Fabrice Mauclair propose une histoire à la fois institutionnelle et sociologique de la police et de la justice telles qu’elles furent exercées en Touraine au XVIIIe siècle. L’angle choisi par l’auteur se voulant le plus complet possible, l’ouvrage aborde tant la justice civile que la justice pénale, les différentes formes de maintien de l’ordre public, les types de contentieux et de crimes, de même que les procédures suivies depuis la première action en justice jusqu’à l’exécution de la peine. De cette manière, ce livre s’inscrit pleinement dans le champ historiographique des études consacrées, depuis les années 1970, à la justice et aux déviances à l’époque des Lumières (Nicole Castan, Julius Ruff, Benoît Garnot, Iain Cameron, Steven Reinhardt).
La publication n’est cependant pas le fruit d’une étude originale dans la mesure où il s’agit d’une version abrégée et remaniée d’une recherche antérieure publiée en 2019 aux Presses universitaires François-Rabelais (PUFR). Elle s’en démarque par un choix éditorial privilégiant une approche pédagogique, résolument tournée vers le grand public. À cette fin, les nombreuses illustrations, extraits d’archives et encadrés présents tout au long de l’ouvrage permettent à la lectrice ou au lecteur de se familiariser plus facilement avec l’histoire de la police et de la justice d’Ancien Régime.
La sélection de certains documents d’archives – en particulier l’interrogatoire sous la torture de Clément Fleury – est remarquable et permet une immersion immédiate et concrète dans les enjeux de l’époque. Conformément à cet objectif de diffusion, l’auteur développe une approche locale, notamment à travers l’identification des lieux d’exécution des peines, sans pour autant tomber dans les travers d’un localisme qui rendrait son propos obscur à tout non-Tourangeau. Si le choix éditorial n’est pas sans mérite, il pose cependant questions sur plusieurs points.
Le plus problématique est sans nul doute l’absence de références bibliographiques (à quelques exceptions près) qui rend impossible la vérification du contenu du texte et surtout l’orientation, vers d’autres publications, des lecteurs susceptibles d’être intéressés par les différents sujets traités. Il ne nous semble pas que le fait de rendre un texte accessible au plus grand nombre soit incompatible avec la présentation ou la mention des travaux les plus importants dans le champ d’étude. Il s’agit ici d’une incompréhension profonde des enjeux de la diffusion et popularisation des résultats de recherche qui ne doivent pas enfermer le public mais au contraire susciter sa curiosité.
Un autre effet malheureux de cette incompréhension réside dans le surnombre d’illustrations (55!) dont la sélection est dans certains cas contestable. On peut ainsi s’interroger sur l’intérêt de présenter un tableau illustrant une chasse aux loups ou »un chien flairant du gibier« (p. 138). La multiplication des encadrés de même que leur contenu posent également question. À plusieurs reprises, les informations des encadrés s’avèrent paradoxalement plus importantes pour la compréhension du fonctionnement de la justice d’Ancien Régime que celles du corps du texte.
On remarquera d’autre part que l’alternance inexpliquée d’encadrés blancs et grisés rend la fonction de ces derniers difficilement lisible. Parallèlement à ces problèmes de forme, l’objectif éditorial de vulgarisation a eu pour conséquence d’appauvrir le fond même du livre. Alors que le titre indique que l’étude a été conduite sur la Touraine, le lecteur aura du mal – à l’exception du chapitre consacré aux lieux de justice – à comprendre les spécificités de l’exercice de la justice dans cette région. Ce constat s’explique par l’absence de comparaisons avec les autres provinces françaises. La plupart des informations contenues dans l’étude sont d’ordre général et laissent à penser que les normes et les pratiques de la justice en Touraine étaient semblables à celles prévalant au XVIIIe siècle sur l’ensemble du territoire.
En passant sous silence les caractéristiques propres aux autres provinces, l’auteur transmet inévitablement aux lectrices et lecteurs profanes l’image erronée d’une justice d’Ancien Régime homogène. Quant aux chercheures et chercheurs, en l’absence d’informations suffisamment précises, ils devront sans doute, pour appréhender l’activité et les normes judiciaires tourangelles, se reporter à l’étude initiale publiée aux PUFR.
En définitive, le présent ouvrage laisse un sentiment mitigé. S’il faut se féliciter de cette volonté de faciliter la compréhension de la justice d’Ancien Régime en Touraine au grand public, l’objectif-même de diffusion semble avoir déforcé le projet en évitant notamment les comparaisons et en refusant de confronter les résultats obtenus avec les nombreuses études réalisées depuis un demi-siècle sur la justice des Lumières.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Emmanuel Berger, Rezension von/compte rendu de: Fabrice Mauclair, Crimes et justice en Touraine au XVIIIe siècle, Avon-les-Roches (Éditions Lamarque) 2020, 221 p., nombr. ill., cartes, plans (Histoire), ISBN 978-2-490643-27-1, EUR 18,00., in: Francia-Recensio 2021/1, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.1.80285