Aujourd’hui, la sainteté est uniquement réservée aux personnes décédées. Au Moyen Âge, en revanche, il était possible que certains hommes et femmes aient bénéficié, dès leur vivant, d’une aura de sainteté et que les contemporains leur aient attribués des miracles. Cette sainteté des vivants n’est pas inconnue, mais il manquait un travail systématique réalisé dans une perspective religieuse, culturelle et sociale. Combler cette lacune, voilà l’objectif avec lequel Rentz a entamé sa thèse de doctorat – sous la direction de Knut Görich, avec la collaboration de Romedio Schmitz-Esser –, qui a été soutenue à Munich en 2017 et dont est issu le présent ouvrage.

Le choix des sources constitue ici un premier problème: ni la canonisation ni le culte ne peuvent être un critère pour la sélection des saints concernés, mais uniquement la reconnaissance de la sainteté par les contemporains. Rentz, qui se concentre sur l’Occident et qui se limite au XIIe et au XIIIe siècle, a sélectionné soixante hommes et femmes dont beaucoup sont peu connus, mais parmi lesquels on trouve aussi des saints aussi célèbres que Bernard de Clairvaux, François d’Assise et Thomas d’Aquin.

La partie principale du livre est divisée en trois parties. La première est consacrée à la personne du saint vivant: sa conduite de vie, son savoir et son éloquence, ses vertus, d’éventuels signes comme les stigmates, ses visions, ses miracles et aussi ses miracles échoués. La deuxième partie porte sur sa fonction dans la société médiévale: les saints vivants pouvaient rétablir la paix, être missionnaires, prédicateurs ou encore conseillers des puissants. Rentz ne néglige ici pas non plus les modèles bibliques et tardo-antiques qui peuvent avoir influencé ces hommes et femmes en odeur de sainteté et ceux qui ont rédigé leurs biographies.

Enfin, dans la troisième partie, l’auteur s’intéresse à l’entourage des saints vivants: quels étaient leurs rapports avec d’autres personnes, avec d’autres saints – encore vivants ou déjà morts –, quelles étaient les attentes vis-à-vis d’eux? Les résultats de cette enquête dépassent, bien sûr, la simple reconstitution des faits du passé. Rentz apporte beaucoup à notre compréhension de la communication symbolique et à la fonction sociale des personnes qui n’ont plus d’équivalent dans la société actuelle. Celles-ci sont le plus souvent entrées en »odeur de sainteté« grâce à leur pauvreté et leur humilité, et parfois aussi grâce à leurs miracles. Les miracles ne sont donc pas obligatoirement une conséquence d’une sainteté déjà généralement acceptée, mais ils peuvent aussi constituer une porte d’entrée pour l’acquérir.

La confirmation de cette sainteté par d’autres personnes, par exemple d’autres saints vivants, était ensuite d’une grande importance, car ces hommes et femmes pouvaient tout-à-fait perdre leur statut: il était, en effet, indispensable de le reconfirmer en permanence face aux contemporains par la conduite, les vertus et la force thaumaturgique.

L’entreprise de Rentz est ambitieuse, car les sources sont nombreuses, la littérature sur l’hagiographie est abondante, et les problèmes sont discutés de façon controversés. Il serait donc injuste de reprocher à l’auteur de ne pas avoir été exhaustif dans tous les domaines. Remarquons tout de même que la recherche francophone reste, par endroits, sous-représentée, car elle aurait permis de nuancer certains propos, comme le constat »qu’il n’y a, sur le plan littéraire, aucune différence entre l’hagiographie et l’historiographie« (p. 30)1.

Puis, dans les années 2000, le problème de la réécriture hagiographique, évoqué par Rentz (p. 51), a fait l’objet d’une série de colloques organisés à l’Institut historique allemand à Paris, dont les actes ont été publiés dans les »Beihefte der Francia« (vol. 8, 63, 71)2. Quant à un éventuel caractère réel de certains miracles – problématique qui est également thématisée par Rentz (p. 21) –, Pierre-André Sigal l’a abordé déjà dans les années 19803.

Enfin, quand on parle de François d’Assise, on peut citer Jacques Dalarun. Ces remarques n’empêchent cependant pas d’apprécier ce livre, au travers duquel l’auteur fait preuve de maîtriser une matière difficile qui nous apporte un nouvel éclairage sur la société médiévale.

1 L’auteur de ces lignes s’est intéressé à ce problème dans l’article suivant: Klaus Krönert, L’hagiographie entre historiographie et prédication. Étude sur une forme littéraire à partir des textes rédigés à Trèves (VIIIe‑XIe siècle), dans: Hagiographie et prédication, Mélanges de sciences religieuses 67/3 (2010), p. 5‑26.
3 Pierre André Sigal, L’homme et le miracle dans la France médiévale (XIe‑XIIe siècle), Paris 1985.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Klaus Krönert, Rezension von/compte rendu de: Andreas Rentz, Inszenierte Heiligkeit. Soziale Funktion und symbolische Kommunikation von lebenden Heiligen im hohen Mittelalter, Berlin, Bern, Bruxelles et al. (Peter Lang) 2019, 464 S., 4 Abb. (Beihefte zur Mediaevistik. Monographien, Editionen, Sammelbände, 24), ISBN 978-3-631-77810-4, EUR 84,95., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79681