Pendant longtemps, le droit romain altimédiéval a été regardé comme un »droit dégénéré«. La légende rapportait que l’arrivée des peuples barbares a conduit, au Ve siècle, à l’effondrement des structures institutionnelles du monde romain et à la perte de la connaissance de son droit, droit que l’on n’aurait redécouvert à Bologne qu’au XIIe siècle. La réalité, cependant, est bien plus nuancée; la recherche a récemment démontré que certaines structures ont perduré dans le temps, dans une forme certes différente, mais qui présente l’intérêt d’exister. Les peuples du premier Moyen Âge se seraient donc réappropriés l’héritage antique.
Les historiens du droit se sont eux aussi emparés de la question en démontrant des traces de permanence du droit romain jusqu’au Xe siècle. On se souvient que Jean-François Lemarignier et Jean Gaudemet ont conclu, dans des travaux pionniers, à une persistance du droit romain durant le haut Moyen Âge. Plus tard, grâce à une série de monographies d’histoire institutionnelle locale, Christian Lauranson-Rosaz et plusieurs chercheurs regroupés autour de lui ont prouvé la continuité du droit romain dans le Midi de la Gaule. Cette région, située dans le Sud de la France, présente la particularité d’être restée attachée aux structures, sociales et culturelles, de l’Antiquité. Le droit romain a continué à y être utilisé pour les actes courants de gestion (vente, échange, succession), pour le statut des personnes (serfs, mariage, etc.) et pour trancher des différends lors des procès. Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’un droit romain classique, mais d’un droit qui a été modifié.
La réception du »Code théodosien« au haut Moyen Âge dans le Midi de la Gaule nous offre un témoignage significatif de cette permanence. Rappelons ici qu’au VIe siècle, vers 505–507, Alaric II fit rédiger la loi romaine des Wisigoths pour régir la vie de ses sujets gallo-romains. L’époque mérovingienne, tout entière, est marquée par le système de personnalité des lois; à chaque ethnie son socle de règles. Cette loi romaine, applicable dans le Sud de la Gaule, et plus connue sous le nom de »Bréviaire d’Alaric«, est une compilation de textes; elle reprend à l’origine un épitomé du »Code théodosien«, des »Sentences« de Paul et l’»Épitome Gai«. Du »Bréviaire d’Alaric«, il existe une version écourtée, une sorte de résumé, communément appelée l’»Epitomé Aegidii«.
La prolifération des manuscrits de droit romano-barbare est une conséquence des réformes judiciaires engagées par les princes carolingiens. Sous l’impulsion de la réforme judiciaire de 802, la production de manuscrits de droit romano-barbare a connu une très nette inflation au IXe siècle. L’»Epitomé Aegidii« n’a pas été épargné par cette forte production.
C’est tout le mérite de Dominik Trump que de s’être saisi du dossier des manuscrits carolingiens. L’auteur nous livre ici une étude sérieuse sur la transmission et la réception de l’»Epitomé Aegidii«, en trois chapitres.
Le premier chapitre donne au lecteur un catalogue précis des 24 manuscrits carolingiens de l’»Epitomé Aegidii«. Il est certain que ce chapitre fournira aux chercheurs, jeunes comme confirmés, un incontournable outil de travail. Car si porter un regard sur la fabrique des sources juridiques est fondamental, il ne peut passer que par un retour au manuscrit.
Le deuxième chapitre est intégralement consacré à l’histoire de la transmission. L’auteur établit notamment un relevé de variantes par origine géographique. Cette étude n’avait encore jamais véritablement été faite et vient combler un réel vide.
Le troisième chapitre porte sur la réception de l’»Epitomé«, notamment dans un but pédagogique. L’auteur s’intéresse ici aux gloses contenues dans cinq manuscrits, lesquelles restent un indice précieux d’utilisation des manuscrits jusqu’à la fin de l’ère carolingienne.
Il s’agit là d’une très belle étude qui fournira aux chercheurs, non seulement un outil de travail, mais également un guide pour tous les étudiants qui voudraient consacrer leur recherche au droit altimédiéval.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Laura Viaut, Rezension von/compte rendu de: Dominik Trump, Römisches Recht im Karolingerreich. Studien zur Überlieferungs- und Rezeptionsgeschichte der »Epitome Aegidii«, Ostfildern (Jan Thorbecke Verlag) 2021, 340 S. (Quellen und Forschungen zum Recht im Mittelalter, 13), ISBN 978-3-7995-6093-1, EUR 43,00., in: Francia-Recensio 2021/2, Mittelalter – Moyen Âge (500–1500), DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81804