Cet ouvrage vise à combler un des desiderata de l’histoire globale, qui s’est jusqu’ici peu intéressée à la période weimarienne. Il incite à revoir la thèse d’une »démondialisation« de l’Allemagne pendant l’entre-deux-guerres. En effet, si l’État allemand se retrouva bel et bien isolé en 1919, les liens noués sous l’empire ne disparurent pas pour autant. Les représentations de soi et des autres, en revanche, furent ébranlées par la défaite, qui blessa l’amour-propre des Allemands et contribua à accentuer leur vision conflictuelle du monde. Au même moment, la culture populaire devenait toujours plus internationale.
Plusieurs articles insistent sur la persistance de liens entre l’Allemagne et le reste du monde ainsi que sur la bonne intégration du pays dans les réseaux internationaux. Ainsi, l’analyse de la mobilité des personnes tout comme des partenariats économiques et scientifiques atteste d’une continuité des échanges après 1919. Si le repli national qui suivit le traité de Versailles eut des effets visibles dans toute la société, ceux-ci sont à nuancer suivant les milieux et périodes (Gabriele Lingelbach).
Malgré l’interruption des relations commerciales pendant le conflit, l’économie allemande ne connut pas de démondialisation. Plusieurs secteurs (banque, sidérurgie) se réinventèrent pour surmonter les obstacles induits par la guerre. Les entreprises allemandes poursuivirent leurs activités à l’étranger via des filiales cachées. Elles s’entendirent avec leurs concurrents pour conquérir de nouveaux marchés suivant une dynamique mondiale de cartellisation (Jan-Otmar Hesse).
Contrairement à l’idée communément admise, la perte des colonies n’entraîna pas de »provincialisation« de l’Allemagne. Après 1919, un colonialisme indirect perdura via la restitution d’entreprises dans les anciennes colonies africaines financée par les ministères des Finances et des Affaires étrangères. Ainsi, de nombreux colons allemands y vivaient à nouveau au milieu des années 1920. Seule la défaite nazie mit un terme définitif au rêve colonial allemand (Birthe Kundrus).
Dans le même temps, le pays occupa une position centrale dans les réseaux anticolonialistes. Les groupuscules anticoloniaux (indiens, chinois, arabes et ceux issus des anciennes colonies) présents dans plusieurs villes allemandes et soutenus par un public hétérogène de nationalistes, libéraux et communistes témoignent d’une intensification des liens internationaux (Jürgen Dinkel).
L’élite allemande, même nationaliste, s’ouvrit peu à peu à la coopération internationale, comme le montre la participation du très conservateur Heinrich Schnee à la commission Lytton de la SDN, chargée en 1932 d’arbitrer un conflit entre la Chine et le Japon. La désignation de Schnee suggère que la SDN reconnaissait l’Allemagne comme une grande puissance à la fin de la république de Weimar (Isabella Löhr).
Autre signe d’internationalisation, les associations féminines allemandes poursuivirent, non sans heurts, leurs activités hors d’Allemagne. La Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté et l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes multiplièrent les gestes de réconciliation et parvinrent à surmonter le ressentiment nationaliste de part et d’autre (Ingrid Sharp).
Plusieurs contributions évoquent une culture populaire weimarienne en pleine internationalisation et analysent le monde imaginé qu’elle charriait. L’internationalisation de la scène musicale allemande via le jazz et la Nouvelle Musique eut pour effet de »provincialiser« la musique de composition allemande. Le basculement dans la dictature causa le départ et la mort de nombreux musiciens et renforça cet isolement (Martin Rempe).
Dans l’imaginaire collectif, le reste du monde faisait office de miroir déformant, censé rassurer les citoyens allemands sur la supériorité de leur propre culture. Le grand succès de la littérature géopolitique témoigne de la curiosité des Allemands de l’époque pour l’état du monde. Ces publications dépeignaient ce dernier comme un terrain d’affrontements entre collectifs nationaux et transnationaux, que seule l’Allemagne pouvait sauver de l’effondrement (Andy Hahnemann).
Cette conception conflictuelle du monde se retrouvait dans la définition même du langage. Les entrées de dictionnaires des mots »Grenzlanddeutsch« (allemand des pays frontaliers) et »Auslandsdeutsch« (allemand de l’étranger) décrivaient les minorités germanophones comme menacées d’assimilation forcée, notamment dans l’Est de l’Europe (Heidi Hein-Kircher).
Les controverses entourant la présence de troupes coloniales françaises en Rhénanie occupée et la participation allemande à la Légion étrangère en Afrique du Nord dessinent une image des Africains oscillant entre exotisme et racisme. Dans la continuité de l’Empire, ce discours opposait »sauvagerie« africaine et civilisation européenne. Le continent y apparaissait comme une réserve de soldats recelant le péril d’un métissage de l’Allemagne et de l’Europe (Christian Koller).
Autre surface de projection au reflet flatteur, la jeune république turque était louée dans les milieux conservateurs comme une alternative à la démocratie d’inspiration ouest-européenne, un modèle conciliant populisme et nationalisme, progrès et tradition, qui n’en confirmait pas moins la supériorité occidentale (Sabine Mangold-Will).
La culture de masse et le progrès technique créaient une autre image du globe. Haus Vaterland, palais du divertissement inauguré à Berlin en 1928, proposait spectacles et mets venus du monde entier et employait un personnel immigré. L’établissement mettait en scène les différences culturelles à grand renfort de clichés racistes et sexistes, mais n’en renvoyait pas moins ses visiteurs à la relativité de leur mode de vie (Maren Möhring).
La radio, en pleine expansion, promettait aux auditeurs une pleine participation au »monde«. La technique ne permettait cependant pas de capter de chaînes étrangères et les programmes préféraient des thématiques nationales – sport et musique – aux reportages internationaux (Lu Seegers).
La culture populaire retranscrivait aussi le rêve d’évasion des contemporains de Weimar. Dans le poème de Claire Goll, »Pathé Woche«, le cinéma agit comme un moyen de transport à destination des cinq continents, mais surtout comme l’expression, chez le spectateur, du désir de traverser un monde utopique (Wolfgang Struck).
Une certaine littérature de voyage progressiste témoignait d’une relative ouverture au monde. Richard Katz et Arnold Höllriegel alliaient exotisme, cosmopolitisme et humanité dans leurs récits de voyage et romans et dénonçaient les conséquences du colonialisme, de la technique et du tourisme (Erhard Schütz).
Conçu pour un lectorat de spécialistes, ce titre démontre que l’histoire globale et transnationale ne peut résumer la mondialisation à l’interconnexion entre États nationaux. Il invite à s’intéresser aux relations entre acteurs et collectivités, mais aussi aux objets culturels. Son originalité tient ainsi à la diversité des objets considérés et à la place de choix qu’il réserve à la culture populaire, aux côtés des relations internationales et des échanges économiques. L’étude de la culture de masse révèle une république de Weimar plus vibrante et internationale encore que suggéré jusqu’alors.
Zitationsempfehlung/Pour citer cet article:
Agathe Bernier-Monod, Rezension von/compte rendu de: Christoph Cornelißen, Dirk van Laak (Hg.), Weimar und die Welt. Globale Verflechtungen der ersten deutschen Republik, Göttingen (V&R) 2020, 392 S., 8 Abb., 2 Tab. (Schriftenreihe der Stiftung Reichspräsident-Friedrich-Ebert-Gedenkstätte, 17), ISBN 978-3-525-35695-1, EUR 37,99., in: Francia-Recensio 2021/2, 19.–21. Jahrhundert – Histoire contemporaine, DOI: https://doi.org/10.11588/frrec.2021.2.82086