L’ouvrage de Mark E. Blum, professeur au département d’histoire de l’université de Louisville (Kentucky), impressionne par son interdisciplinarité: il relève de l’historiographie, de la philosophie de l’histoire, de l’histoire des idées politiques et des études littéraires (conception et représentation de l’histoire dans les textes littéraires), mais aussi par l’ampleur de la période étudiée: du XVIIe siècle au temps présent. Le chapitre d’introduction (»The Problematic Concept of National Historical Thought«) contient des formules qui peuvent déconcerter le lecteur ou la lectrice. Par exemple: »Kant’s categorical imperative ›Act only according to that maxim whereby you can at the same time will that it should become a universal law‹ as Late Enlightenment expression of a way of thought one can track to the Germanies beginning with Charlemagne« (p. XV). Le parallèle suggéré par l’auteur entre la monarchie habsbourgeoise de 1848 à 1918 et la Chine des Ming est d’une originalité surprenante: »An analog with Ming China ist apt to describe the nature of Austrian political and ideological policy […] Austria is the closest historical culture to China in the West, not only because of its multiple ethnicities but also because of its regionalism« (p. XXIII).
Alors que le chapitre d’introduction abonde en formules générales et parfois même intemporelles, ce qui est paradoxal pour un historien, la suite du livre se caractérise par l’extrême diversité des sujets traités. Pour chaque période, l’auteur sélectionne une série de personnalités qu’il présente sous la forme d’une suite de courts chapitres monographiques. Pour en rendre compte plus précisément, il faudrait entrer dans le détail de chacun de ces portraits d’historiens, de philosophes ou d’écrivains. Nous nous contenterons de ce sommaire (qui manque dans la table des matières de l’ouvrage). Pour la période qu’il appelle »Early Enlightenment«, l’auteur présente Samuel von Pufendorf, Gottfried Wilhelm Leibniz, Johann Martin Chladenius et, pour l’Autriche, Johann Weichard Valvasor, Josef Anton Stranitzky, Franz Constantin Florian von Khautz; pour la période »From the Mid-Enlightenment through the Late Enlightenment«: Frédéric II, Justus Möser, Johann Wolfgang von Goethe, Johann Gottfried von Herder, Immanuel Kant, Moses Mendelssohn et, pour l’Autriche, Joseph von Sonnenfels et Joseph Schreyvogel; pour la période 1815–1870: Leopold von Ranke, Johann Gustav Droysen, Karl Marx et, pour l’Autriche, Franz Grillparzer, Adalbert Stifter, Julius von Ficker et Theodor von Sickel; pour la période 1870–1914: Friedrich Nietzsche, Wilhelm Dilthey et, pour l’Autriche, Heinrich Friedjung, Franz Brentano et Sigmund Freud; pour le début du XXe siècle: Paul Joachimsen (vu par Thomas Mann et Friedrich Meinecke), Max Scheler; pour l’entre-deux-guerres en Autriche: Heinrich Srbik, Edmund Husserl et Ludwig Wittgenstein; pour le temps présent: Theodor Litt, Jürgen Habermas, Martin Heidegger, Theodor Adorno, Günter Grass et, pour l’Autriche, Fritz Fellner, Gerald Stourzh et Elfriede Jelinek.
Certains chapitres approfondis, comme celui sur Franz Grillparzer, sont particulièrement réussis. Dans d’autres passages, comme dans les pages consacrées à Wittgenstein, le rapport avec le sujet du livre apparaît beaucoup moins clairement. Cette galerie de portraits permet-elle de cerner ce que l’auteur appelle »the German and Austrian-German historias« – the way narratives of factual significance are structured as the ›story‹ of events« (quatrième de couverture)? Entre l’ambition généralisatrice du projet et le procédé consistant à juxtaposer des analyses de cas, parfois de manière hétéroclite, l’écart paraît irréductible.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Jacques Le Rider, Rezension von/compte rendu de: Mark E. Blum, German and Austrian-German Historical Thought in the Modern Era, Lanham, MD (Lexington Books) 2020, XXXVI–312 p., ISBN 978-1-4985-9522-3, USD 115,00., in: Francia-Recensio 2021/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81537