville«, les objets offrent un point de départ idéal. Elle se réfère surtout aux objets mobiles: les vêtements des membres du conseil urbain (qui peuvent exprimer le rang et la dignité de leurs porteurs, servir à des fins représentatives et refléter la personnalité des individus). Les collections d’objets précieux et d’armes du milieu marchand urbain seraient également dignes d’intérêt.
Elisabeth Gruber analyse des documents comptables de la ville de Vienne, dont des factures pour la fabrication de coussins de la chambre des délibérations de l’hôtel de ville et pour le siège du maire. Le choix et le prix des matériaux fourniraient des indices précieux sur la hiérarchisation des membres du gouvernement urbain, sur leurs désirs de représentation, les processus de communication et sur la perception de soi prémodernes. Les mêmes aspects pouvaient être illustrés par le choix des meubles et de la décoration, et d’une façon particulièrement significative, après une attribution de nouvelles armoiries plus prestigieuses, par la commande des travaux.
En examinant l’usage d’armoiries et d’autres signes héraldiques comme médias de communication par nobles, patriciens et corporations de métier, la contribution fort intéressante de Susanne Wittekind approfondit ces résultats. L’auteure utilise trois exemples: la décoration héraldique de la Marienkirche de Büdingen (élevée au rang d’église paroissiale dès 1476; située dans la petite capitale princière des comtes d’Ysenburg dans la Hesse actuelle); les entrées vers la cour du Nürnberger Hof de la famille patricienne des Glauburg à Francfort-sur-le-Main et les images des rois anglais et d’épisodes de l’histoire de ce pays dans la St. Mary’s Guildhall de Coventry en Angleterre (construite à partir de 1342). Susanne Wittekind donne une bonne illustration des liens étroits entre la situation politique et les choix artistiques. Les remaniements de la Guildhall sont révélateurs: à plusieurs reprises, en fonction de la situation politique respective, les vitraux et le décor héraldique de la grande salle de réunion et de fêtes de la corporation et du conseil urbain furent changés.
Kirsten Lee Bierbaum présente les peintures murales de la chambre de délibérations du conseil dans l’hôtel de ville de Goslar. Redécouverte en 1856, elles furent déjà étudiées par les historiens de l’art. L’hôtel de ville fut construit au cours du XVe siècle, la partie la plus ancienne date d’environ 1420. Le programme iconographique est dominé par les portraits non individualisés de douze empereurs et de douze Sibylles. Placée à un endroit prépondérant, la représentation de la Vierge Marie y joue un rôle central. Selon l’interprétation de l’autrice, en renforçant le caractère idéal, intemporel et universel du programme iconographique, elle y introduit des éléments eschatologiques. Cependant, les détails et leur interprétation se prêtent à un débat contradictoire. De nombreuses questions restent encore ouvertes.
Olivier Richard, quant à lui, présente un aspect très important de la vie politique de la région de l'Oberrhein: l’étude du rôle des objets liés aux actes clés de la vie constitutionnelle urbaine (comme les serments): res sacrae, évangiles, livres de serments et de statuts urbains ainsi qu’accessoires comme fruits, armes ou portes. Dans les villes tardo-médiévales de l'Oberrhein, l’importance des res sacrae diminua. Destinés à renforcer la cohésion interne de la communauté urbaine, d’autres objets et symboles acquirent une importance grandissante.
Julia Bruch analyse deux chroniques d’artisans du XVIe siècle: la chronique du maître cordonnier Sebastian Fischer d’Ulm (rédigé en plusieurs phases à partir de juillet 1548) et celle du maître artisan, Dionysius Dreytwein (*vers 1500–1576) d’Esslingen. Après la réforme de la constitution urbaine par l’empereur Charles V, en tant qu’artisans et membres des métiers, les auteurs furent exclus de l’exercice du pouvoir politique de leur ville respective. Ils s’intéressèrent vivement au changement politique, religieux et social de leur temps et se sentirent menacés par la déchéance sociale. L’étude se réfère aux aspects matériels et codicologiques des deux chroniques, ainsi qu’au contenu et les phases et techniques de l’écriture.
Birgitt Borkopp-Restle reprend le sujet de la représentation de soi des élites urbaines. Elle choisit le cas de l’église Sainte-Marie (Marienkirche) de Gdánsk. Cette église recueillit les fondations de riches marchands de la Hanse. Son trésor d’objets textiles, broderies, vêtements liturgiques et objets liés au culte profita des activités du commerce à longue distance de ce groupe social puissant.
Anna Pawlik consacre ses recherches aux grandes familles patriciennes de Nuremberg: les Holzschuher, Stromer, Behaim, Tucher, Pfinzing, Rieter, Tetzel, Welser, etc. À travers les généalogies, peintures, plaques commémoratives, écus de morts (Totenschilde) et des objets précieux, ces dynasties urbaines essayèrent de légitimer leur pouvoir et d’assurer leur memoria familiale. Pour y arriver, la création de légendes généalogiques et des livres de famille, ainsi que le renvoi à des ancêtres plus ou moins imaginaires issus de la chevalerie du XIIe siècle (qui auraient possédé de liens étroits avec la cour impériale) et à un tournoi légendaire fictif de 1198 furent des moyens de choix.
Regula Schmid étudie le rôle des armes et harnois dans la société urbaine suisse du XIVe et XVe siècle. Soumis à l’obligation de posséder des équipements militaires, les citoyens de villes comme Lucerne ne disposaient souvent que d’un matériel ancien en mauvais état. Ce dernier fut transmis d’une génération à l’autre et souvent prêté à des tiers. La plupart des pièces furent issues d’une production de masse étrangère. Destinés à la défense commune de la ville, ces objets exprimaient la mentalité d’une société de guerriers où l’influence masculine était dominante.
Les conclusions de Jan Keupp résument les résultats et recourent à la définition de la grande ville par Georg Simmel. Ce sociologue y voyait »une agglomération très réussie d’hommes et d’objets« (p. 227). Dans l’ensemble, placé sous le signe du material turn, le volume donne un aperçu fort intéressant des différentes facettes de l’étude des objets. Pour faire fructifier cette approche méthodologique, le dialogue entre historiens et historiens d’art s’avère très stimulant et mérite d’être poursuivi.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Gisela Naegle, Rezension von/compte rendu de: Sabine von Heusinger, Susanne Wittekind (Hg.), Die materielle Kultur der Stadt in Spätmittelalter und Früher Neuzeit, Wien, Köln, Weimar (Böhlau) 2019, 256 S., 78 Abb. (Städteforschung. Reihe A: Darstellungen, 100), ISBN 978-3-412-51612-3, EUR 27,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79560