Fruit d’un colloque international organisé en mars 2018 à Paris, l’ouvrage réunit des articles signés essentiellement par de jeunes chercheurs/ses allemand(e)s et français(ses). Le regard, nouveau, de ces derniers sur la politique française en Allemagne occupée après 1945 a largement bénéficié de l’ouverture sans restriction des archives françaises en 2015 et de la masse impressionnante des dossiers individuels devenus accessibles. Quatre articles de l’ouvrage (ceux des conservateurs Sébastien Chauffour, Kurt Hochstuhl, Walter Rummel et celui de Peter Wettmann-Jungblut) sont d’ailleurs consacrés aux sources de la dénazification dans les archives françaises et allemandes, montrant ainsi l’importance de cette ouverture pour la recherche autour de la question en zone française d’occupation (ZFO). Ces sources ont dégagé de nouvelles perspectives de recherche dont le présent ouvrage se fait l’écho très réussi. Disons d’emblée qu’un des grands intérêts du livre collectif se situe dans la présentation de ces perspectives multiples, mettant l’ouvrage à la pointe de la recherche actuelle sur la dénazification de l’Allemagne en ZFO.

Forte des sources disponibles, la plupart des articles remettent en question les résultats auxquels l’historiographie est parvenue jusqu’ici, revoyant en particulier les stéréotypes d’une politique essentiellement revancharde de la France en Allemagne occupée. De façon nettement plus nuancée, les auteur(e)s montrent avant tout la complexité de la dénazification »à la française«, laquelle est allée bien au-delà de la politique de répression. Dans sa conclusion, Rainer Hudemann parle même de »la politique française de démocratisation en Allemagne« (p. 255). Dénazifier et démocratiser, relier l’épuration à la démocratisation par l’intégration des populations allemandes au processus de dénazification, telle était, selon l’ouvrage, la spécificité de la politique française en Allemagne dès 1945 – la mettant, comme le souligne l’historien canadien Mikkel Dack dans sa contribution en langue anglaise, souvent en porte-à-faux par rapport aux politiques de dénazification menées dans les trois autres zones d’occupation.

La particularité de la politique française de dénazification en zone occupée est largement démontrée dans l’ouvrage. Elle est mise en relief par un éventail d’exemples originaux et très intéressants. Ainsi, Corinne Defrance et Frank Hüther insistent sur les enjeux culturaux de cette politique à travers l’exemple de l’épuration au sein de l’université de Mayence entre 1945 et 1949. La contribution de Dorothee Gräf illustre à l’exemple de la police en Bade tous les efforts entrepris par les autorités françaises d’intégrer, parallèlement à l’épuration, les populations dans une société et un système politiques démocratiques.

Éric Pesme prend le directeur du musée de l’armée de Karlsruhe comme exemple d’une procédure soucieuse d’associer les problèmes de la dénazification, de la démocratisation et de la démilitarisation de l’Allemagne. L’étude de cas de Gabrielle Laprévote, consacrée à la dénazification de l’assistance sociale à Rottweil en Wurtemberg, confirme l’influence des Français occupants sur les réformes en politique sociale. À travers l’exemple du Südwestfunk à Baden-Baden, station de radio créée par la France en 1946, Valentin Bardet montre le double objectif, épuratoire et démocratisant, de la politique française menée en Allemagne à la Libération.

Même si divers articles notifient les pesanteurs de l’administration française à tous les échelons de la société allemande (universités, entreprises, institutions sociales, culturelles, domaines privés etc.), des lourdeurs qui ont souvent donné matière à critique aux populations allemandes, la conclusion de l’ouvrage est claire: en ZFO, les acteurs allemands inclus dans le processus de la dénazification ont participé à la (re)construction de la démocratie allemande.

Soucieuses de répondre à la proposition première du volume évoquée par Marie-Bénédicte Vincent dans son introduction, de »s’intéresser davantage à l’aspect épuratoire de la politique française de dénazification qu’à sa dimension réformatrice« (p. 13), les contributions examinent les processus, les fonctionnements et les dysfonctionnements ou encore les évolutions de la politique française en matière d’épuration judiciaire, administrative et professionnelle en ZFO.

Cette thématique »hors de France« comble un déficit dans la recherche sur l’épuration. Ainsi, en se consacrant à la question (à l’unicité) de la participation française au procès de Nuremberg, l’article de Matthias Gemählich aborde un domaine encore négligé dans la recherche historique. De même, celui de Gunnar Mertz, consacré à l’Alpenverein, met en relief l’importance du monde associatif, une sphère encore peu étudié pour la thématique de l’épuration. Dans sa contribution sur le cas du producteur industriel allemand Dr. Oetker, Jürgen Finger montre les limites hors de France des conceptions et modèles épuratoires français.

Un point fort de l’ouvrage étant d’avoir mis »la réflexion sur les archives de la dénazification au centre, [afin], en partant des directives, des ordonnances et des procédures, de mieux connaître la ›machine à dénazifier‹ ‒ au sens des acteurs, des comités, des dossiers« (M.-B. Vincent, p. 25), les contributions examinent avec soin toute une gamme de documents ayant nourri ces procédures. Ainsi, Coline Perron se penche sur les questionnaires ayant servi aux renseignements personnels, notamment sur les questionnaires d’embauche de domestiques au service des troupes d’occupation françaises à Lindau en 1951‒1952.

Anton F. Guhl aborde la question de la culpabilité et de la déculpabilisation des populations allemandes sous le »Troisième Reich« à partir des lettres à décharge (Persilscheine). D’autres auteur(e)s, telle qu’Esther Rahel Heyer pour le rôle de Wolff-Metternich dans la protection d’œuvres d’art et de monuments historiques en France occupée, analysent des lettres d’exonération ou des curriculum vitae rédigés par des individus soumis aux procédures de dénazification. Ces sources sont des ego-documents importants pour qui veut les comprendre comme une histoire de l’autoreprésentation des rôles politiques et professionnels dans le régime nazi ou au cours du processus de dénazification.

Comme tous les ouvrages réunissant des actes de colloque, la qualité des articles du présent recueil n’est pas homogène. Quelques articles sont trop courts, tel celui de Marius Bruneau qui ne consacre que quatre pages au cas de l’épuration de la bibliothèque universitaire de Tübingen en 1945‒1946, laissant le lecteur et la lectrice sur sa faim. Mais dans l’ensemble, les contributions sont explicites et développées, et l’ouvrage est encadré par une excellente introduction et une très bonne conclusion. Au regard subjectif de la rapporteuse, l’ouvrage pèche peut-être un peu par son côté »lisse«: on y sent la patte de l’École nationale supérieure, son tour de main acquis qui pourra mettre un rien mal à l’aise certains lectrices et lecteurs.

Plus objectivement, l’ouvrage s’avère important et utile: en plaçant la perspective de l’épuration française hors des frontières de l’hexagone, celui-ci ne fait pas seulement œuvre pionnière dans la recherche historique autour de la question, mais il contribue richement à une histoire internationale de l’épuration en France.

Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:

Christiane Kohser-Spohn, Rezension von/compte rendu de: Sébastien Chauffour, Corine Defrance, Stefan Martens, Marie-Bénédicte Vincent (éd.), La France et la dénazification de l’Allemagne après 1945, Bruxelles, Berlin, Bern et al. (Peter Lang) 2019, 282 p., 17 n/b ill. (L’Allemagne dans les relations internationales, 16), ISBN 978-2-80761-106-1, EUR 29,95., in: Francia-Recensio 2021/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.81983