En 1222, un couvent Sainte-Madeleine de Pénitentes fut fondé au Waseneck, hors les murs de la ville de Strasbourg. Il est l’un des cinq établissements ecclésiastiques que le Conseil de ville fit détruire en 1475 devant la menace constituée par Charles le Téméraire. Puis est reconstruit avec une nouvelle église en 1480, sur un terrain donné intra-muros par les autorités urbaines. Son histoire est cependant assez mal connue, et délaissée depuis des décennies. Il est donc heureux que Louis Schlaefli, bibliothécaire du grand séminaire de Strasbourg, se soit lancé dans l’édition de l’obituaire (Seelbuch) du couvent, conservé dans ses fonds, sous la cote grand séminaire ms. 35.
La préface de Jacques Verger rend hommage au grand médiéviste strasbourgeois Francis Rapp, disparu peu avant la publication de ce volume, et qui aurait dû la rédiger. L’introduction par Louis Schlaefli ne présente pas vraiment l’histoire de Sainte-Madeleine. Il fait le choix de consacrer ses »notes relatives à l’histoire du couvent« (p. 11–23) au déménagement de 1480 et à des éléments de son décor artistique. Peut-être aurait-il pu présenter la place de cette communauté dans la ville, notamment le milieu social d’origine des sœurs: à la fin du Moyen Âge, elles se recrutaient d’abord dans le patriciat strasbourgeois, ce qui changea nécessairement lorsque la cité adopta la Réforme au début du XVIe siècle.
Le manuscrit de 84 folios de parchemin est présenté avec soin, et plusieurs belles photographies permettent de se faire une idée de son apparence. En 1518, Ursula Stingelerin, qui devint prieure de l’établissement, le commença en reprenant un obituaire plus ancien, comme elle l’écrit dans son préambule. Il fut continué par d’autres sœurs jusqu’après la Révolution française, au cours de laquelle le couvent fut dissous, et présente donc des mains très différentes. L’une des dernières d’entre elles a dû soustraire le manuscrit au destin incertain qui l’attendait, et il parvint, sans qu’on puisse retracer comment, au Grand séminaire.
Le calendrier-obituaire lui-même constitue la plus grande partie du manuscrit; la seconde, p. 122–136, comporte les notices biographiques des bénéficiaires d’un anniversaire trop longues pour être écrites in extenso dans l’obituaire; Ursula Stingelerin élabora pour elles un système de renvoi interne. Enfin, un répertoire des personnes enterrées au couvent de 1777 à 1787 clôt le volume (p. 155–159; les pages précédentes et suivantes sont blanches).
L’édition est d’un très grand intérêt. La transcription suit les recommandations de W. Besch et de M. Thumser. Elle n’est pas exempte de petites erreurs, si l’on en juge par les pages photographiées dans le volume; ainsi, p. 112 du manuscrit, notice 1141, Gedencken durch Gottes willen swester Petternell Wurmserin ein p(ri)orin deß convents devrait se lire Gedencken durch Gottes wyllen swester Peternella Wurmserin ein p(ri)orin des conventz. Par ailleurs, on peut regretter l’usage parfois trop parcimonieux de la ponctuation (par exemple notice 1261, p. 131 du manuscrit). Un peu plus généreux, il aurait facilité la lecture des textes longs.
Mais le grand apport de l’édition de Luis Schlaefli vient de son excellente connaissance de l’ensemble des sources disponibles, autant des originaux trouvés aux archives départementales du Bas-Rhin que des copies ou relevés – par exemple d’épitaphes – d’érudits des XVIIIe et XIXe siècles. L’énorme travail prosopographique effectué sur les personnes inscrites dans le Seelbuch, à l’érudition très rarement mise en défaut (p. 219, »Egern (?)« est l’actuel Cheb en République tchèque, allemand Eger, dans le diocèse de Ratisbonne), rendra des services immenses aux chercheuses et chercheurs travaillant sur Strasbourg.
Les belles planches en fin de volume, les index de personnes, de lieux et un excellent glossaire (qui abuse cependant du qualificatif d’»alsacianisme« pour des termes qu’on rencontre en fait dans toute l’Allemagne du Sud) contribuent enfin à la qualité générale de cette édition.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Olivier Richard, Rezension von/compte rendu de: Louis Schlaefli (éd.), avec la collaboration de Jean-Loup Lemaitre, L’obituaire des pénitentes de Sainte-Madeleine de Strasbourg, Paris (Académie des inscriptions et belles-lettres) 2020, X‑340 p., nombr. ill., 18 pl. en coul. (Recueil des historiens de la France. Obituaires. Série in-8°, 21), ISBN 978-2-87754-397-2, EUR 50,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79684