Eugène de Beauharnais (1781–1824), fils de Joséphine de Beauharnais issu de son premier mariage avec Alexandre de Beauharnais, adopté par Napoléon en 1806, est surtout connu, comme le titre de cet ouvrage l’indique, pour avoir été vice-roi d’Italie de 1805 à 1814. Personnage important des guerres napoléoniennes, par son rôle administratif en Italie, mais aussi son rôle militaire pendant les campagnes de 1809 et 1812, il est pourtant souvent un peu oublié. Trop jeune pour avoir un grand rôle pendant la Révolution, il est ensuite largement dans l’ombre de son impérial beau-père et meurt trop tôt pour que sa vie après la chute de l’Empire, menée en Bavière auprès de son épouse, ait eu un grand retentissement.
L’ouvrage de Michel Kerautret, spécialiste des relations internationales à l’époque napoléonienne, vise à réparer cet oubli – et en effet, si les biographies d’Eugène existent, et l’auteur les utilise, elles datent pour la plupart du XIXe siècle. Une nouvelle approche de ce personnage était donc tout à fait bienvenue. Cette biographie est appuyée sur un corpus de sources à la fois archivistiques et imprimées important et très international, avec des archives provenant de cinq pays différents. Parmi ces sources, les mémoires d’Eugène, sa correspondance et les journaux de son épouse Auguste von Bayern sont fréquemment cités. L’ouvrage dispose aussi d’une iconographie riche, en particulier en portraits, d’une cartographie soignée permettant de restituer les événements relatés et d’un ensemble d’annexes qui permettent entre autres de retracer le devenir de la descendance d’Eugène.
Cette biographie, écrite dans un style efficace et agréable à lire, suit de manière chronologique les étapes de la vie de son protagoniste. Elle est divisée en douze chapitres, regroupés en cinq parties: »Le bon jeune homme« (jusqu’en 1805), »Le vice-roi d’Italie« (1805–1809), »Le soldat« (1809–1814), »Le prince bavarois« (1814–1824), et »Eugène après Eugène« (après 1824).
Le premier et le dernier chapitre de l’ouvrage (celui-ci en constituant l’intégralité de la dernière partie) se font sans son protagoniste: le tout premier chapitre est consacré à remettre Eugène dans son contexte social et familial, en remontant la généalogie des Tascher et des Beauharnais. Il présente des familles nobles impliquées dans l’entreprise coloniale en Nouvelle France et en Martinique au cours du XVIIIe siècle. Le dernier chapitre, quant à lui, se penche sur la place d’Eugène dans la légende napoléonienne et en particulier sur l’usage du personnage par la propagande du Second Empire.
Le reste de l’ouvrage suit le parcours d’Eugène de Beauharnais. La structure des chapitres est stable. L’auteur présente d’abord un rappel des événements de la période étudiée – généralement centré sur des questions politiques et militaires, avec néanmoins quelques incursions intéressantes sur l’économie italienne en 1805 (chap. 5: »une nouvelle Italie«), avant de s’intéresser à la place d’Eugène dans ces événements. Michel Kerautret se penche aussi sur la vie intime de son protagoniste, dressant ainsi une étude intéressante des relations familiales dans ce milieu princier.
La première partie suit l’enfance et l’adolescence d’Eugène de Beauharnais. Issu d’un mariage malheureux, marqué par des tentatives de répudiation qui s’arrêtent à deux doigts du procès, Eugène, confié à son père à ses cinq ans, grandit en pension, voyant néanmoins fréquemment ses géniteurs. Sa famille est prise dans le tourbillon révolutionnaire, son père, après avoir été député à l’Assemblée constituante et général républicain malheureux, périt sous la guillotine pendant la Terreur, sa mère étant elle-même incarcérée. Sous le Directoire, sa vie est bouleversée par le remariage de sa mère avec Bonaparte, Eugène devenant son aide-de-camp, d’abord très théoriquement en Italie, puis avec des tâches effectives en Égypte, prenant une part mineure mais réelle de messager pendant le coup d’État du 18 brumaire. C’est alors un jeune homme insouciant qui multiplie les amourettes. Sous le consulat, Eugène, couvert d’honneurs, poursuit une carrière militaire qui le voit devenir colonel dans la Garde, poste qu’il ne mérite certes pas par ses propres distinctions quand il l’obtient, mais dont il s’efforce de se rendre digne, ce qui est l’un des thèmes centraux de cette biographie.
La deuxième partie de l’ouvrage commence avec la nomination d’Eugène de Beauharnais comme roi d’Italie en 1805. Cette partie suit le rôle d’Eugène dans son royaume, d’abord étroitement contrôlé par Napoléon qui interdit toute prise d’initiative personnelle au jeune homme de 24 ans auquel il a confié ce rôle par défaut, puis gagnant sinon une indépendance, du moins la possibilité de suggérer des décisions politiques et d’être entendu. L’affection filiale entre l’Empereur et son vice-roi est ici centrale dans le propos, Eugène étant officiellement adopté en 1806. Cette partie raconte aussi le mariage d’Eugène avec Auguste von Bayern, mariage politique et néanmoins heureux.
Le rôle militaire d’Eugène est le sujet de la troisième partie de l’ouvrage, depuis l’échec initial à Sacile (15–16 avril 1809) jusqu’au poste de commandant en chef par intérim tenu avec efficacité par Eugène au début de 1813 après le départ de Murat à la fin de la retraite de Russie. C’est ainsi le récit d’un apprentissage du métier des armes, qui, selon Michel Kerautret, fait d’Eugène, à la fin de la période, un général du niveau des meilleurs maréchaux de Napoléon. Cette troisième partie présente aussi l’évolution de la position d’Eugène après le divorce de Napoléon et Joséphine, qui l’éloigne de la possibilité d’une succession au trône italien, sans le rendre pour autant impossible, mais se fait en parallèle d’une augmentation de ses responsabilités effectives.
Après l’abdication de Napoléon en 1814 commence la quatrième partie de l’ouvrage. Les priorités d’Eugène vont alors vers sa famille et l’avenir de ses enfants. Ayant combattu en Italie jusqu’à l’abdication de son père adoptif, Eugène se met ensuite sous la protection de son beau-père, le roi de Bavière, ainsi que du Tsar de Russie. Il reste inactif pendant les Cent-Jours, et cherche surtout, pendant le congrès de Vienne, à obtenir des alliés une principauté et la restitution de ses biens mis sous séquestre en Italie, ce que lui avait promis le traité de Fontainebleau. Il n’obtient qu’une principauté médiatisée, sans véritable pouvoir politique, en Bavière, où il passe le reste de son existence, achevée à seulement 42 ans des suites d’attaques d’apoplexies.
Michel Kerautret fait ainsi le portrait d’un homme hissé à de grandes responsabilités par le hasard du mariage de sa mère, mais qui a su remplir avec honnêteté et compétence les tâches qui lui ont été confiées. L’ouvrage a pour mérite de sortir ce personnage de l’ombre, et de redonner à l’Italie napoléonienne une place centrale qui lui est parfois déniée dans le récit de cette période. L’ouvrage gagnerait à relier de manière plus explicite la vie de son protagoniste aux évolutions sociales de son époque. En l’état, on oublie parfois l’existence des sujets et des soldats sur lesquels s’exerce l’autorité d’Eugène. De plus, une prise en compte plus critique de thèmes comme l'esclavage, abordé de manière incidente au détour d'une phrase (»pour ses loisirs, il achète une belle fille noire au prix de 1800 livres«, p. 70) et jamais interrogé, aurait été apprécié. Malgré ces défauts, l’ouvrage reste une biographie de qualité qui était bien nécessaire.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Nebiha Guiga, Rezension von/compte rendu de: Michel Kerautret, Eugène de Beauharnais. Fils et vice-roi de Napoléon, Paris (Tallandier) 2021, 380 p., 8 p. de pl., ISBN 979-10-210-2752-7, EUR 23,90., in: Francia-Recensio 2021/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81587