466 Suisses se sont engagés dans la Résistance française armée contre l’occupant, dont 280 dans la résistance extérieure, à Londres ou en Afrique du Nord, les autres auprès des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Le parcours de ces hommes, et de quelques femmes, n’a fait l’objet d’aucune étude historique, si l’on excepte un article de Luc van Dongen en 2000 consacré aux Suisses dans les FFI durant les derniers mois du conflit mondial1. Le livre de l’historien bâlois Peter Huber vient donc combler une réelle lacune. Huber est de plus un spécialiste reconnu de l’engagement militaire des Suisses à l’étranger, ayant déjà publié deux ouvrages sur les partisans de la République espagnole et un troisième sur les combattants de la Légion étrangère en Indochine et en Algérie2.

Pour sa recherche, l’auteur s’appuie avant tout sur les archives des tribunaux militaires suisses, d’autant plus précieuses qu’il s’est vu refuser l’accès à une partie des sources françaises, celles de la Légion étrangère. La justice helvétique a poursuivi pénalement ces Suisses pour les délits d’affaiblissement de la défense nationale helvétique, de refus de servir ou encore de franchissement illégal de la frontière. En particulier, les interrogatoires et procès qui ont été menés après le retour en Suisse d’une partie d’entre eux offrent de riches informations. Si les volontaires de la guerre d’Espagne ont été réhabilités par les autorités suisses en 2009, il n’en va pas de même de ceux engagés dans la résistance française, au motif, selon le gouvernement, que leurs motivations n’étaient pas claires.

Le fait est que les motivations de ces combattants furent loin d’être homogènes, comme le montre Huber à travers une analyse prosopographique: seuls 4% d’entre eux sont des militants antifascistes convaincus. Pour cette minorité, l’activité dans la Résistance s’inscrit souvent dans la continuité du combat déjà mené dans les rangs des brigades internationales aux côtés des Républicains espagnols. Plus largement, un tiers des Suisses engagés sont mus par un attachement patriotique à la France, notamment parce qu’ils y vivent déjà avant la guerre, pour 18% d’entre eux, ou y ont des attaches familiales. Ce dernier motif est reconnu comme honorable par la justice militaire suisse qui, dans de tels cas, s’en tient à des peines assorties du sursis. Pour les autres, les raisons de rejoindre la Résistance sont moins idéalistes: des difficultés professionnelles ou familiales en Suisse rendent attrayante la perspective de rejoindre le maquis ou de revêtir l’uniforme de la Légion étrangère combattant pour la France libre. On ne s’étonnera donc pas que la plupart des engagés sont d’origine sociale modeste: 63% d’entre eux ont un père ouvrier, 56% n’ont pas terminé de formation après l’école obligatoire, et un tiers a un passé pénal avant l’engagement dans la Résistance, souvent lié à de la petite criminalité. La minorité de volontaires issus de familles aisées font du reste l’objet de peines moins sévères une fois de retour en Suisse.

Compte tenu de la faible proportion de combattants motivés par des convictions politiques, le taux de désertion est assez élevé: il atteint 18% alors qu’il n’était que de 11% pour les partisans de l’Espagne républicaine. Le taux de décès, de 13%, est en revanche inférieur à celui des volontaires partis en Espagne, qui s’élevait à 25%. Loin de s’en tenir à ces seules statistiques, l’auteur retrace les tragiques destins dissimulés derrière ces chiffres. C’est le cas par exemple de Karl Bürgin, un Bâlois d’origine qui exploite une ferme avec son épouse française en Dordogne. Il rejoint un groupe de résistants, est capturé et abattu sommairement par des soldats allemands en juin 1944. Quant au Valaisan d’origine Pierre Pitteloud, également marié à une Française et travaillant dans une laiterie en Côte-d’Or, il rejoint un groupe résistant, est arrêté et meurt en déportation peu avant l’arrivée des troupes américaines.

Comme l’ouvrage se concentre sur la résistance armée et s’appuie avant tout sur les sources de la justice militaire, les femmes y occupent une faible place. On peut à ce titre regretter que l’auteur n’accorde pas davantage d’attention à leur activité spécifique parmi ces volontaires, même si la rareté des sources ne facilite pas une telle démarche. Cependant, on est frappé par le parcours exceptionnel des deux seules volontaires féminines évoquées dans l’ouvrage. La première, Anne-Françoise Perret-Gentil, est une Neuchâteloise qui travaille comme relieuse à Paris et s’engage très tôt dans un groupe de résistance gaulliste où elle accomplit des tâches de renseignement. Arrêtée par la Gestapo en 1944, elle réussit à s’échapper du camp de Ravensbrück. Gabrielle Mayor-Huguenin, également d’origine neuchâteloise, vit avec son mari français près de Dôle, non loin de la frontière suisse. Elle s’engage quant à elle dans un groupe de résistants soutenu par les services spéciaux britanniques. Elle est également arrêtée et survit à une déportation au camp de Ravensbrück.

Le dernier chapitre de l’ouvrage retrace le parcours de ces volontaires après le conflit. Celui-ci est souvent marqué par des difficultés à se réinsérer dans la vie civile qui peuvent mener jusqu’à un basculement dans la petite criminalité, l’alcoolisme ou la marginalité. Un peu plus de la moitié des Suisses choisissent de rentrer au pays, malgré la perspective d’un procès, tandis qu’un petit tiers reste en France, parfois dans l’espoir d’y toucher une modeste rente d’invalidité en raison de blessures de guerre. Enfin, 16% des engagés partent en Indochine ou en Algérie dans les rangs de la Légion étrangère. Cette dernière a en effet subi de lourdes pertes lors des combats menés dans les Vosges ainsi qu’en Alsace et a donc besoin d’hommes pour le maintien de l’ordre dans des colonies secouées par des soulèvements populaires dirigés contre la tutelle française.

En conclusion, l’ouvrage de Huber apporte une contribution importante à une vision moins franco-centrée de l’histoire de la Résistance que celle qui a prévalu durant les décennies d’après-guerre. Puisse-t-il également lutter contre l’effacement quasi complet de l’engagement de ces Suisses dans la mémoire publique de leur propre pays et, peut-être, servir de base solide à un nouveau débat sur leur réhabilitation.

1 Luc van Dongen, Des Suisses dans la Résistance française (1944–1945), dans: Michel Porret, Jean-François Fayet (dir.), Guerres et Paix. Mélanges offerts à Jean-Claude Favez, Genève 2000, p. 281–301.
2 Nic Ulmi, Peter Huber, Les combattants suisses en Espagne républicaine (1936–1939), Lausanne 2001; Peter Huber, Die Schweizer Spanienfreiwilligen. Biografisches Handbuch, Zurich 2009; id., Fluchtpunkt Fremdenlegion. Schweizer im Indochina- und Algerienkrieg, 1945–1962, Zurich 2016.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Hadrien Buclin, Rezension von/compte rendu de: Peter Huber, In der Résistance. Schweizer Freiwillige auf der Seite Frankreichs (1940‒1945), Zürich (Chronos) 2020, 304 S., 50 Abb., ISBN 978-3-0340-1596-7, EUR 38,00., in: Francia-Recensio 2021/1, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.80063