Cet ouvrage collectif est le produit d’un colloque tenu à Lisbonne en novembre 2018 dont l’objet fut l’hagiographie en tant que produit d’une tradition littéraire et textuelle. Les 18 contributions de ce volume (en anglais, espagnol, français ou italien) sont réparties en deux sections; dans la première, cinq articles apportent des réflexions générales d’ordre méthodologique et dans la deuxième sont traités 13 dossiers hagiographiques différents, en grec ou en latin, produits de la Méditerranée occidentale à l’Espagne. Le volume est pourvu d’une table des manuscrits, d’un index des auteurs et des textes anonymes ainsi que d’un index hagiographique (par noms de saints et par numéros de la »Bibliotheca Hagiographica Graeca« [BHG] et »Latina« [BHL]).

L’article de Paolo Chiesa, »Le ›edizioni scientifiche‹ di testi agiografici fra teoria e prassi« (p. 5–26), peut être considéré comme la véritable introduction à ce volume. Il y décrit l’édition scientifique des textes hagiographiques comme une opération critique consistant en l’analyse de la tradition manuscrite du texte et en son étude linguistique, ce qui ne détermine pas une stratégie particulière pour l’édition de ces textes pour lesquels il est nécessaire d’appliquer les méthodes de travail traditionnelles. Cependant, l’autre caractéristique du genre, la naissance du texte comme un œuvre unique mais transmis collectivement (passionaires et légendaires) rend nécessaire l’analyse de ces mélanges hagiographiques, voire leur édition en entier. Ainsi menée, l’étude de la tradition manuscrite permet de placer les témoins dans une perspective historique, puisque le codex est le produit d’une exigence de conservation, d’étude et de communication, à un endroit et à un moment précis. L’autre difficulté tient à l’existence de copies, parfois nombreuses et souvent quelque peu dissemblables. Il faut donc se libérer de la BHL qui a souvent attribué des numéros distincts à des textes dont l’incipit ou le desinit sont différents, même si elle reste un indispensable outil d’approche, rendu encore plus utile par la »Bibliotheca Hagiographica Latina Manuscripta«. Il faut donc être conscient que l’édition donne l’état du texte en un moment et un lieu donnés et qu’il est absolument nécessaire d’étudier la tradition manuscrite du texte et, dans la mesure du possible, de faire état dans l’apparat critique de variantes des autres manuscrits.

La contribution de Michael Lapidge, »Problems in Editing the passiones martyrum of Late Antique Rome« (p. 27–48), vient illustrer de façon concrète les problèmes évoqués par Paolo Chiesa. Ces »Passions« furent rédigées entre 425 et 675, pour la plupart par des clercs locaux sans doute assez peu instruits, à l’intention des pèlerins de plus en plus nombreux. Cependant, les nombreuses interventions des scribes dans les copies successives rendent quasiment impossible de connaître le travail de l’auteur originel; le travail de l’éditeur ne peut que se limiter à la présentation d’un texte lisible et sincère sans avoir la prétention de rétablir l’archétype.

Le titre de l’article de Guy Philippart, »L’hagiographie entre croyance et dérision« (p. 49–72), interpelle la lectrice et le lecteur par son implicite remise en cause de la définition orthodoxe de l’hagiographie comme histoire des saints et de leur culte: l’hagiographie touche en réalité à trois aspects de la culture chrétienne, l’histoire sainte depuis la création jusqu’au temps présent, le monde des morts, un monde incertain caractérisé par des »pouvoirs« qui peuvent être le signe de la proximité avec Dieu ou animés par le diable. Ceci amène l’hagiographie à hésiter entre l’exigence historique et la puissance de l’imagination, entre croyance et dérision, donc.

Dans la même perspective, Monique Goullet s’attache ensuite à »déconstruire l’hagiographie« (p. 73–84), qu’elle définit comme un »genre introuvable«, mélange de rhétorique et de fiction, où le saint n’a pas de biographie stable. Parfois, les différentes versions de sa »Vie« peuvent coexister et d’autres fois, un auteur tardif déclare s’appuyer sur des récits anciens, disparus ou mutilés, qu’il reconstitue à sa façon. En ce sens, chaque hagiographie »déconstruit« la précédente, ancrée dans son propre univers.

Enfin, Aires Augusto Nascimento, dans »Hagiographie, un genre littéraire« (p. 85–95), rappelle que si les textes hagiographiques appartiennent au genre littéraire, ils sont aussi, par les différentes catégories de sacré qu’ils contiennent, par l’histoire du culte, par les différents avatars de la légende transmise et les conditions de son souvenir et de sa transmission, l’expression des membres d’une communauté qui se reconnaissent dans les saints qu’ils vénèrent.

La matière de la deuxième partie est trop diverse et foisonnante pour qu’on puisse la détailler ici. Dans le prolongement de cette première partie théorique, la plupart des contributions s’intéressent de près à la tradition manuscrite et aux réécritures. Deux d’entre elles ont trait à des textes grecs, l’un traduit du latin (Anna Lampadaridi, »Lire saint Jérôme en grec: le cas de la Vie d’Hilarion [BHG 752]«, p. 99–112), l’autre réécrit (Laura Franco, »Rewriting the ›Life‹ of Euphrosyne [BHG 625, BHG 626] «, p. 113–126).

Pour la péninsule Ibérique, c’est surtout la transmission des textes qui a retenu l’attention des quatre contributeurs. François Dolbeau (»Deux récits latins de translation: une traduction d’Anastase et son adaptation catalane«, p. 127–162) présente et édite deux textes relatifs à la translation des reliques de saint Étienne de Jérusalem à Constantinople, le premier étant une traduction, quelque peu littérale, du grec, par Athanase le Bibliothécaire, vers 875, le deuxième sa réécriture, à Ripoll, en Catalogne. Carmen Codoñer (»La transmisión de algunas vitae visigóticas: la Vita Fructuosi«, p. 163–190) étudie la transmission manuscrite et les différentes versions de l’une des »Vies des Pères de Mérida«. Paulo Farmhouse Alberto (»A Collection of Vitae Sanctarum in Tenth-Century Northern Spain«, p. 211–238) explore la tradition manuscrite de huit Vies de saintes femmes contenues dans trois copies produites au Xe siècle.

Plus générale est l’étude de Patrick Henriet (»Remarque sur les origines et sur l’importance des recueils de Vitae patrum dans le monde latin«, p. 191–211) qui entreprend de cerner l’ordonnance et le contenu de ces recueils qui avaient été constitués précocement et avaient circulé en Occident et de déterminer quand ces Vitae ont été relieés avec les aphotegma des pères du désert.

Trois articles se rapportent à Venance Fortunat, pour refuser catégoriquement de lui attribuer la paternité d’une œuvre (Edoardo Ferrarini, »Troppi agiografi per un santo? Il ›dossier‹ di Medardo di Noyon e la questione attributiva di BHL 5864«, p. 239–254), pour rouvrir une enquête en paternité (Martina Pavoni, »Osservazioni sulla paternità della Vita e del Liber de virtutibus sancti Hilarii attribuiti a Venanzio Fortunato«, p. 255–268) et enfin pour étudier une réécriture carolingienne (Mariangela Lanza, »La Vita sancti Germani Parisiensis episcopi di Venanzio Fortunato in una riscrittura ritmica del IX secolo«, p. 269–286).

Enfin, les cinq derniers articles renouvellent l’appréhension de textes déjà connus, grâce à de nouvelles analyses (Gaia Sofia Saiani, »The Passio XII fratrum. History of a Text and its Rewritings«, p. 287–306, et Lorenzo Saraceno, »Dal santo vivente al santo da canonizzare. Una rilettura del dossier agiografico romualdino«, p. 367–384), de nouvelles datations (Marianna Cerno, »Adam of Paris’ Rewriting(s): a Revolution in the Hagiographical Dossier of Domnius of Salona«, p. 307–328) ou à un témoin manuscrit récemment retrouvé (Lidia Buono, »Pietro Diacono, san Marco di Atina e un testimone cassinese ritrovato«, p. 329–366).

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Michèle Gaillard, Rezension von/compte rendu de: Paulo Farmhouse Alberto, Paolo Chiesa, Monique Goullet (ed.), Understanding Hagiography. Studies in the Textual Transmission of Early Medieval Saints’ Lives, Firenze (SISMEL – Edizioni del Galluzzo) 2020, VIII–406 p. (Quaderni di Hagiographica, 17), ISBN 978-88-8450-960-4, EUR 58,00., in: Francia-Recensio 2021/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81701