L’ouvrage de Philip Haas, issu d’une thèse soutenue en 2016, prend pour objet d’étude une série de mariages princiers réalisés par les landgraves de Hesse-Cassel entre le début du XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle. L’auteur souhaite interroger la fonction politique de cette pratique, les fins politiques qu’elle permet de poursuivre, et son efficacité concrète. Le concept qui se trouve au centre de la réflexion est celui de »l’intérêt«, considéré à la fois comme une catégorie analytique de l’historien et de l’historienne, et comme une notion historique, thématisée par les acteurs eux-mêmes.
Selon Philip Haas, ce ne serait pas uniquement au renforcement de la paix que les mariages princiers auraient servi – ce que sous-entend parfois l’historiographie allemande consacrée à la question – mais bien plutôt à la défense d’intérêts plus vastes: ils permettaient, selon les situations, de favoriser la guerre ou de garantir la paix, mais doivent, plus globalement encore, être considérés comme un instrument politique aux potentialités et aux usages multiples. La situation spécifique du landgraviat de Hesse-Cassel permet d’en faire la démonstration: les princes de la maison de Brabant, dont le poids militaire et politique était secondaire mais loin d’être insignifiant, menèrent en effet, au XVIIe et XVIIIe siècle, une politique ambitieuse afin d’augmenter leurs possessions, d’affirmer leur statut et d’accroitre leur rang dans le Saint-Empire et sur la scène européenne; la politique matrimoniale en fut l’un des leviers.
Dans les deux parties principales de l’étude, l’auteur oppose schématiquement un arrière-fond normatif et conceptuel, puis une série de cas d’étude. Dans la partie »théorique«, Philip Haas s’appuie sur un ensemble disparate de documents produits par la maison princière elle-même (testaments politiques, règlements dynastiques internes à la maison, etc.), et sur un corpus d’environ 70 traités normatifs, publiés pour la majorité d’entre eux entre les années 1600 et 1740. Les résultats de cette analyse de contenus textuels, considérés indépendamment de leurs conditions de production, d’écriture puis de réception paraissent particulièrement fragiles.
On remarque sans doute la place remarquable que prend, dans ces documents, la thématique de »l’intérêt«: les mariages princiers sont souvent présentés comme des instruments politiques devant permettre la conservation de la dynastie, la défense de certains buts politiques concrets (comme l’acquisition de terres nouvelles), et la sécurisation du territoire (par exemple par le développement des amitiés princières). Reste à savoir si ces ouvrages n’avaient pas pour but, au moins pour certains d’entre eux, de légitimer une pratique a posteriori, plutôt que de l’encadrer a priori.
La seconde et principale partie du développement se compose de plusieurs cas traités successivement, à savoir les alliances princières négociées avec les Hohenzollern (1649, 1679 et 1700), le Danemark (1667), la maison de Nassau-Dietz (1709), la Suède (1715) et la maison de Hanovre (1740). La diversité des sources utilisées – correspondances diplomatiques sur les négociations menées en amont de la noce, contrats de mariage, description des festivités, etc. – permet souvent de mettre en évidence la pluralité des enjeux politiques, tout comme les conflits d’interprétation qui se jouent à l’occasion des mariages princiers.
Le cas de l’union, célébrée en 1740, entre le futur Frédéric II de Hesse-Cassel et Marie d’Angleterre, la fille du roi George II en donne un exemple passionnant: les maisons qui se lient alors se trouvent, toutes deux, à la tête de deux unions personnelles, anglo-hanovrienne d’un côté, et celle reliant, depuis 1720, la Suède et la Hesse-Cassel de l’autre, ce qui complexifie grandement les enjeux – mais aussi les risques de cette alliance. Les troupes que le roi de Suède promet au roi d’Angleterre en échange du mariage pourront-elles être employées dans la guerre alors en cours entre le Royaume-Uni et l’Espagne ou seulement pour sécuriser les territoires allemands du roi? Si la seconde solution s’impose, George II obtient en revanche, en dépit des usages, un droit de regard sur le mariage des enfants issus de cette union entre un prince calviniste et une princesse anglicane.
La succession des exemples permet par ailleurs de voir apparaitre, par petites touches, un portrait politique intéressant d’une puissance politique protestante de second rang – de sa position, de ses atouts et de leurs limites dans le cadre de la société politique impériale. La force d’attractivité de la Hesse-Cassel reposait, indubitablement, sur sa capacité à fournir des mercenaires en nombre important (14 000 hommes pour une population globale de 250 000 habitants en 1730). Les landgraves purent ainsi réaliser des unions hypergamiques, gagner des soutiens dans certaines revendications politiques (ainsi l’obtention d’un droit de garnison sur la forteresse stratégique de Rheinsfels, permise grâce au soutien de Frédéric III du Brandebourg, et négociée dans le cadre d’une alliance matrimoniale en 1700), et même obtenir, de manière passagère, la couronne royale de Suède, entre 1720 et 1751.
La Hesse-Cassel ne fut toutefois jamais davantage qu’une force d’appoint dans la concurrence entre les grandes puissances. Les rapports de force tournaient souvent en leur défaveur, comme en cette même année 1700, lorsque le prince de Hesse-Cassel dut retirer sa revendication sur la succession d’Orange, pour ne pas faire de l’ombre aux demandes des Hohenzollern (p. 231–235).
En cela, l’ouvrage est souvent très utile par son terrain d’étude; ses apports dans le champ historiographique des mariages princiers restent toutefois bien plus limités. De toute évidence, il ne suffit pas de choisir une approche par cas pour réaliser une microhistoire des alliances princières, tandis qu’il ne suffit pas non plus d’être attentif aux festivités organisées dans le cadre de ces noces pour écrire une histoire culturelle du politique (p. 31–36).
En choisissant de se passer des travaux et des instruments que l’anthropologie a offerts aux historiens et historiennes de la parenté, l’auteur se condamne à juxtaposer les situations conjoncturelles, en perdant de vue le temps long des stratégies matrimoniales. »L’intérêt« de la dynastie est ainsi, presque toujours, considéré dans le temps court des événements politiques, alors que les stratégies déployées par les landgraves pour affirmer leur statut au sein de la société politique impériale, en essayant d’obtenir, en vain, une dignité électorale, puis en participant à la course des princes allemands pour l’obtention d’une couronne royale, s’élaborent sur plusieurs générations, et grâce à l’ensemble des mariages princiers, qui forment un système.
L’histoire sociale et l’anthropologie historique auraient par exemple offert des outils heuristiques plus ambitieux pour analyser la répétition des alliances princières avec les Hohenzollern, qui ne se résume sans doute ni à l’existence d’intérêts communs, ni à celle d’une »tradition matrimoniale« entre les deux maisons (p. 206–210). Ainsi, si le livre déçoit dans ce qui fait le cœur de son projet, sa lecture donne des informations intéressantes sur l’histoire du rôle et de la place, au sein de la société impériale et de l’Europe protestante, de cette puissance de second rang qu’était le landgraviat de Hesse-Cassel.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Sébastien Schick, Rezension von/compte rendu de: Philip Haas, Fürstenehe und Interessen. Die dynastische Ehe der Frühen Neuzeit in zeitgenössischer Traktatliteratur und politischer Praxis am Beispiel Hessen-Kassels, Darmstadt, Marburg (Selbstverlag der Hessischen Kommission Darmstadt und der Historischen Kommission für Hessen) 2017, 393 S. (Quellen und Forschungen zur hessischen Geschichte, 177), ISBN 978-3-88443-332-4, EUR 36,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.79686