Le titre de l’ouvrage indique, à lui seul, son contenu: un ouvrage scientifique et plus spécifiquement, ici, la publication d’une thèse. Son auteur n’a pas eu à souffrir les affres de devoir couper dans le texte initial puisqu’il semble que ce soit bien la totalité du texte qui ait été édité. Le travail est complet: les notes de bas-de-page ont été respectées, tout comme la présence des annexes, d’une bibliographie dont on pourrait regretter quelques manques mais aucun chercheur n’arrive jamais à la perfection en cette matière et un index qui, en revanche, n’est pas conforme aux attentes.
Si ce n’est ces quelques défauts, le travail débute par une partie déclinant: territoire, maillage institutionnel et société. Géographiquement, Saint-Vaast-la-Hougue situé sur la côte nord-est du Cotentin est, au début de la période étudiée, un village et devient un bourg à la veille de la Révolution. Le village se trouve à l’extrémité d’une lagune drainée par un fleuve côtier, la Saire, disposant de peu de terres labourables si bien que le curé du lieu, chose rare, prélève, une dîme sur le poisson qui lui est confirmée par les juridictions royales. Les diverses seigneuries sont présentées d’autant que l’une d’elles, la baronnie de l’abbaye de la Sainte-Trinité de Caen, en allotissant une partie de ses terres à partir de 1739, favorise la croissance de ce petit bout du Val-de-Saire.
Seules deux institutions sont présentées dans leur rapport avec Saint-Vaast-la Hougue, la généralité de Caen et la lieutenance d’amirauté de Saint-Vaast dont les dysfonctionnements favorisent le développement du quartier maritime du même lieu. Une première conclusion s’impose comme dans les autres villages et bourgs côtiers de Basse-Normandie, Saint-Vaast-la-Hougue est fortement marquée par le milieu maritime.
Cette faiblesse de présentation des institutions est liée au problème des sources qui sont limitées mais il faut saluer le travail serré de comparaison et de critique d’Annick Perrot qui lui permettent d’en tirer des informations pertinentes apparaissant, entre autres, dans la première partie consacrée à la population littorale et aux gens de mer. L’analyse démographique passe par un constat. Comme à peu près partout en France, la population du Val-de-Saire augmente. Plus, alors que les autres communautés de cette partie du Cotentin croissent de 33,9% à 43,6% entre 1715 et l’An II, les deux bourgs portuaires, pourvoyeurs d’emplois, Barfleur (+48,3%) et Saint-Vaast (+136,9%) les dépassent pour la période. Il s’ensuit une analyse démographique détaillée de Saint-Vaast-la-Hougue pour la période étudiée dans laquelle il apparaît que le monde maritime adopte progressivement un rythme démographique qui lui est propre lié à une forte endogamie (72,2%) et qui se manifeste par un retard au mariage conduisant à une fécondité plus faible renforcée par les absences des maris à la pêche ou au service du roi.
L’exploitation du rivage et de la mer constitue la deuxième partie, elle conduit l’auteur à s’intéresser aux pêcheries et tentes de basses eaux, à une pêcherie en pierre, la Tocquaise, mais il existe au moins une autre, celle de la Roche Benoite, aux salines où le sel est un sel blanc obtenu par ébullition qui se maintiennent jusqu’en 1837 en raison de régimes fiscaux successifs favorables, le ramassage du varech qui sert non seulement d’engrais et de combustible de chauffage pour les plus pauvres mais aussi à la fabrication de la soude. Elle est la source de conflits permettant de rebondir brièvement sur le droit d’épave. Ces éléments ne sont pas exploités, et de loin, uniquement par les gens de mer, à savoir les inscrits sur le registre des classes, ceux qui naviguent. Ces derniers sont aussi de modestes exploitants agricoles mais ce lien avec la terre se détend durant la période étudiée.
Le port de Saint-Vaast est double, un mouillage sous La Hougue et un port d’échouage près du village. Près de ce dernier est réalisé, durant la période, une fosse et un embryon de jetée. La navigation de commerce y joue un rôle plus que limité. Les navires jaugent de 5 à 30 tonneaux, leur nombre augmente jusqu’à la Révolution et l’auteur en réalise une description qui le conduit à s’intéresser à leur construction et aux filets utilisés. Leur activité principale est celle de la pêche. Comme d’autres activités liées à la mer indiquées au paragraphe précédent, la pêche à pieds n’est pas réservée aux navigants. En revanche, un ou deux navires pratiquent la grande pêche à Terre-Neuve et livrent leur production à Rouen.
La pêche locale est à peine évoquée. Annick Perrot ne présente guère les espèces capturées, sauf le homard apprécié par les Anglais. Cependant, l’autrice met l’accent sur les campagnes plus lointaines. Les plus gros navires se rendent d’avril à juillet sur les côtes de Bretagne voire d’Irlande pour la pêche du maquereau qui est salé avant d’être livré à Dieppe. À cette pêche succède, à partir de septembre, la pêche voire le commerce des huitres entre Cancale et Granville. Cette pêche est rendue attractive grâce à une législation plus favorable à partir de 1711. Elle conduit les Saint-Vaastais à mettre en place, à Saint-Vaast, une période d’affinage qui leur permet de livrer leurs huitres jusqu’à Paris.
Cette activité conduit Annick Perrot à aller plus loin, il se dessine une société plus complexe lorsque on élargit l’étude au cercle familial et au domicile. Ce dernier est souvent composé d’une seule pièce où apparaît le réchaud et l’armoire. La maison du pêcheur se distingue par les instruments de pêche se trouvant à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Cette fin de seconde partie permet d’introduire la dernière partie de l’étude qui permet de s’intéresser aux contours identitaires et surtout aux éléments que l’auteur n’a pas traités ailleurs. Elle conduit à s’intéresser aux assauts de la mer qui aboutit par la volonté royale à la construction d’une digue en trois étapes: 1704, 1731, 1772. Sa conception protège autant des éléments que des hommes dans la mesure où elle est conçue comme une plate-forme d’artillerie dans la perspective de la recherche de l’établissement d’un nouveau port de guerre dans le Cotentin pour faire face aux Anglais. Si cela ne se concrétise pas, le site a été doté de trois forts et d’une batterie construits à partir de 1694 qui s’inscrit dans un plan de défense global de la côte est du Cotentin soutenu par les compagnies garde-côte.
Un autre danger est d’ordre sanitaire, les pestes dont celle de Marseille de 1720 ne sont pas sans conséquences pour Saint-Vaast-la-Hougue. Si les bateaux sont, au départ, envoyés aux îles Saint-Marcouf, pour l’estuaire de la Seine, afin d’effectuer leur quarantaine, l’île de Tatihou se voit doter d’un lazaret à partir de 1722. S’il arrive un peu tard, il n’empêche que les pêcheurs de Saint-Vaast, fortement impliqué dans la vie de la communauté d’habitants, doivent faire face aux naufrages et aux guerres pour un salaire qui les place juste au-dessus des journaliers agricoles. Quant aux maîtres de navire, leurs revenus n’atteignent pas celui d’un domestique parisien. Cette dernière comparaison souligne une autre force de ce travail, la comparaison avec d’autres communautés maritimes tant sur le littoral normand quoique peu évoquée dans cette analyse ouvrant le champ à d’autres études sur une pêche dont les mutations se poursuivent au siècle suivant.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Annick Perrot, Saint-Vaast-la-Hougue et ses gens de mer. Une société littorale du Cotentin au XVIIIe siècle, Bayeux, OREP Éditions, 2019, 600 p., nombr. ill. ISBN 978-2-8151-0546-0, EUR 24,50., in: Francia-Recensio 2021/2, Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81605