Le professeur Heribert Müller a bien voulu donner dans »Francia-Recensio 2021/2« une recension de mon ouvrage »Jeanne d’Arc« qui vient d’être portée à ma connaissance. Le ton volontiers persifleur de mon collègue m’a, je l’avoue, un peu surprise, d’autant que sa critique ne me paraît pas toujours fondée. J’entends y répondre sur le fond sans aucun esprit de polémique. Il va de soi que l’auteur que je suis ne revendique pas la rédaction de la quatrième de couverture qui relève de la seule responsabilité de l’éditeur. Au-delà, je crains que l’objet même du livre n’ait pas été compris. Cette publication ne visait ni à révolutionner un sujet plusieurs fois exploré ni à établir une synthèse impossible à rédiger. Les sources sont si abondantes qu’un unique volume ne pourrait les contenir. Il fallait donc s’efforcer d’en donner une synthèse objective et nécessairement réductrice, ce qu’a sans doute voulu exprimer Heribert Müller en parlant d’une présentation »surchargée de faits et de personnes«. Concernant les capitaines qui l’ont accompagnée, il ne me semble pas déraisonnable d’introduire un peu de prosopographie, que ne délaisse pas non plus l’historiographie allemande. Par ailleurs, la source inédite concernant la famille maternelle de Jeanne et publiée par la Société de l’Histoire de France (2016) ne mérite pas d’être traitée par l’indifférence dès lors quelle révélait la servitude entachant la branche maternelle de la jeune femme.
Heribert Müller n’est pas sans ignorer l’actualité littéraire malheureusement encombrée de trop nombreux livres plus ou moins romancés qui rendent peu lisible cet épisode de notre histoire, et c’est à cette littérature là qu’il est fait référence en introduction. Loin de moi, l’idée de m’éloigner de la voie tracée par le regretté Philippe Contamine, avec lequel j’ai travaillé, jusqu’à un terme très récent dans le cadre de l’exposition consacrée au Traité de Troyes (1420), pour laquelle »je n’ai pas rendu service«, mais dont je fus l’un des deux commissaires scientifiques. Sans m’affranchir de l’héritage de mes prédécesseurs, ce livre prend position sur des concepts formulés par l’historiographie. De ce point de vue, je ne partage pas totalement l’approche de Colette Beaune sur la dimension mystique et prophétesse de Jeanne. Je crois m’en être expliquée, et reste convaincue que plusieurs lectures sont possibles. Mon héritage, comme précisé, est celui de de mon maître Robert Fossier, nullement celui de Bernard Guenée. Mon étude est à la fois politique, sociologique et militaire. Mon ambition, depuis mon premier livre sur le brigandage (2006) et celui sur la bataille d’Azincourt (2015) et ses lendemains, était de montrer que la première moitié du XVe siècle avait vu s’exprimer un premier sentiment patriotique au sein du petit peuple, en particulier à travers des figures de »brigands« que l’on rencontre dans la Normandie lancastrienne, mais aussi sur de nombreuses zones frontalières.
Les questions religieuses sont sans doute passionnantes mais lesquelles ayant été justement traitées par ailleurs ne méritaient pas de s’y appesantir. Pour autant, je ne crois pas que les questions théologiques, s’agissant d’une jeune femme issue d’une famille empreinte de piété populaire, soient d’un intérêt majeur. Le débat autour de l’autorité conciliaire, alors au cœur de multiples controverses, a échappé à Jeanne comme à nombre de simples fidèles, et le piège tendu par ses juges à Rouen est un piège théologique destiné à la perdre au milieu d’autres pièges plus récurrents. De la même manière, les conseillers spirituels de Charles VII, Robert de Rouvres et Gérard Machet, ont volontairement été occultés pour privilégier d’autres figures plus emblématiques.
Je n’aurais jamais pensé aborder le personnage de Jeanne d’Arc si je n’avais pas procédé à l’étude exhaustive du fonds Lorraine, dans le cadre d’un détachement au CNRS, qui m’a permis de récolter nombre d’informations nouvelles sur le contexte familial et sociologique qui a présidé à l’émergence de la vocation de Jeanne. Et c’est pour cette raison que j’ai accepté de rédiger cette biographie, mais je n’ai pas à m’en justifier. Les différents travaux que j’ai conduits sur Robert de Sarrebrück expliquent le renvoi à plusieurs reprises de « »nous/nos«, soit un simple pluriel de rédaction, et rendent douteuse la critique pour d’outrecuidance avancée par Heribert Müller.
De temps en temps, même s’ils sont imparfaits, les ouvrages de synthèse permettent de tracer de nouvelles perspectives, qui ont été ignorées ou presque par Heribert Müller (géo-politique lorraine, la famille, les femmes, les capitaines etc. …). Le choix a été fait dans le même temps de l’ouvrir à un large lectorat, tout en demeurant au plus près des sources, dans la chronologie des faits. Et l’entrée du livre sur le siège d’Orléans, – parce qu’il marque le moment fondateur de l’épopée, celui où Jeanne devenait La Pucelle –, autorisait un flash-back y compris dans l’écriture historique.
J’ai choisi de rendre les chroniques et les témoignages en français moderne. C’est un choix que j’assume, considérant que notre science ne peut être exclusivement destinée au petit monde des spécialistes de la période. Je crois avoir suffisamment publié de travaux scientifiques, respectueux des règles universitaires, pour m’en affranchir quand il s’agit de s’adresser à un public moins averti. Surtout, l’exercice n’est pas reprochable sur le plan académique au regard des publications scientifiques qui y recourent, à l’exemple du »Journal d’un Bourgeois de Paris« de Colette Beaune (1990) ou ceux de nos collègues anglais qui traduisent systématiquement dans leur langue maternelle les textes en moyen français. C’est aussi le souhait de ce type d’éditeur, non universitaire mais non moins reconnu pour les travaux historiques en France; de même que dans ce type d’édition, les notes ne doivent pas non plus excéder le volume autorisé.
J’ai peut-être fauté en passant sous silence, non pas les sources germaniques, mais l’historiographie allemande, mais mon collègue a compris que je ne maîtrisais pas parfaitement sa langue. Je regrette en revanche l’omission dans la bibliographie générale du remarquable ouvrage de Gerd Krumeich (2012) qui a échappé à ma relecture. Je remercie Heribert Müller de me l’avoir signalé, mais je ne pense pas que cette lacune justifiait le ton de condescendance employé. Si mon ouvrage devait, cela va sans dire, être soumis à la critique, je ne crois pas qu’il méritait une si violente diatribe. Une recension est une analyse objective, non une arène. J’ose espérer que mon statut est étranger à la tonalité de la recension du professeur Müller.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Valérie Toureille, Gegendarstellung von/réponse au compte rendu rédigée par: Gegendarstellung zur Rezension von Heribert Müller zu Valérie Toureille, Jeanne d’Arc, Paris (Perrin) 2020, 432 p. (Biographies), ISBN 978-2-262-06394-8, EUR 24,00., in: Francia-Recensio 2021/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)