Dans ce livre issu de sa thèse soutenue à l’université de Leeds en 2018, Hilary Rhodes s’intéresse à une double entité peu étudiée en ce qui concerne les croisades classiques: elle relève qu’il n’y a aucun article à ce sujet dans les »Annales de Bourgogne« entre sa fondation en 1929 et 2015, et l’on est obligé de se reporter aux neuf volumes de l’ouvrage d’Ernest Petit, »Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne«, publiés de 1885 à 1905. Il y a donc un vide historiographique qu’elle s’est attelée à combler, de manière ambitieuse, car traitant non seulement de l’histoire dynastique et politique en Bourgogne et en France, mais aussi de l’histoire des expéditions de croisade d’Europe aux États latins d’Orient, tout en faisant référence aux débats et aux derniers travaux historiographiques sur les différents points abordés au cours de son ouvrage.

Dans son introduction (p. 3–25), elle présente les sources (et leur peu d’informations sur les croisés bourguignons), l’espace bourguignon (duché et comté, en y englobant les comtés périphériques de Tonnerre, Auxerre, Nevers, Chalon et Mâcon) et le plan de son travail. Dans le premier chapitre, »Burgundy at the Dawn of the Crusades. Familial, Political, and Religious Histories« (p. 27–56), elle définit le cadre bourguignon depuis les époques barbares (si l’on dit »Burgundy« en anglais, en français, c’est plus justement »royaume des Burgondes«, plus rarement »Burgondie«), le royaume de Bourgogne, avant de se livrer à une étude de la politique (matrimoniale et autre) des ducs et des comtes de Bourgogne entre 1032 et 1095, du rôle de Cluny (qui n’est pas une fondation bourguignonne) dans la genèse des croisades et de la participation des Bourguignons dans la péninsule Ibérique (pour éviter l’emploi du terme »reconquista«) de 1063 à 1087.

Avec le deuxième chapitre, »Considering Contrasts. Burgundian Participants on the First Crusade, 1095–1101« (p. 57–87), Hilary Rhodes note en passant qu’Urbain II n’a pas cru bon de se rendre en Bourgogne en 1095. Comme chef bourguignon, seul le comte Renaud II y participa, et il y fut tué. Son frère Étienne Ier le suivit dans l’expédition de 1101, pour aussi y trouver la mort. Quant au duc Eudes Ier le Roux, qui était allé en Espagne en 1087, mais qui n’alla pas à la première croisade, il fit amende honorable en suivant celle de 1101, mais il fut tué à Tarse en 1102. S’est développée, chez les chroniqueurs, l’histoire de Florina, personnage sans doute légendaire, qui aurait été sa fille.

Le troisième chapitre est intitulé »Transforming Traditions. The Burgundian Second Crusade, 1102–49« (p. 89–116). Hilary Rhodes étudie l’évolution du contexte en relation avec la France, le nouveau paradigme du roi croisé et la seconde croisade vue comme pénitence du roi Louis VII; y allèrent aussi le comte Guillaume III de Nevers et son frère Renaud comte de Tonnerre.

La période suivante, étudiée dans le quatrième chapitre, »Between King and Emperor. The Evolving Burgundies, 1143–87« (p. 117‑141), a vu la résurgence de l’idée de royaume de Bourgogne avec Frédéric Ier Barberousse. C’est une période où le duc Eudes s’opposa à Louis VII, ce qui n’avait pas empêché le roi de prononcer son vœu de croisade à Vézelay. Son fils Hugues III, qui avait accompagné le roi, revint à un soutien à la monarchie française, mais quand Philippe II Auguste s’immisça dans les affaires du duché, il s’allia à l’empereur, à son grand dam. Hugues III partit en Terre sainte avec le comte de Sancerre en 1171, il fut un mari putatif pour la princesse Sibylle de Jérusalem, alors qu’il n’était pas encore séparé de sa femme Alix.

Il y retourna avec Philippe Auguste lors de la troisième croisade, objet du cinquième chapitre »Intimate Enemies. Burgundy and the Third Crusade, 1187–92« (p. 143–174). L’une des raisons fut le salut de l’âme de son ami Girard de Réon. Au départ du roi de France, il devint le chef des croisés français, et il se trouva en opposition avec Richard Cœur-de-Lion, et mourut en Orient en 1192. Les sources permettent alors de connaître plus de noms de croisés.

Dans le sixième et dernier chapitre, »The Early Thirteenth Century. Burgundy, France, and Rome, 1193–1223« (p. 175–206), Hilary Rhodes s’intéresse au retour du duché de Bourgogne dans le giron de la monarchie française, alors qu’elle dut payer les réparations imposées à cause de la bigamie du roi Philippe Auguste, à l’engagement dans la quatrième croisade, où les Bourguignons, dont on connaît peu de noms, composèrent la sixième section de l’armée, au faible concours à la croisade albigeoise et à la participation du duc Hugues IV à la croisade des Barons (1239–1241) – Hugues IV qui retourna en Orient avec Louis IX en 1248 (ce qui aurait pu être le terme de l’étude).

Après une conclusion de synthèse, Hilary Rhodes propose un catalogue de croisés bourguignons de 1096 à 1223. Suivent la bibliographie et un index.

Le livre se pose comme l’ouvrage de référence sur la Bourgogne et la croisade du XIe au XIIIe siècle. Cependant, cela ne va pas sans quelques problèmes. Le titre d’abord, qui n’a aucun rapport avec le sujet, à moins de l’entendre comme »Between the Crown [France] and the Cross«. Hilary Rhodes indique vouloir écrire pour de futurs historiens anglophones (p. 22), mais elle n’est pas toujours au fait de l’historiographie: pour le royaume de Bourgogne, on ne fait plus seulement référence à René Poupardin1 mais aussi à François Demotz2; le début sur l’an Mil en France ne s’est pas arrêté avec Georges Duby, mais a été poursuivi notamment par Dominique Barthélemy. Ceci pour l’historiographie française; l’allemande est mal connue.

Plus problématique est la liste des croisés »bourguignons«, pour laquelle Hilary Rhodes a des frontières plutôt élastiques pour la Bourgogne, plutôt les Bourgogne. Achard, châtelain de Montmerle, ne peut être retenu: le bourg n’a jamais fait partie de la Bourgogne, et Achard devait être un agent, soit de la famille des Enchaînés qui détenaient Montmerle en franc-alleu, soit des sires de Beaujeu qui l’ont reçu au tout début du XIe siècle; de plus il est parti avec Raymond de Saint-Gilles. Robert et Henri le Bourguignon n’en avaient plus que le nom puisqu’ils étaient au service du comte d’Anjou. Le cas de Welf de Bourgogne ou Boulogne reste litigieux. L’archevêque de Tarentaise Aymon de Briançon n’était pas d’une famille de Briançon établie dans l’actuel département de la Loire (p. 216), où il n’y a d’ailleurs pas de Briançon, mais de la famille savoyarde de Briançon (aujourd’hui Notre-Dame-de-Briançon, en Tarentaise même).

Au cours de l’ouvrage, des tableaux généalogiques auraient été bienvenus dans chaque chapitre pour mieux comprendre les liens dynastiques et familiaux, ce qui éviterait par exemple de faire du seigneur Humbert III de Beaujeu (dans le Nord du comté de Bourgogne) le fils du comte Amédée III de Savoie (p. 112). Enfin, à quoi sert un index incomplet?

1 René Poupardin, Le royaume de Bourgogne (888–1038). Étude sur les origines du royaume d’Arles, Paris 1907.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Jacques Paviot, Rezension von/compte rendu de: Hilary Rhodes, The Crown and the Cross. Medieval Burgundy, France, and the Crusades, 1095‑1220, Turnhout (Brepols) 2020, 263 p. (Outremer. Studies in the Crusades and the Latin East, 9), ISBN 978-2-503-58684-7, EUR 76,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79682