L’histoire des Vikings tient une place importante de l’historiographie. À ce titre, ce nouvel opus portant un titre aussi simple pourrait passer un »nième« ouvrage sur la question qui ne ferait pas avancer les études en la matière. Son sous-titre »Des invasions à la diaspora« fixe la période étudiée: soit de 787–789, descente sur Portland, à 1098 et 1102–1103, campagnes de Magnus III aux Pieds nus, roi de Norvège, dans les archipels écossais et en mer d’Irlande. La vision est large, elle est même relativisée par l’auteur de l’ouvrage, Pierre Bauduin, professeur d’Histoire médiévale de l’université de Caen-Normandie. Cette relativisation critique est à l’image de l’ensemble qui ne se veut pas un travail complet et définitif sur la question mais une synthèse des recherches jusqu’à la date de fin de la rédaction de l’ouvrage. L’universitaire normand ne cherche pas les certitudes mais à poser ce que l’on sait en dégageant ce qui est probablement scandinave de ce qui ne l’est pas ou, du moins, de nuancer les idées reçues à l’aide des sources écrites et archéologiques ainsi que des études de ses confrères.
Ainsi l’auteur dans son introduction rappelle, entre autres, la nécessité de relativiser le terme de »Vikings« en indiquant l’ensemble des acceptations du terme et en soulignant que l’écrasante majorité des sources écrites sont l’œuvre d’une de leurs victimes, les clercs, ou ont été couchées sur le papier ou le parchemin dans les royaumes scandinaves en phase finale de constitution ou en Islande, tous devenus chrétiens, à la fin et au lendemain du mouvement viking. Cette inscription sur le long terme est une des qualités du travail qui décrit l’évolution du monde scandinave et baltique démontrant que cet ensemble de départ ne constitue pas une isola fermée aux influences extérieures comme le démontre la découverte d’un service à boire romain trouvé dans une tombe de l’âge du fer à Hoby (Danemark).
Le plan du travail correspond à ces quelques éléments annoncés. En toute logique universitaire, le travail commence par une étude des sources et de la construction du mythe viking auquel s’ajoute un synopsis du mouvement viking, qu’il est possible de compléter par la solide bibliographie se trouvant en fin de volume; il se poursuit par une étude des structures économiques, sociales et religieuses en Scandinavie, une étude portant sur les invasions qui aboutissent à l’installation d’un certain nombre d’entre eux une fois que les prédations eurent partiellement cessé d’être d’un rapport certain, une partie plus spécialement consacrée à la guerre, la violence et la paix aux temps viking, avant de s’achever sur une partie concernant les contacts, les transferts culturels et les problèmes d’identité.
Du propos du Normand, il apparaît, entre autres, que le monde scandinave passe durant la période d’un agro-pastoralisme d’échange à des circuits économiques plus élaborés aboutissant à la construction des premières villes à la charnière du VIIIe et IXe siècle sous le contrôle des élites locales qui tendent à la royauté: Hedeby et Ribe, au Danemark, Kaupang, en Norvège, et Birka, en Suède. Parmi les éléments pouvant servir de marqueur dans le futur espace d’installation scandinave figure un type particulier de sépultures ou les halles constituent la demeure du chef, centre de la vie sociale et religieuse. Les espaces d’expansion des scandinaves apparaissent tout au long du texte; un seul lieu est ignoré: Nantes. Les causes supposées de cette expansion sont analysées et Pierre Bauduin conclut ou plutôt ne conclut pas un débat qui se poursuit. Ce qui apparaît comme certain est que les scandinaves connaissent leurs futurs objectifs. De commerçants, ils peuvent se muer en prédateurs en profitant des faiblesses politiques des zones qu’ils dévastent. Leur supériorité n’est ni liée à leur armement ni à la cruauté dont ils font preuve, mais à leur navire, leur rapidité et à leur extrême volatilité lorsque cela s’avère nécessaire, certains de ces éléments devant être relativisés lorsqu’il s’agit d’armées.
Cette relativité doit être de mise lorsqu’il s’agit d’espaces d’expansion pour les Suédois, les Danois ou les Norvégiens. Si cela est valable d’une manière générale, il serait plus propre de parler de cosmopolitisme comme l’indiquait le professeur Musset il y a cinquante ans. Ainsi en Islande, l’île pourrait avoir été fréquentée par des ermites irlandais avant sa colonisation et ceux qui s’installaient provenaient de l’ensemble du monde viking. Cet ensemble pose celui de l’interpénétration et la préservation des cultures. De la lecture de cette dernière partie, il ressort une extrême diversité. L’Islande préserve très largement son caractère scandinave. Dans les îles Britanniques, l’interpénétration des cultures varie selon les lieux: en Irlande, elle est pratiquement nulle, les Scandinaves y ont même fondé des villes qui n’existaient qu’à l’état embryonnaire dans leur zone d’origine. Dans la future Normandie, on peut même parler d’intégration, même si les Scandinaves ont une claire perception de leur identité tout comme les Rous, dans une moindre mesure dans les plaines d’Europe orientale. Le fait est que les Vikings ont su s’adapter à leur environnement; l’introduction du christianisme par capillarité et volonté du pouvoir en Scandinavie constitue une étape de l’évolution du rattachement de la Scandinavie à l’Europe occidentale au tournant du XIIe au XIIIe siècle, sans pour autant que les hommes du Nord oublient leur passé.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Éric Barré, Rezension von/compte rendu de: Pierre Bauduin, Histoire des Vikings. Des invasions à la diaspora, Paris (Tallandier) 2019, 665 p., ISBN 979-10-210-2129-7, EUR 27,90., in: Francia-Recensio 2021/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81694